Pour ce qui concerne l'économie numérique, l'ordre du jour proposé par M. Manuel Barroso pour le Conseil européen est effectivement trop modeste pour être satisfaisant, mais c'est une première étape et nous continuons à nous mobiliser. Ainsi ai-je réuni, la semaine dernière, à Paris, les représentants de six autres pays membres, pour évoquer avec eux les sujets qui nous paraissent devoir être débattus ; cette initiative sera de nature à infléchir le libellé de l'ordre du jour. Pour l'instant, la vision de la Commission européenne, assez peu stratégique, n'embrasse pas les enjeux de l'économie numérique. Elle omet en particulier les mesures qui dessineraient un environnement favorable à l'émergence de champions européens. Mais d'autres contributions seront vraisemblablement publiées, et nous continuerons de tenter d'influencer la définition de l'ordre du jour.
Le volet fiscal est également assez décevant, les services de la Commission européenne se limitant à réitérer des éléments déjà dits plusieurs fois et à rappeler des mesures travaillées depuis plusieurs mois. Cela nous conduit à considérer que la Commission européenne, peut-être contrainte par son propre agenda, n'a pas pris la mesure des enjeux du partage de la valeur dans l'économie numérique. Dans ce domaine aussi, nous poursuivrons nos efforts de sensibilisation : nous organisons, la semaine prochaine, un colloque européen sur les enjeux de la fiscalité du numérique, auquel participera le commissaire Algirdas Šemeta. Ce sera l'occasion de rappeler l'urgence qu'il y a à traiter la question de l'érosion des bases fiscales, dont souffrent tous les pays européens. En cette période d'intenses difficultés budgétaires, se voir privé de ressources fiscales n'est pas acceptable plus longtemps.
Les travaux à ce sujet se sont poursuivis dans le cadre de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), puisque beaucoup dépend des conventions fiscales bilatérales, qui aboutissent à une double non-taxation. Comme l'a montré le cas de Starbucks en Grande-Bretagne, l'érosion fiscale n'est pas spécifique au secteur numérique. Cependant, l'optimisation fiscale est grandement facilitée par l'immatérialité des échanges, qui rend ces montages plus prégnants dans le secteur numérique. Le groupe de travail ad hoc de l'OCDE a élaboré des propositions tendant à l'adoption d'une convention multilatérale chapeau ; elle aurait l'avantage d'éviter aux pays signataires de devoir renégocier chaque convention bilatérale. Le projet de convention prévoit que tout acteur de l'économie numérique dispose d'un établissement stable virtuel dans chacun des pays dans lesquels il opère ; à cet établissement seraient rattachés les revenus tirés de l'activité exercée sur un territoire donné, ce qui permettrait de définir une assiette taxable et de collecter l'impôt.
La bonne fin de ces travaux dépend évidemment d'un consensus, difficile à obtenir avec les États-Unis mais aussi avec d'autres pays, qui trouvent un intérêt à accueillir sur leur territoire des entreprises optimisant ainsi leur impôt. Aussi nous semble-t-il important que l'Union européenne conduise une réflexion indépendante de celle de l'OCDE, pour définir une assiette taxable sur le seul territoire communautaire. Nous avons donc demandé au commissaire Šemeta de relancer activement les travaux sur la proposition de directive portant création d'une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés des entreprises exerçant leur activité dans l'Union européenne, dite ACCIS. Il nous dira comment il entend remobiliser les États membres à ce sujet.
La formation est naturellement au nombre des sujets importants. Nous sommes partisans d'une stratégie nationale et nous travaillons en ce sens avec Syntec Numérique et d'autres organisations professionnelles, qui nous ont aidés à définir les compétences et les formations particulières requises pour les métiers numériques du futur. Je travaille, avec M. Michel Sapin, Mme Geneviève Fioraso et M. Vincent Peillon, à la définition des formations initiales et continues qui permettront d'anticiper les besoins sectoriels. En outre, nous avons discuté avec nos homologues d'un plan européen destiné à favoriser une meilleure appréhension par les élèves des enjeux liés à l'utilisation des nouvelles technologies. En France, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) dispense déjà de nombreuses formations dans ce domaine ; une action paneuropéenne de sensibilisation et d'éducation au numérique serait utile pour garantir que les jeunes Européens ne soient pas des consommateurs passifs.
Une directive relative à la cybersécurité est en cours d'élaboration. De nombreux pays membres, notamment l'Allemagne, souhaitent voir s'établir une coopération renforcée à ce sujet. Il est en effet apparu que les entreprises européennes sont mal protégées. L'enjeu est d'intelligence économique et de souveraineté, mais aussi industriel : la France compte de belles entreprises spécialisées en cybersécurité, qui trouveraient là un marché et des débouchés. Plus largement, toute initiative européenne visant à renforcer le niveau de sécurité des entreprises, des administrations et des particuliers serait très positive.
Monsieur Gaymard, nous avons suggéré que soient inscrits à l'ordre du jour du Conseil européen les sujets des droits d'auteur et de la numérisation de l'écrit, afin de promouvoir les contenus culturels numériques. Pour chaque produit culturel, nous proposons en particulier d'appliquer des taux de TVA homothétiques, qu'ils soient proposés sous forme numérique ou sous forme matérielle.
D'évidence, le droit d'auteur et les produits annexes doivent être repensés pour tenir compte de l'évolution des techniques. En particulier, à l'heure du stockage en nuage, l'indexation de la redevance pour copie privée sur les capacités de stockage des appareils n'a plus grand sens. Ces sujets relèvent plutôt de la compétence de la ministre de la culture, mais une réflexion s'impose manifestement sur la modernisation d'outils créés dans les années 1980 et qui ne sont sans doute plus adaptés à notre temps.
Pour en venir à un sujet plus hexagonal, je considère que le plan Très haut débit est très bien engagé. La mission Très haut débit que nous avons mise en place pour piloter, tant sur le plan technique que sur le plan financier, les schémas de déploiement des collectivités territoriales a d'ores et déjà reçu une quarantaine de projets couvrant une cinquantaine de départements. Sur les 900 millions du Fonds national pour la société numérique, environ 200 millions d'euros sont en train d'être engagés, mais rien n'a encore été décaissé : le décaissement débutera à la mi-2014 et s'étalera jusqu'en 2015. D'ici là, les projets de réseaux à très haut débit seront financés par les recettes des redevances pour l'utilisation de la bande de fréquences 1 800 mégahertz, sur laquelle les opérateurs commencent à déployer la 4G. Dans la période 2012-2022, les financements de l'État s'élèveront au total à 3,3 milliards d'euros.