Intervention de Thierry Récoupé

Réunion du 17 septembre 2013 à 17h30
Commission d'enquête relative aux causes du projet de fermeture de l'usine goodyear d'amiens-nord, et à ses conséquences économiques, sociales et environnementales et aux enseignements liés au caractère représentatif qu'on peut tirer de ce cas

Thierry Récoupé, secrétaire du comité d'entreprise de l'usine Dunlop d'Amiens-Sud, délégué CFTC :

La CFTC est très bien placée pour parler de ce dossier, car elle a été signataire de l'accord des 4x8 et qu'elle est aujourd'hui majoritaire sur le site d'Amiens-Sud.

Sur cette affaire, on entend tout et n'importe quoi. C'est pourquoi je suis très heureux d'être devant vous aujourd'hui pour vous parler de l'établissement d'Amiens-Sud où l'accord des 4x8 est appliqué depuis bientôt cinq ans.

En 1983, Dunlop France a déposé le bilan et, à la suite de son rachat par Sumitomo en 1984, un groupe japonais, 220 emplois ont été supprimés. Un dialogue social de bonne qualité a pu être instauré avec la direction japonaise, ainsi qu'une modernisation à travers de nombreux investissements sur le site.

À l'inverse, le climat social s'est dégradé à l'usine d'Amiens-Nord, avec des grèves à répétition, et très peu d'investissements y ont été réalisés.

En 1994-1995, le groupe a souhaité mettre en place à Amiens-Sud le travail en continu – les 3x8 avec des équipes de suppléance. La CFTC a pris ses responsabilités en signant pour cette organisation du travail. Le syndicat majoritaire de l'établissement, la CGT, n'a pas fait valoir son droit d'opposition, bien au contraire : il a demandé, un an plus tard, le rajout de la cinquième équipe aux équipes de suppléances. C'est bien la preuve que la CFTC avait pris la bonne décision.

À l'usine d'Amiens-Nord, après trois semaines de grève très dure contre le travail en continu, le syndicat majoritaire a fini par prendre ses responsabilités en signant pour les équipes de suppléance.

Grâce à cet accord, 280 embauches ont été réalisées à Amiens-Sud entre 1994 et 1996. Il s'agissait donc d'un très bon accord.

En 2003, Dunlop France a été racheté par Goodyear.

En avril 2007, Olivier Rousseau nous a annoncé le souhait du groupe de créer un complexe industriel moderne et compétitif dans les plus brefs délais. Ce projet comportait des contreparties, notamment financières, sur lesquelles je reviendrai.

Malheureusement, la direction a commis l'erreur de soumettre aux salariés son projet 4x8 sans ouvrir de négociations sur les contreparties financières pour les salariés ! Si bien que, sur les deux sites, 66 % des salariés ont rejeté le projet.

Fin 2007, une ultime réunion s'est tenue, en vain.

La CFTC a alors pris ses responsabilités en demandant l'engagement de négociations sur le site d'Amiens-Sud, puis elle a été rejointe dans sa position par les autres syndicats : la CGT, syndicat majoritaire, FO et la CGC. Les semaines suivantes, des réunions ont pu être organisées sur le site.

À Amiens-Nord, la CGT, majoritaire, a refusé les négociations sur les 4x8.

À partir de ce moment-là, la CFTC, pensant que le complexe industriel ne verrait jamais le jour, s'est attachée à défendre les intérêts d'Amiens-Sud afin de sauver ses 1 100 emplois.

Le 17 mars 2008, notre organisation a signé pour Amiens-Sud l'accord 4x8, assorti de contreparties financières significatives : une prime de 3 500 euros bruts pour les salariés en 3x8 passant aux 4x8, une prime de 5 500 euros pour les salariés des équipes de suppléance passant aux 4x8, ainsi qu'une augmentation de salaire de 220 euros par mois. Il s'agissait là d'une grande avancée en matière de pouvoir d'achat des salariés – environ 20 % de salaire net. L'accord comportait également l'engagement du groupe d'investir 25,7 millions d'euros sur cinq ans. À ce jour, mesdames, messieurs, le groupe a injecté 44 millions sur le site !

Aujourd'hui, le site d'Amiens-Sud est méconnaissable par rapport à ce qu'il était il y a cinq ans, en particulier grâce à nos outils ultramodernes. Certes, l'usine rencontre encore des difficultés pour répondre à la demande du marché, c'est-à-dire produire des pneus BA, à haute valeur ajoutée. Il reste que désormais Amiens-Sud fabrique ces pneus labellisés haute performance.

En définitive, nous sommes fiers d'avoir signé l'accord des 4x8. Malgré le chemin qui nous reste à parcourir, nous avons réussi à mettre en place un bon dialogue social au sein de l'établissement.

En avril 2009, le groupe a souhaité placer Amiens-Sud en location-gérance, c'est-à-dire transformer le site en filiale, en vue de le sortir du périmètre des licenciements. Le changement de direction, avec un directeur allemand, a malheureusement abouti à la destruction du dialogue social pendant deux ans. Nous avons condamné cette situation et demandé le changement de cette direction interne, et le groupe nous a entendus. Dorénavant, le nouveau directeur, M. Josy Blum, en place depuis un an et demi, est très à l'écoute et le dialogue social est devenu extrêmement positif.

À présent, je n'ai pas peur de le dire : le jusqu'au-boutisme ne peut plus être un objectif. Notre syndicat s'inscrit dans une démarche de négociation : il souhaite s'installer autour de la table, analyser les dossiers et exposer les problèmes au personnel. Voilà comment nous avançons avec la direction. Nous ne pouvons pas nous permettre de « jouer » avec 1 000 salariés. Si, au départ, personne ne voulait des 4x8, y compris la CFTC, ce choix s'est imposé à nous. Étant donné la conjoncture économique actuelle et les avancées réalisées au sein de l'établissement, je pense que nous avons fait le bon choix. Pour autant, j'ignore si cette nouvelle organisation perdurera…

Dans le cadre de cette commission d'enquête, on a évoqué la fermeture de l'usine, en même temps ou après celle d'Amiens-Nord : je condamne fermement ces propos. Comment une personne n'ayant pas mis les pieds à Amiens-Sud depuis quatre ans peut-elle dire cela ? Les 1 173 salariés d'Amiens-Nord vivent un enfer depuis plusieurs années mais il ne faut pas jouer sur l'inquiétude des 950 salariés d'Amiens-Sud ! Notre présence parmi vous aujourd'hui est très importante, pour nous et pour les salariés, car elle nous permet enfin de nous exprimer.

En tant qu'organisation syndicale, nous ferons tout pour améliorer le dialogue social et l'avenir du site. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir, avec l'ensemble des salariés, pour résoudre les problèmes et éviter un drame humain – la perte de leur emploi pour 1 000 salariés sans parler des prestataires !

Pourquoi l'usine d'Amiens-Nord en est-elle arrivée là ? Chacun a son idée – y compris les premiers acteurs de ce dossier – et doit avoir la franchise de la dire. Si notre organisation avait été majoritaire dans cette usine, les choses ne se seraient pas passées ainsi. Des choix ont été faits, que nous avons condamnés. Certes, cette usine n'a pas bénéficié d'investissements, mais ils étaient liés à la signature des 4x8. Notre organisation a pris ses responsabilités en signant l'accord, ce qui a permis à l'usine d'Amiens-Sud de bénéficier des investissements. Pour autant, l'organisation du travail doit être améliorée, et nous y travaillerons de tout notre coeur pour donner un avenir à l'usine. J'y crois sincèrement.

Je l'ai dit : des choix ont été faits à Amiens-Nord. D'abord, sur l'accord des 4x8 – on connaît l'issue de ce dossier. Puis sur le plan de départs volontaires (PDV). Pourquoi un groupe comme Titan en est-il arrivé à retirer son offre, alors que le PDV prévoyait la sauvegarde de 500 emplois et d'importantes enveloppes financières ? Pourquoi aucune consultation n'a-t-elle été organisée auprès des salariés sur ce plan ?

Depuis cinq ans, je vis avec le dossier 4x8 – mes nuits sont parfois très courtes. Il n'est pas simple pour nous de cotoyer nos collègues d'Amiens-Nord.

J'ajoute qu'en avril 2008, des salariés ont créé à Amiens-Nord une section CFTC, laquelle a demandé un référendum sur les 4x8. Le quorum a été respecté et le « oui » l'a emporté. Notre organisation a alors signé l'accord, mais il a été frappé d'opposition dans les quarante-huit heures par le syndicat majoritaire, la CGT. Dans ces conditions, qu'était-il possible de faire ? J'ai moi-même été victime de menaces, mais je vous avoue que les choses n'ont pas été faciles non plus pour nos deux délégués syndicaux sur le site…

À présent, Amiens-Nord et Amiens-Sud ne sont plus du tout dans la même configuration, ce que je regrette profondément. Ce qui aurait pu être le plus gros site industriel présent dans la région est dorénavant un projet derrière nous.

Je précise que le dossier que nous vous avons remis en début de séance reprend la chronologie des événements et comporte les tracts que nous avons diffusés à l'époque.

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