Je commencerai par vous expliquer la relation qui lie le ministre, le parquet général et le parquet, le rôle que la chancellerie peut tenir dans une affaire comme celle-ci, et les formes possibles d'intervention au cours du déroulement d'une procédure. J'évoquerai également le cadre dans lequel s'est effectuée la remontée d'information du parquet général vers la chancellerie, son contenu et l'usage qui en a été fait.
Votre Commission étend ses investigations sur une période qui s'étend du premier article de Mediapart jusqu'à la fin provisoire de la procédure, c'est bien parce que les faits sont d'abord rendus publics dans les médias, avant de faire l'objet d'un premier acte judiciaire – la plainte en diffamation déposée par le ministre mis en cause. Cette plainte m'est soumise pour transmission au parquet général sur la base du 1° bis de l'article 48 de la loi du 29 juillet 1881, et transmise sous signature de mon directeur de cabinet, mais sous ma responsabilité. La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) s'est alors posé la question de savoir si cette transmission devait ou non être effectuée par le garde des Sceaux. La jurisprudence est recherchée, elle n'existe pas. Reste que le rôle du garde des Sceaux en cette occasion consiste à transmettre la plainte sans prendre le risque de dépasser les délais de prescription, et surtout sans entraver la liberté du procureur. La plainte de M. Cahuzac – qui n'a été rédigée ni par la chancellerie, ni même par le ministre mis en cause, mais par ses avocats, lesquels sont indépendants – est donc transmise par mon cabinet au procureur général, qui la transmet au procureur, qui en a évalué la recevabilité.
De façon générale, la remontée d'information suit un cadre juridique organisé, reposant sur l'article 5 de l'ordonnance de 1958 et sur les articles 30 et suivants du code de procédure pénale. Sa dimension opérationnelle est précisée dans le protocole du 27 novembre 2006, sur lequel nous travaillons depuis que le Gouvernement a décidé d'inscrire dans le code de procédure pénale l'interdiction des instructions individuelles. Un projet de loi en ce sens suit actuellement les étapes de la navette parlementaire, la deuxième lecture au Sénat étant prévue pour cet après-midi.
Le parquet général transmet des notes de synthèse à la DACG, qui en fait suivre quelques éléments au cabinet. Le volume assez conséquent de l'information transmise se justifiait à une époque où le garde des Sceaux pouvait donner au parquet des instructions individuelles ; avec leur disparition, et pour soulager les parquets, les parquets généraux et l'administration, de la masse d'informations à collecter ou à traiter, nous estimons possible de le diviser au moins par deux.
Plusieurs paramètres interviennent dans la sélection des informations par les parquets généraux, puis par l'administration qui les transmet au cabinet, enfin par le cabinet qui me les livre : la gravité des faits, la qualité des personnes pouvant être mises en cause ou celle des victimes, le lieu de l'infraction, le nombre de victimes, le caractère prioritaire de l'incrimination au regard des orientations de politique pénale, sa relation avec un problème juridique particulier, la nécessité d'une entraide internationale, les risques de médiatisation ou une médiatisation effective. Les informations qui me sont transmises servent à préciser les orientations de politique pénale, à déployer des moyens à la mesure d'une affaire – comme dans le procès de la société Poly Implant Prothèse (PIP) –, à répondre à la représentation nationale lors des questions d'actualité, questions orales sans débat ou questions écrites, mais également aux particuliers ou associations qui sollicitent le Président de la République – directement ou par le biais du garde des Sceaux –, à définir des modifications de textes – l'affaire d'Uzbin en Afghanistan a par exemple eu des répercussions sur la loi de programmation militaire –, et à ajuster nos procédures avec les pays étrangers dans le cadre de l'entraide internationale.
Dans le cas de l'affaire Cahuzac, après la transmission par la chancellerie de la plainte en diffamation du ministre du budget au parquet, le procureur de la République a rapidement requalifié la plainte, estimant qu'il s'agissait d'une diffamation publique envers un particulier, et non envers un membre du Gouvernement. Il n'y a aucune conséquence à cela. Quelques temps après, M. Cahuzac a présenté une autre plainte conforme à cette requalification. À partir de là, nous avons été informés des procédures, à titre de confirmation ; en effet, vu la médiatisation intense de cette affaire, nous devions vérifier l'exactitude des informations qui paraissaient dans la presse – par exemple l'annonce d'ouverture d'une enquête préliminaire –, afin, notamment, de pouvoir répondre à la représentation nationale. En revanche, nous ne recevions pas d'informations antérieurement à la réalisation des actes en question.
Plusieurs échanges d'information entre le parquet général et la DACG d'une part, la DACG et le cabinet d'autre part, ont concerné des sujets techniques et juridiques, notamment à propos de la loi du 29 juillet 1881 – la référence juridique de cette affaire –, dont les magistrats s'accordent à reconnaître la complexité, due à de nombreuses mesures dérogatoires. Les informations qui me sont parvenues – et que j'aurais pu utiliser pour répondre à la représentation nationale ou pour permettre au Premier ministre de confirmer ou d'infirmer une annonce – concernaient les grandes avancées de la procédure, lorsqu'elles avaient déjà eu lieu – auditions importantes, ouvertures d'enquête préliminaire ou d'information judiciaire –, ainsi que la date présumée du retour de l'enregistrement du laboratoire où il avait été envoyé pour expertise. Nous nous sommes aussi fait envoyer un communiqué de presse du procureur pour être sûrs que ce qui avait été dit de sa déclaration correspondait bien à la réalité de ces propos.