Intervention de Jean-Louis Bruguière

Réunion du 19 juin 2013 à 14h00
Commission d'enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l'action du gouvernement et des services de l'État, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d'une affaire qui a conduit à la démission d'un membre du gouvernement

Jean-Louis Bruguière, magistrat honoraire :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je tiens tout d'abord à vous remercier de m'avoir convié, à la suite de la polémique entourant cette affaire, me donnant ainsi l'occasion de m'expliquer devant la représentation nationale.

Je souhaite rappeler les conditions dans lesquelles j'ai été amené à m'engager en politique, avant d'y renoncer définitivement, fin juin 2007, après ma défaite aux élections législatives.

En ce qui concerne M. Gonelle, celui-ci n'est ni un ami, ni même une relation. Je l'ai vu pour la première fois dans les années 2000, alors qu'il était encore maire, pour aborder un problème de voirie. Il souhaitait en effet acquérir, dans le but de construire un rond-point, un terrain situé sur une propriété familiale que j'ai à Villeneuve. Par la suite, dans les années 2004-2005, je l'ai revu sporadiquement dans ce que l'on appelle les « dîners en ville » locaux, sans pour autant nouer avec lui des relations amicales. Nous ne nous sommes donc pas côtoyés à cette époque.

Les choses ont changé en 2006, quand j'ai été approché par Michel Gonelle – mais cela, il ne vous l'a pas dit – et Alain Merly, député de la troisième circonscription du Lot-et-Garonne. Tous deux – avec l'appui, comme je l'ai su plus tard, de M. Jean François-Poncet, qui régnait sur l'ensemble du département – souhaitaient me voir conduire une liste contre M. Cahuzac aux élections municipales de 2008. Ma réponse a été négative, je ne comptais pas faire de la politique et j'étais accaparé par mon activité professionnelle. J'ai donc décliné l'offre. Mais je me rendais régulièrement dans le Lot-et-Garonne, et j'ai donc eu l'occasion de revoir M. Merly, M. Gonelle ou M. François-Poncet.

Ces derniers, supposant sans doute que je n'étais pas intéressé par un mandat local, m'ont proposé de me présenter aux élections législatives de 2007, le député sortant, M. Merly, ayant accepté de ne pas se représenter – ce qui se produit assez rarement, d'après ce que j'ai pu comprendre. C'est donc la droite locale qui a pensé, à tort ou à raison, que je pourrais être, compte tenu de mon activité et de mon aura, un bon candidat pour empêcher la gauche de reprendre la troisième circonscription.

La fin de ma carrière approchait – j'ai pris ma retraite en mai 2008. J'ai donc pensé que je pourrais continuer à assumer une mission de service public car c'est ce qui m'intéressait, en exerçant un mandat électif. À la fin de l'année 2006, après avoir réfléchi, j'ai donc donné un accord de principe. Dès lors, j'ai eu l'occasion de rencontrer à plusieurs reprises M. Gonelle et M. Merly.

J'ai lu le compte rendu des déclarations de M. Gonelle et je suis obligé de m'inscrire en faux : ce dernier était l'homme lige, politiquement parlant, de la droite villeneuvoise. Dans la troisième circonscription, il y a Villeneuve, et le reste. Si, sur le plan politique, ceux qui ne sont pas de la ville ont du mal s'y implanter ; de leur côté, les Villeneuvois, politiquement parlant, n'ont pas d'influence dans le reste de la circonscription. Alain Merly me pilotait donc dans les autres cantons, et Michel Gonelle à Villeneuve. En effet, je ne connaissais rien ni personne dans la circonscription : j'avais besoin d'informations sur les rapports de force et les enjeux politiques.

C'est dans ce contexte que m'a été remis l'enregistrement. Quant à la date, M. Gonelle s'est montré très précis – il doit avoir des agendas bien documentés – : il parle du 12 novembre 2006. Pour ma part, j'aurais envisagé un moment plus tardif, en 2007, mais il est possible que je me trompe totalement sur ce point. Je n'ai pas noté le rendez-vous sur mon agenda : à ce stade, cela n'avait pas une grande importance pour moi. Cependant, j'étais bien dans la région à ce moment : la date est donc plausible. Quant au lieu, il s'agissait sans doute de son cabinet d'avocat, où je me suis rendu, au plus, deux ou trois fois. M. Gonelle m'a parlé de ce qui lui tenait à coeur – le Villeneuvois –, mais très rapidement, alors que je voulais aborder les grands sujets pouvant préoccuper les électeurs de la circonscription, la conversation s'est focalisée sur M. Cahuzac. J'ai alors compris que le personnage avait une grande importance aux yeux de M. Gonelle. D'une manière générale, j'ai pu observer une forme de sur-réaction, d'inquiétude à l'égard de M. Cahuzac, considéré comme une personne redoutable, d'une intelligence remarquable – ce qui est d'ailleurs exact –, et comme un adversaire politique difficile à affronter. On m'a même dissuadé de participer au débat de deuxième tour, au risque d'être « pulvérisé », entre guillemets, par mon contradicteur. Bien entendu, je n'ai pas tenu compte de cet avis, et le débat s'est bien passé, même s'il a été rude.

Très rapidement, M. Gonelle a évoqué les défauts, ou ce qu'il appelait les failles de M. Cahuzac : son appétit pour l'argent, ses investissements, sa clinique, etc. Et d'une façon un peu mystérieuse, comme toujours chez lui, il a mentionné l'existence d'un compte en Suisse. C'est à ce moment – je suis formel – que M. Gonelle m'a produit cette cassette. Je ne l'ai pas sollicité en ce sens. Comment aurais-je pu le faire, puisque je ne connaissais pas l'existence d'un tel document ? Je l'ai dit, j'étais politiquement « piloté », entre guillemets, par quelqu'un chargé de faire, d'une certaine façon, ma promotion.

Il est vrai que j'ai pris cet enregistrement. En raison du climat de confiance qui existait à l'époque – et qui sera détruit par la suite –, je n'ai pas eu le réflexe de le refuser. Tel était le contexte.

M. Gonelle a dit avoir parlé du financement, par des laboratoires pharmaceutiques, d'installations sportives de la ville. Je n'en garde aucun souvenir, ni d'ailleurs des circonstances dans lesquelles il disait avoir obtenu l'enregistrement. Je crois qu'il m'a affirmé que celui-ci était probablement de mauvaise qualité, mais c'est tout ce dont je me souviens.

Cette conversation a eu lieu un dimanche, si la date est exacte. Le soir même, je suis rentré à Paris, où j'avais des obligations. Quant à l'enregistrement, je ne me souviens plus quel en était le support. Selon moi, il ne s'agissait pas d'un mini-CD. Une fois de plus, je peux me tromper, mais d'après le souvenir, vague, que j'en ai gardé, il s'agissait plutôt d'une clé USB ou d'une minicassette. Quoi qu'il en soit, je n'ai jamais écouté le contenu de ce document. Pourquoi, me demanderez-vous ? Parce que cela ne m'intéressait pas, mais surtout parce que ma vision de la politique n'était pas celle-là. C'est d'ailleurs une des raisons qui m'ont conduit à abandonner définitivement toute ambition politique.

La politique, selon moi, c'est un combat d'idées, de programmes. J'ai cherché les moyens de valoriser la circonscription : j'ai même trouvé des investisseurs américains prêts à apporter 200 à 300 millions de dollars. On m'a alors dit : « Tu perds ton temps, parce que l'emploi, tout le monde s'en fout ! ». J'ai compris à cette occasion que les réalités étaient ailleurs, et que les problèmes posés n'avaient pas nécessairement de rapport avec un programme politique. Dans la mesure où je voulais faire campagne sur un programme et des idées, il allait de soi que je ne pouvais pas faire de l'enregistrement un élément de cette campagne. Le problème n'était pas M. Cahuzac, mais les idées qu'il portait.

Par ailleurs, quand quelqu'un vous dit qu'il détient un enregistrement, vous vous interrogez. Le terme même génère une certaine suspicion. À supposer qu'il existe réellement – car je ne l'avais pas écouté –, je ne voyais pas comment une personne privée pouvait obtenir un tel enregistrement. Tout le background de l'affaire – y compris les personnages gravitant autour, comme M. Garnier –, je ne l'ai découvert qu'en 2012. M. Gonelle ne s'est jamais ouvert auprès de moi de ce qu'il a pu faire entre 2000 et 2007 : je l'ai découvert dans la presse. Et quand j'ai lu ses explications en décembre dernier, je me suis interrogé. Dans toute ma carrière de magistrat, je n'ai jamais vu une opération de ce genre ! Des incidents, des problèmes de procédures, des captations d'information, j'en ai sans doute connus plus que d'autres, mais pas cela.

En tout état de cause, le procédé est, d'un point de vue légal, pour le moins suspect. On pourrait même admettre une certaine qualification pénale. Je le considère en tout cas déloyal, ou au moins indélicat. On ne fait pas de la politique avec des procès de la sorte, c'était ma conception. Je n'ai donc pas utilisé l'enregistrement, ni n'en ai fait de copie. Je l'ai gardé chez moi, et je n'ai pas subi de cambriolage. Par la suite – j'ai consulté mon agenda : je suis revenu à la mi-décembre, puis à la fin du mois –, je m'en suis débarrassé, sans doute après l'avoir détruit physiquement, je ne m'en souviens pas. Je suis en tout cas certain de l'avoir jeté dans la poubelle familiale. Compte tenu de la méthode employée dans les collectivités territoriales pour retraiter les ordures ménagères, je suis donc assuré que cet enregistrement n'a pas pu être récupéré, même si je n'ai pas mis le support au feu ou dans un broyeur.

Afin que les choses soient claires, je répète que je n'ai pas cherché à lire le support d'enregistrement pour en vérifier le contenu. Je m'en suis débarrassé parce que je ne comptais pas l'utiliser. J'ajoute que d'autres éléments de déloyauté dans le comportement de M. Gonelle m'ont conduit à évincer celui-ci du cercle des personnes que je côtoyais dans le cadre de la campagne électorale, quoi qu'il dise à ce sujet – et j'ai des témoins.

Par ailleurs, il est évident que je n'ai pas donné cet enregistrement à Mediapart. Tout le monde sait que mes relations avec Mediapart ne sont pas des meilleures. Depuis le début, ce média a été un contempteur permanent de mes actions et de ma stratégie antiterroriste, et certains de ses articles auraient pu faire l'objet de plaintes en diffamation. Je ne connais pas M. Plenel, avec lequel je n'ai jamais eu le moindre contact téléphonique depuis que ce site d'information existe. De même, je n'ai parlé avec aucun de ses collaborateurs.

Voilà ce que je voulais vous dire sur les faits qui vous intéressent. Bien évidemment, je suis à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.

Après mon échec électoral, en juin 2007, j'ai annoncé clairement aux électeurs que non seulement je ne me présenterai pas aux élections municipales de 2008, mais que j'abandonnais définitivement la politique. Je m'y suis tenu strictement : je n'ai participé à aucun meeting, bien que revenant très régulièrement à Villeneuve, lieu de séjour familial où je me sens bien. J'y compte quelques amis, mais je suis resté totalement en dehors de la vie politique, ce qui ne me paraît pas être le cas de M. Gonelle : en 2007, il n'était peut-être plus un élu, mais il était actif, au sens où il était un référent. On considérait – y compris M. Jean François-Poncet – que l'on ne pouvait rien faire dans la ville sans passer par lui, car, comme on disait à l'époque, il tenait les réseaux.

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