Il me semble qu'il n'a pas pu être mené à bien. En tout état de cause, les résultats étaient similaires dans les deux usines.
SUD Chimie a alors engagé une guerre visant à prouver au juge que l'accord signé et mis en place dans l'usine Dunlop était illégal. Le 2 septembre 2009, le tribunal de grande instance d'Amiens confirme l'illégalité de cet accord. La direction de Dunlop adopte alors une autre stratégie : l'usine Dunlop est mise en location-gérance et sortie du périmètre de la société Goodyear Dunlop Tires France, ce qui lui permet de renégocier tous les accords d'entreprise. Tenant compte de ce qui avait conduit à l'invalidation de l'accord précédent, le nouvel accord obtint l'aval du juge.
Depuis, en dépit de quelques aménagements, l'organisation du travail reste très problématique chez Dunlop, contrairement à ce qu'affiche la communication du groupe. Nos collègues ont déjà chômé treize jours, alors que le but affiché était de faire fonctionner l'appareil de production pendant un plus grand nombre de jours. La production n'est pas au niveau fixé dans l'accord : seulement 10 000 pneus sont produits par jour au lieu des 18 000 prévus, soit près de la moitié. Tous les mois, la direction locale fait état devant le comité d'entreprise de performances médiocres, d'un taux élevé de déchets, et d'un nombre excessif de congés maladies et d'accidents du travail. Je ne vois pas en quoi l'organisation en 4 x 8 a amélioré la compétitivité du site. Je crains qu'il n'ait en rien pérennisé l'usine de Dunlop : je ne serais pas étonné qu'un jour ou l'autre la direction argue de l'état de sous capacité de ce site pour décider sa fermeture. En tout état de cause, compte tenu des efforts immenses consentis par les travailleurs de cette usine, il vous revient de tout mettre en oeuvre pour leur éviter le sort des salariés de Continental. Le syndicat SUD Chimie s'y emploie tous les jours, et tout ce que vous savez aujourd'hui doit vous permettre d'agir en amont pour empêcher la fermeture de cet établissement.
Chez Goodyear, les syndicats ayant respecté l'opposition déterminée des salariés au projet d'organisation du travail en 4 X 8, l'histoire a été différente. La direction s'est acharnée à mettre à mal cette usine par trois plans successifs de sauvegarde de l'emploi d'une ampleur croissante, tous combattus par SUD Chimie sur le terrain social. Si la direction a renoncé au premier PSE, qui prévoyait la suppression de 402 emplois, bien que la justice l'ait finalement validé, ce ne fut que pour doubler la mise, en proposant un nouveau PSE de 817 licenciements, soit la totalité de l'activité tourisme ! Goodyear ayant annoncé dans le même temps la cession de la production de pneus agraires à un repreneur, le juge, saisi de ce nouveau plan social par le syndicat majoritaire, a demandé un complément d'information sur le devenir de l'activité agricole, au nom du droit à l'information des salariés. Cette jonction des deux projets mettait à mal la stratégie de la direction.
Un seul repreneur acceptant de poursuivre l'activité agricole, sauvant la moitié des emplois, le syndicat SUD Chimie s'est attaché envers et contre tous, notamment contre le syndicat majoritaire, à élaborer un plan global pour les deux sites, visant à sauver 1 100 emplois chez Dunlop et 600 chez Goodyear. Ce plan que nous avons affiné au fil du temps, était un moindre mal en comparaison de la fermeture totale, dont le risque n'était pas négligeable. Le maintien de la production de pneus agricoles constituait un atout de taille pour imposer un projet global, puisque la direction souhaitait poursuivre cette activité d'une manière ou d'une autre : elle s'était même engagée par écrit à maintenir cette activité si Titan venait à faire défaut.
Il est vrai que ce projet global prévoyait 270 départs seniors et 124 départs volontaires, mais il avait l'avantage d'insuffler un élan salutaire au fonctionnement du site de Dunlop, plombé chaque jour un peu plus par l'organisation en 4 X 8.
Telle est la solution que nous défendions dès 2011. Bien que notre projet ait été ardemment combattu par le syndicat majoritaire, qui nous accusait de favoriser le déclin du site, l'idée faisait cependant son chemin et la direction commençait à évoquer la possibilité de trouver un accord sur certains points. La négociation aurait dû nous permettre d'avancer sur les autres. Malheureusement, la direction a décidé de mener des discussions informelles avec le syndicat majoritaire et lui seul, dans une opacité totale.
Quelle ne fut pas notre surprise lorsqu'en juin 2012, la CGT annonçait avoir emporté une « victoire totale », selon ses propres termes : la direction abandonnait son projet de PSE au profit d'un plan de départs volontaires (PDV). Il s'agissait là d'un changement complet de stratégie de la part du syndicat majoritaire puisque cette solution ressemblait fort à celle qu'il avait tant décriée. On annonça même des indemnités de départ dont les montants étaient proches de ce que nous revendiquions. Le conflit semblait enfin se dénouer, et nous attendions avec impatience de connaître les détails de l'accord.
Mais voilà qu'en septembre 2012 le syndicat majoritaire découvre que Titan ne souhaite pas pérenniser les emplois agricoles au-delà de deux ans. On s'étonne qu'une garantie aussi importante que celle du maintien de l'emploi agricole durant cinq ans n'ait pas été négociée dès le début de l'année 2012, avant la campagne présidentielle. Les syndicats auraient alors pu monter ce point en épingle afin d'inciter les candidats à exiger de Titan qu'il satisfasse une revendication que nous jugions incontournable dès 2011. On se demande quel était le but poursuivi par ceux qui annonçaient une victoire totale en juin, alors qu'une revendication aussi essentielle n'était pas satisfaite.
Nous accusons la direction de Goodyear de nous avoir menés en bateau. Une négociation ainsi conduite, à l'exclusion de tous les autres syndicats, via des rencontres informelles dans des hôtels, hors de tout cadre légal, ne pouvait pas être loyale, étant donné l'importance des enjeux.
Le 27 septembre 2012, la direction annonce la fin de cette négociation, et manifeste, semble-t-il, la volonté d'une fermeture totale du site d'Amiens Nord, ce qui entraînerait 1 173 départs contraints et la fin des activités tourisme et agraire. Ce choix est le pire qui pouvait nous être annoncé, même si nous n'avons jamais sous-estimé ce danger.
Aujourd'hui, la donne a changé : la direction a largement désorganisé les ateliers, mis en sous-capacité l'outil de travail et enterré l'accord que nous avions défendu. Il y a une énorme différence entre nos propositions et la mise à la rue sans contrepartie digne de ce nom de tous ces salariés qu'on a menés au bord du précipice ! À ceux qui prétendent que le refus du PDV était une preuve de courage, je réponds qu'il s'agissait au contraire d'un manque de courage et de transparence. La situation actuelle est diamétralement opposée à celle qui prévalait il y a encore un an et qui aurait dû permettre un accord si les négociations avaient été menées de façon loyale. Rien ne peut justifier un tel échec.
SUD Chimie n'a jamais accepté ni un PSE ni l'absence de pérennisation de l'emploi sur nos deux usines. L'intérêt des travailleurs a été notre seul guide et les pressions de toutes sortes ne nous ont pas détournés de notre rôle. Pour SUD Chimie, seule la vérité est payante, et c'est pourquoi je peux encore me regarder dans une glace.
Nous avons le sentiment que, depuis un an, cette guérilla n'a plus véritablement de sens. Même si elle nous permet de grignoter quelques jours, voire quelques semaines, nous craignons tous qu'elle ne connaisse un épilogue dramatique. Face à la volonté destructrice de la direction, il manque un véritable projet, construit, viable et porté par les salariés. Là où il y a une volonté, il y a un chemin. Ce qui manque actuellement c'est une volonté collective. C'est elle que nous appelons de nos voeux.
Si notre usine délabrée est la lanterne rouge des sites européens du groupe Goodyear Dunlop, selon un classement établi par le groupe lui-même, cela résulte d'une stratégie de mise en danger volontaire de la direction. Et, en dépit de ce qu'affirme la communication de la direction, Dunlop Amiens, qui occupe l'avant-dernière place de ce classement, est vouée à connaître le même sort.
Votre rôle de politique est de restaurer un équilibre entre salariés et direction des entreprises pour que les efforts des travailleurs soient payés de retour, et que ceux-ci ne soient pas victimes de décisions stratégiques visant à asphyxier des établissements rentables afin d'investir ailleurs. Vous devez trouver le moyen d'obliger ces entreprises à investir pour maintenir à niveau leurs équipements, surtout lorsqu'elles font des bénéfices. Les travailleurs amiénois enragent que personne n'ait pu trouver de solution propre à assurer la poursuite des activités de leur usine.
Pour notre part, si nous n'avons pas tout réussi, au moins avons-nous le sentiment de n'avoir jamais caché au personnel les dangers de telle ou telle décision. C'est en toute indépendance que nous avons construit des contre-propositions viables. Nous continuons à croire que notre projet peut encore être mis en oeuvre car c'est le seul moyen d'éviter une catastrophe sociale. Comme le disait Einstein, un problème sans solution raisonnable est un problème mal posé. Notre projet permettrait de sauvegarder 600 des 1 173 emplois du site d'Amiens-Nord et de passer de 921 à 1 100 emplois sur le site de Dunlop, grâce à une nouvelle organisation du travail. Les 394 emplois en moins seraient compensés par 270 départs de seniors et 124 départs volontaires : au-delà de ce nombre, d'autres salariés seraient embauchés pour remplacer les salariés qui voudraient bénéficier du PDV. Ce projet est conditionné à une augmentation de charge du site de Dunlop et la garantie par Goodyear de la pérennisation sur cinq ans de 600 emplois agricoles à Amiens-Nord, conformément à son engagement de maintenir l'activité agricole.