Sans ces restrictions, les soins prodigués aux patients concernés auraient fait l'objet d'une tarification de droit commun, à l'activité donc, et non pas sur la base de tarifs spécifiques, au demeurant bien plus élevés, nous en convenons.
Si votre préoccupation, du moins ce que vous en affichez, est bien d'ordre budgétaire, pourquoi ne pas avoir proposé l'alignement de la tarification des actes à l'AME sur la tarification à l'activité dans les établissements hospitaliers ?
Une telle proposition aurait certes eu moins d'impact aux yeux des citoyens que vous convoitez en les flattant de votre rhétorique stigmatisante.
Ce qui vous anime est donc beaucoup plus inquiétant, beaucoup plus malsain : il s'agit ni plus ni moins, vous l'avez dit monsieur le rapporteur, d'un marqueur, particulièrement à droite. Quitte à faire peser sur l'ensemble de la population des risques non négligeables de santé publique.
Vous nous avez fait le chantage à l'exaspération de notre peuple, mais monsieur le rapporteur, notre peuple est beaucoup plus généreux que cela : notre peuple veut que chacun ait droit au logement, droit à la santé, droit à l'éducation. C'est ce qu'il vous a dit, d'ailleurs, il y a quelques mois.
De quoi s'agit-il dans cette proposition ? L'article premier vise à rétablir le guichet unique pour faire des caisses primaires d'assurance maladie les seules dépositaires des demandes d'aide médicale. Rappelons que c'est à la demande de ces mêmes caisses qu'on a permis aux associations, aux CCAS, de monter les dossiers d'AME : une demande justifiée en raison de leur plus grande proximité avec le terrain et de leur expérience des publics concernés. Votre mesure aurait donc pour effet de rigidifier le parcours administratif des personnes éligibles et donc de restreindre le nombre des bénéficiaires. Cet article est d'autant plus déroutant que le récent rapport que j'ai cité a souligné l'importance du tissu associatif dans l'accompagnement des demandeurs et donc dans leur accès aux soins.
L'article 2 procède d'une instrumentalisation honteuse de cas isolés d'abus. Si nous sommes tous ici contre la fraude et les abus, nous ne pouvons tolérer que la loi se construise sur cette base. Ne vous en déplaise, les bénéficiaires de l'aide médicale ne viennent pas sur notre territoire pour faire du tourisme médical aux frais du contribuable français. Je ne pense pas que les établissements thermaux, ni que les services de chirurgie plastique soient assaillis par les bénéficiaires de l'AME.
Faut-il en outre rappeler que si abus il y a, la responsabilité en incombe avant tout aux prescripteurs ? Dès lors, ce n'est pas tant les bénéficiaires que vous offensez, mais le diagnostic et la prescription des praticiens que vous mettez en doute. Nous ne l'acceptons pas davantage. Encore une fois, cet article n'est pas conforme aux objectifs assignés à votre proposition de loi. L'agrément préalable est particulièrement coûteux à mettre en place et son efficacité n'a pas été prouvée. En revanche il contribuerait de manière certaine à retarder la prise en charge des bénéficiaires, au mépris là encore des enjeux de santé publique. Faut-il rappeler que chez les bénéficiaires de l'AME, certaines pathologies infectieuses – VIH, et je vois ici des collègues qui appartenaient au groupe d'action contre le SIDA, tuberculose, hépatite C – sont surreprésentées ? Le rétablissement de l'agrément préalable risquerait ainsi d'exposer la population à des risques épidémiques graves et entraînerait, en corollaire du diagnostic tardif, une augmentation des coûts de prise en charge des pathologies.
Pour avoir, tout au long du mandat précédent, présidé le groupe des parlementaires contre le SIDA, je peux témoigner que de très nombreux médecins et acteurs de la santé que nous avons eu l'occasion d'auditionner voyaient dans l'AME un atout important pour lutter contre la pandémie. Ils nous avaient également fait part de leur incompréhension quant à l'instauration d'un droit d'entrée de trente euros.
Fort heureusement nous avons abrogé cette mesure scandaleuse. Cette injustice à peine expurgée, vous revenez à la charge à travers l'article 3, qui vise à soumettre les bénéficiaires de l'AME aux franchises médicales. Justifier un tel article par une volonté de « rétablir l'équité » entre bénéficiaires de l'AME et assurés sociaux du régime général relève d'un cynisme que seules les personnes aveugles aux réalités vécues par ces populations peuvent se permettre. Pour pouvoir prétendre à l'AME, il faut justifier d'un revenu mensuel inférieur à 661 euros pour une personne seule et de moins de 500 euros par personne pour un couple. L'AME s'adresse donc à un public en très grande précarité tant sociale que sanitaire, qui n'a pas davantage les moyens de payer les franchises médicales que le ticket d'entrée de trente euros que vous aviez fait voter !
L'objectif de votre proposition, c'est de limiter l'accès aux soins et de maintenir une population en grande difficulté dans un état de santé des plus précaires, et ce en dépit du bon sens médical qui plaide évidemment pour que ces populations soient prises en charge afin que leur état de santé ne se dégrade pas. Votre proposition est contraire à l'intérêt supérieur de la santé publique de notre pays, mais également à celui des finances publiques, puisqu'il est évident que plus on restreint l'accès aux soins, plus coûteuse sera leur prise en charge.
En définitive, votre proposition de loi s'inscrit dans une visée idéologique qui n'a rien à voir avec la santé publique : stigmatiser l'étranger, instrumentaliser voire déformer des faits pour les jeter en pâture, en espérant susciter la vindicte populaire. Dresser les populations les unes contre les autres, voilà l'enjeu réel de cette proposition de loi et de votre projet politique : c'est votre fonds de commerce.
Bien entendu le groupe GDR votera contre ce texte. Contrairement à vous, nous sommes fiers sur ces bancs de défendre l'accès universel à la santé sur notre territoire, tant par tradition humaniste que dans un souci de santé publique. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)