Je n'en doute pas : je voulais simplement pointer cette différence de traitement.
Dès 1995, la direction de l'usine Goodyear d'Amiens avait tenté d'imposer le travail en continu, sept jours sur sept avec une organisation de travail en 5 x 8, provoquant une grève très dure d'une douzaine de jours. Cet épisode extrêmement difficile a marqué les esprits, et en vérité le climat social ne s'est jamais véritablement apaisé depuis.
Je m'appelle Virgilio Mota Da Silva. J'ai deux enfants et je suis employé chez Goodyear comme constructeur changeur régleur depuis janvier 1988. Comme de nombreux camarades, je n'ai bénéficié d'aucune promotion, n'ayant jamais été évalué. Sans doute mes fonctions syndicales ne sont-elles pas étrangères à cet état de fait. Je ne l'ai cependant pas vécu comme une discrimination, la plupart de mes collègues étant dans le même cas. C'est la raison pour laquelle je n'accepterai d'être dédommagé de ce manquement à ce qui est une obligation légale qu'à la condition que mes collègues le soient aussi.
En tant qu'élu du syndicat SUD sur le site Goodyear d'Amiens-Nord, j'espère pouvoir vous apporter un éclairage différent et complémentaire de ce qu'ont pu vous apprendre les auditions précédentes. Le point de vue que je vais vous exposer est celui de tous les élus du syndicat SUD Chimie d'Amiens, qu'ils représentent les salariés de Goodyear ou ceux de Dunlop. En effet, si ces deux sites ont une histoire différente, les intérêts des salariés sont les mêmes.
Notre histoire commune débute en 1999 par un joint venture entre les sociétés Goodyear et Dunlop, jusqu'ici concurrentes, accord de coopération qui débouchera sur la fusion acquisition que vous connaissez. Le but de cette opération était d'améliorer la compétitivité de ces entreprises, à travers la mise en place de « synergies » susceptibles d'accroître la rentabilité du groupe, le mot signifiant en réalité réduction de personnel via la fusion de plusieurs activités. La stratégie a été dès lors d'exercer une pression drastique sur les établissements, tenus de « mériter » les investissements autres que ceux nécessaires au simple maintien de l'outil de travail. Nous avons en effet constaté sur nos deux établissements un déclin significatif des investissements lourds et innovants. Ce déclin était particulièrement sensible chez Dunlop : avant d'être racheté par Goodyear, il appartenait au groupe japonais Sumitomo, dont la culture industrielle est très éloignée des stratégies de court terme de l'Américain.
Aujourd'hui, la direction tente de faire endosser les résultats de cette stratégie aux ouvriers, alors qu'ils en sont les premières victimes et qu'ils ont fait le maximum pour maintenir l'activité de deux sites jusqu'alors rentables. Ce jeu de dupes, nous l'avons payé de notre santé : ce sont des travailleurs postés et payés à la tâche, travaillant dans des conditions très difficiles, qui ont permis de faire tourner les deux usines à plein régime et de dégager des bénéfices. Sur le site de Goodyear, la rémunération à la tâche représentait 30 à 35 % de la rémunération, et je crois que c'est encore le cas sur le site de Dunlop.
Force est de constater cependant que les efforts des ouvriers d'Amiens n'ont pas empêché la direction européenne de privilégier largement le développement du groupe dans les pays de l'Est. Celle-ci a ainsi fait le choix de développer son site de Dębica, ex Stomil, en Pologne, l'usine Sava en Slovénie ou encore les sites de production que le groupe possède en Chine, alors que l'innovation de nos usines était le cadet de ses soucis.
Il est certes légitime que le groupe Goodyear cherche à conquérir les marchés de ces pays en pleine expansion, mais cela n'aurait pas dû se faire au détriment de nos usines, dans lesquelles tout ou partie des bénéfices tirés de la sueur des travailleurs amiénois aurait dû être réinvesti. Les syndicats n'ont eu de cesse de dénoncer ce défaut d'investissements, qui atteignait des proportions alarmantes. La même stratégie a été appliquée dans d'autres pays : en Grèce, au Royaume Uni, en Italie, des usines ont été purement et simplement fermées sous le prétexte d'un manque de compétitivité qui avait en réalité été créé de toutes pièces !
En 2007, une fois les équipements devenus obsolètes en raison de ce défaut structurel d'investissement, la direction passe ouvertement à l'offensive : après avoir assuré pendant des années que son taux d'investissement était suffisant, elle argue d'un état des choses qui est le résultat direct d'une stratégie depuis longtemps dénoncée par les syndicats pour entamer le bras de fer et dégrader encore plus les conditions de travail en échange de maigres investissements. Elle fait miroiter un investissement de 26 millions d'euros sur chaque site, à la condition que les ouvriers acceptent une nouvelle organisation de travail en 4 x 8 très contraignante. De toute façon ce niveau d'investissement ne suffira pas, aux dires des experts, pour remettre les équipements à niveau. À titre d'exemple, il est sans commune mesure avec les 500 millions de dollars qui ont été injectés dans l'usine de Dębica pour la seule année 2007. Si le déclin de nos usines s'est accentué en 2007, il n'a pas commencé à cette date ; il résulte d'une stratégie voulue et réfléchie bien en amont.
Bien décidée à continuer à « presser le citron », la direction nous a menacés, lors de la réunion du comité central d'entreprise (CCE) du 24 janvier 2008, d'un plan de sauvegarde de l'emploi prévoyant 402 licenciements sur le site de Goodyear et 178 sur le site de Dunlop. Voici les propos de M. Rousseau : « Nous sommes dans une situation complexe où nous n'avons plus le choix : soit nous nous mettons d'accord sur le projet présenté au mois d'avril, basé sur une organisation en 4 x 8, soit nous exécutons le nouveau plan. » Qu'est-ce d'autre qu'un chantage ?
Le syndicat SUD Chimie a dénoncé vigoureusement ce chantage inadmissible tant en interne que dans les médias. Le climat social s'est peu à peu envenimé et les tensions sont devenues très vives. Faisant fi de nos nombreuses contre-propositions, la direction a volontairement plombé ce qui aurait pu être une négociation loyale, en plaçant la barre bien trop haut. Son seul objectif était de faire tourner l'usine en 4 x 8, 350 jours par an, et elle ne nous a laissé aucune marge de manoeuvre. Il s'agissait d'un simulacre de négociations, la direction n'ayant pas changé une virgule à son projet initial. Je tiens à votre disposition le rapport de l'expert du cabinet Ecodia, qui confirme que le projet d'organisation en 4 x 8 sur 350 jours n'était pas négociable.
La direction a réussi son coup de force puisqu'elle est parvenue à faire signer l'accord par le syndicat CGC chez Goodyear et par la CGT et la CGC chez Dunlop. En revanche, les sections SUD Chimie des deux sites se sont opposées à la signature de cet accord, en faisant valoir ses nombreux inconvénients.
Si l'accord n'a pas pu être mis en oeuvre chez Goodyear, les syndicats de Dunlop l'ont avalisé alors qu'il avait été rejeté par 75 % de ceux qui étaient directement concernés par la nouvelle organisation en 4 x 8 et qui ont vécu ce choix syndical comme une véritable trahison.
À ce propos, je conteste l'affirmation de Mme Charrier, selon laquelle le passage en 4 x 8 avait été approuvé par une majorité des salariés. Il est vrai qu'on fait dire ce qu'on veut aux chiffres.