Intervention de Aurélie Filippetti

Séance en hémicycle du 3 octobre 2013 à 9h30
Non-intégration de la livraison dans le prix unique du livre — Présentation

Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication :

C’est le commerce de détail qui a le taux de marge le plus faible aujourd’hui. En outre, si la vente de livres tous supports confondus stagne depuis dix ans, la vente en ligne a progressé, au détriment donc de la vente physique, par un effet de substitution. Mais les acteurs de la vente en ligne n’ont pas le même métier que ceux de la vente physique : le rôle de conseil, de prescription auquel je faisais référence tout à l’heure ne peut pas être rempli par des algorithmes. Il faut la qualité humaine, la qualité de lecture que seul un libraire peut offrir.

Après avoir procédé à une importante concertation avec l’ensemble des acteurs, j’ai donc annoncé, lors des Rencontres nationales de la librairie le 3 juin à Bordeaux, un plan en faveur de la librairie. Au mois de septembre, en première lecture au Sénat du projet de loi relatif à la consommation, j’ai fait voter la création d’un médiateur du livre, qui permettra de résoudre les conflits entre les différents acteurs de la chaîne du livre, notamment entre les éditeurs et les distributeurs. L’assermentation des agents du ministère, adoptée dans le même cadre, leur permettra de faire respecter les lois de 1981 et de 2011.

Ces dispositions ne visent pas à faire de la librairie un secteur protégé, préservé du marché, hors du temps et des évolutions en cours. Si le livre est un objet culturel, il est aussi le produit d’une industrie extrêmement puissante et dynamique : aux États-Unis, l’un des six premiers grands groupes d’édition est la filiale d’un groupe français, trois autres sont européens.

Les libraires sont des commerçants et entendent le demeurer. Nous ne pouvons qu’aller en ce sens : le plan pour la librairie vise à leur redonner les marges nécessaires pour innover et continuer à prendre des risques, en proposant des fonds diversifiés et spécialisés, en améliorant encore le service rendu aux clients.

Une partie des propositions que j’ai faites visent à renforcer les conditions de financement de la librairie. Ainsi, j’ai souhaité qu’un dispositif entièrement nouveau pour le financement de la trésorerie à court terme, indispensable aujourd’hui, soit créé. Il sera administré par l’IFSIC, la banque des industries culturelles, et financé, dès cette année, grâce à une dotation spéciale.

Je veux aussi accompagner les capacités de reprise des librairies, mesure nécessaire compte tenu de l’évolution de la pyramide des âges, très défavorable à cette profession. Les éditeurs ont fait preuve d’un grand sens des responsabilités puisqu’ils ont annoncé eux-mêmes, à Bordeaux, qu’ils abonderaient eux aussi le fonds de soutien, à hauteur de 7 millions d’euros.

Enfin, j’ai demandé le redéploiement des ressources du Centre national du livre, pour doubler les aides à la librairie. Elles iront vers les besoins structurants, notamment vers la formation des libraires indépendants en économie, en marketing et en technologies numériques, ce qui leur permettra de développer leur propre site de vente en ligne – certains existent déjà sous forme mutualisée.

Il convient aujourd’hui d’améliorer les conditions de régulation du secteur du commerce du livre. L’amendement du Gouvernement, qui va dans le même sens que ce que vous proposiez, monsieur le rapporteur, vise à interdire le cumul du rabais de 5 % et de la gratuité des frais de port. Nous serons ainsi fidèles à l’esprit de la loi Lang, qui permettait un rabais de seulement 5 %, dans un objectif de fidélisation des clients et seulement à l’initiative des libraires. Ce rabais ne doit pas pouvoir être cumulé avec un autre avantage commercial, la gratuité des frais de port.

On le sait aujourd’hui, la gratuité des frais de port procède – il faut employer le mot – d’une stratégie de dumping, tout simplement. J’en veux pour preuve que dans les pays qui n’appliquent pas la loi sur le prix unique du livre, les opérateurs de vente en ligne ne pratiquent pas cette gratuité. Ils le font en France et dans les pays où le prix unique du livre existe, uniquement pour pouvoir s’introduire sur le marché et accéder ainsi à une position dominante. Une fois que cet objectif aura été atteint et que le réseau de libraires indépendants aura été écrasé, ils augmenteront leurs tarifs sur la livraison.

Nous avons donc l’impérieuse et urgente nécessité d’agir. L’amendement que je vous propose me semble apporter la meilleure sécurité juridique et permettre à tous ceux qui font métier de libraire – qu’il s’agisse de libraires indépendants ou de chaînes spécialisées dans le commerce culturel – de continuer à bénéficier de l’esprit de la loi Lang. Cette loi, loin d’être anticoncurrentielle ou d’aller contre les évolutions technologiques, permet de faire respecter une juste concurrence entre les acteurs d’un écosystème fragile, celui de la chaîne du livre.

Je suis heureuse, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, mesdames et messieurs les députés, que nous puissions nous retrouver, sur tous les bancs de cette assemblée, pour partager cet esprit de responsabilité, dans le sens de l’intérêt commun. Comme l’écrivait Louis Aragon : « Quand les blés sont sous la grêle Fou qui fait le délicat Fou qui songe à ses querelles Au coeur du commun combat ». Notre commun combat, aujourd’hui, c’est celui pour le livre, pour la librairie, pour le métier de libraire, parce que nous sommes des amoureux des livres et des textes, et que nous voulons que la France continue d’être un grand pays, qui rayonne par le livre, par le texte, par sa culture. Comme nous avons défendu ensemble, au printemps dernier, et victorieusement, l’exception culturelle au sein des instances européennes, nous nous retrouvons pour défendre ensemble cette belle chaîne du livre, avec tout ce qu’elle transporte de rêve, d’imaginaire, d’émotion, mais aussi d’intelligence et d’ouverture. Nous rendons ainsi un bel hommage à la loi Lang, mais aussi à tous ceux qui aiment les livres, qui aiment les textes, et qui contribuent à les faire vivre et à les diffuser dans notre pays.

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