Intervention de Laurent Dussuchale

Réunion du 18 septembre 2013 à 17h00
Commission d'enquête relative aux causes du projet de fermeture de l'usine goodyear d'amiens-nord, et à ses conséquences économiques, sociales et environnementales et aux enseignements liés au caractère représentatif qu'on peut tirer de ce cas

Laurent Dussuchale, directeur des relations sociales de Goodyear Dunlop Tires France :

Je suis le directeur des relations sociales de Goodyear Dunlop pour la France. J'ai intégré le groupe en décembre 2008 en tant que juriste chargé des relations sociales dans les deux usines d'Amiens. Mon parcours s'est poursuivi au siège social, avec des fonctions plus larges, ce qui m'a permis de constater que le dialogue social à Amiens-Nord est différent de celui des autres établissements.

Compte tenu de mes fonctions, mon intervention portera essentiellement sur trois sujets : l'exposition des salariés aux produits chimiques ; le dialogue social, en particulier dans le cadre du projet actuel ; le projet de modernisation mis en oeuvre dans l'usine d'Amiens-Sud. Dans la mesure où, comme vous l'avez souligné, monsieur le président, d'autres membres de la direction vont prochainement être auditionnés, nous avons choisi de structurer nos interventions en tenant compte de nos prérogatives respectives.

L'exposition des salariés aux produits chimiques a été traitée au cours des précédentes auditions, mais je pense que certains points méritent d'être précisés. Ce sujet est mieux connu depuis quelques années, ce qui a conduit à une réponse de plus en plus précise du législateur, du pouvoir réglementaire et des industriels en matière de politique de prévention. En 2001, un décret a renforcé l'information des salariés sur leur exposition aux produits chimiques. Il a été complété par un décret en 2003, puis par une circulaire en 2006, preuve de la complexité de ce sujet mêlant aspects d'hygiène industrielle et médicaux.

En ce qui concerne l'usine d'Amiens-Nord, un plan d'action a été mis en oeuvre dès 2007 pour permettre la mise à disposition de fiches et d'attestations d'exposition, conformément à la réglementation. Ces fiches permettent de retracer pour chaque salarié et chaque poste de travail l'exposition aux produits chimiques. Nous sommes d'ailleurs allés au-delà de ce que la réglementation impose, puisque nos fiches remontent à 1998. Je souhaite préciser que les salariés de l'usine d'Amiens-Nord bénéficiaient, avant la mise à disposition de ces fiches et attestations d'exposition, de fiches de données de sécurité mentionnant les risques chimiques – elles ont toujours été disponibles à l'infirmerie de l'usine – et d'une formation aux risques chimiques.

La condamnation de Goodyear en 2011 concernait une carence dans les modalités d'information des salariés pour omission d'établissement d'attestation d'exposition. La situation est depuis lors régularisée.

S'agissant du dispositif de prévention, des mesures ont été mises en place à Amiens-Nord : l'évaluation du risque – ce que Michel Dheilly vous a dit pour les risques psychosociaux est également valable pour le risque chimique – ; la suppression ou la substitution de produits chimiques et la diminution des solvants ; des prélèvements biologiques et des mesures atmosphériques, réalisés à intervalles réguliers ; des mesures de protection collective, avec l'installation d'introducteurs d'air, de bâches pour canaliser les fumées de vulcanisation, d'extracteurs d'air, de mécanismes d'aspiration des poudres. En outre, des équipements de protection individuelle sont mis à la disposition de l'ensemble des salariés concernés.

Dans une démarche de transparence, l'usine d'Amiens-Nord mène depuis l'année 2010 avec le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens une étude épidémiologique qui a pour objet de comparer les constats médicaux observés sur les salariés de l'usine avec un registre départemental tenu par le CHU. Cette étude novatrice, dont les résultats seront disponibles au second semestre de 2014, nous fournira les analyses scientifiques dont nous ne disposons pas aujourd'hui, portant notamment sur les aspects de lien de causalité. Lors des réunions de CHSCT, l'inspection du travail comme la médecine du travail ont en effet indiqué que, s'il était possible d'appréhender les expositions à un certain nombre de risques de manière précise sur le plan scientifique, il était nécessaire d'aller au-delà.

Vous le savez, le projet de fermeture de l'usine d'Amiens-Nord que nous avons été contraints d'annoncer le 31 janvier 2013 intervient à la suite du constat de l'impossibilité de mettre en oeuvre les différents projets qui visaient au maintien de l'emploi à Amiens-Nord : d'une part, en 2007, le projet de complexe unique, avec plus de 2 000 salariés concernés ; d'autre part, le projet de reprise des activités agricoles par Titan, qui aurait permis le maintien de 537 emplois sur le site et qui était accompagné, en 2012, d'un plan de départs volontaires (PDV) qui était proposé par la direction et qui offrait à chaque salarié la possibilité de faire un choix sur son avenir professionnel.

Depuis cette annonce et le début de la procédure d'information et de consultation, nous constatons une obstruction systématique de la part de certains représentants du personnel. Elle se manifeste de plusieurs façons : une majorité des représentants du personnel n'assistent pas aux réunions que nous organisons ou quittent la salle avant la fin sans aucune raison ; des réunions d'instance sont organisées en notre absence ou à quelques heures d'une réunion que nous avons nous-mêmes régulièrement convoquée, avec pour seul objet de régulariser, avant que tout dialogue n'ait pu avoir lieu, une délibération pour agir en justice ; les insultes et les violences verbales à l'encontre des autres représentants des salariés ou de la direction sont également monnaie courante dans le cadre de ces réunions.

Ces mêmes représentants refusent presque systématiquement, en particulier à travers leur secrétaire de CHSCT, de signer les ordres du jour des réunions, ce qui nous contraint à aller devant les présidents des TGI pour obtenir l'autorisation de convoquer ces réunions. Ces mêmes représentants du personnel proclament systématiquement la non-validité de la procédure – non-validité qui a fait l'objet d'une première décision du TGI de Nanterre le 20 juin dernier, lequel a remis en cause ces contestations nombreuses formulées depuis l'annonce du projet au mois de février.

Par ailleurs, dans la quasi-totalité des cas, les demandes d'information, pour la plupart sans lien avec le projet, sont formulées à travers une assignation en justice. Lorsque nous répondons aux questions posées, qui sont nombreuses, nos réponses ne sont ni écoutées ni lues puisque les questions sont souvent reposées dans les mêmes termes lors des réunions suivantes. Cela a encore été le cas lors de la réunion du comité central d'entreprise (CCE) du 30 août 2013 : dans le cadre d'une procédure judiciaire devant la cour d'appel de Versailles, plusieurs questions ont à nouveau été posées ; nous y avons répondu, mais la majorité des membres du CCE, arguant de faux prétextes, a purement et simplement quitté la salle en début de réunion.

En outre, des experts sont désignés dans le seul dessein manifeste de conforter cette manoeuvre de blocage, ce qui a été sanctionné le 2 août 2013 par le TGI de Lyon. Hier encore, lors d'une réunion du CHSCT sur le projet de fermeture, qui s'est tenue à Amiens-Nord et à laquelle j'ai assisté avec M. Dheilly, la majorité des membres de l'instance a usé d'artifices procéduraux liés à l'ordre du jour et à sa rédaction pour ne pas traiter du sujet.

Il s'agit bien évidemment d'un projet difficile. Les réactions syndicales qu'il entraîne sont parfaitement compréhensibles, mais cette obstruction totale sacrifie tout dialogue sur l'autel d'une instrumentalisation systématique de la justice.

Compte tenu des conséquences de ce projet, je considère qu'une telle attitude est irresponsable. Toutefois, ma priorité, comme celle du directeur général de la société et de l'ensemble du comité de direction, est de permettre le reclassement des salariés, sachant que le bassin d'emploi en question offre peu de possibilités de reclassement dans le secteur industriel.

Le premier objectif du plan de sauvegarde de l'emploi que nous avons présenté est donc de proposer le maximum de reclassements internes au sein du groupe Goodyear en France ou, si les salariés le souhaitent, à l'étranger, où des postes de reclassement interne dans le groupe ont été identifiés.

Dans un contexte économique dégradé, en particulier dans le secteur de l'automobile, nous avons pris un engagement raisonnable, celui d'offrir au minimum 100 postes de reclassement en France, soit quarante-cinq postes dans l'usine de Montluçon et cinquante-cinq dans l'usine d'Amiens-Sud. Lorsque nous leur avons présenté cet engagement, les représentants du personnel de ces deux sites ont souligné la nécessité de ne pas trop augmenter artificiellement l'effectif de leur site respectif pour ne pas dégrader leur compétitivité. Ces mobilités internes seront encouragées par des primes incitatives comprises entre 5 000 et 8 000 euros.

À défaut de solution permettant un reclassement interne, nous avons présenté un projet de plan de reclassement externe ambitieux qui vise à adapter les actions d'accompagnement des salariés, en particulier les actions de formation, aux besoins qui seront identifiés sur le bassin d'emploi Amiens-Nord. C'est la raison pour laquelle nous avons commandé au cabinet Sodie une étude du marché de l'emploi dans le bassin amiénois. Réalisée notamment sur la base de l'étude annuelle de Pôle emploi sur les besoins en main-d'oeuvre, cette étude a identifié des besoins de main-d'oeuvre dans les secteurs suivants : préparation de matières et de produits, revalorisation de produits industriels, manutention, magasinage, maintenance mécanique industrielle, secteur du transport et, enfin, bâtiment.

Une prospection beaucoup plus active sera réalisée directement auprès des entreprises du bassin d'emploi afin de proposer le maximum de postes de reclassement dans le cadre de ce dispositif de reclassement externe.

Pour permettre aux salariés qui seraient licenciés d'avoir un profil qui corresponde à ces besoins, nous avons prévu d'importants moyens. À commencer par un congé de reclassement pouvant aller jusqu'à quinze mois, pendant lequel la rémunération serait maintenue à hauteur de 75 %, soit au-delà de notre obligation légale. Nous avons par ailleurs prévu des budgets de formation importants, de 7 000 à 9 500 euros par salarié, budgets qui seraient mutualisables de façon à mobiliser davantage de moyens pour les salariés qui en ont le plus besoin.

Afin d'inciter les salariés à trouver une solution professionnelle, nous avons également prévu des mesures d'aide au retour à l'emploi salarié, en particulier une allocation temporaire dégressive compensant pendant quinze mois une éventuelle perte de rémunération chez un nouvel employeur. Par ailleurs, des salariés qui accéderaient plus rapidement à une nouvelle solution professionnelle et qui seraient amenés à quitter de manière anticipée le congé de reclassement bénéficieraient d'une prime de reclassement rapide, d'un montant de 2 000 à 3 000 euros, et de la capitalisation de leur congé de reclassement, correspondant à 50 % des allocations qu'ils auraient perçues jusqu'à la fin du congé s'ils n'étaient pas partis de manière anticipée. Sont également prévues des aides financières à la reprise ou à la création d'entreprise, récemment portées de 15 000 à 20 000 euros.

Dans le cadre des récents CCE, des propositions ont été formulées par quelques représentants du personnel et ont permis de renforcer certaines mesures.

Bien évidemment, l'implication des salariés sera déterminante pour la réussite de ces actions. Ils doivent donc être aidés pour s'inscrire dans cette nouvelle dynamique.

Au mois d'août 2013, nous avons donc renforcé notre projet de plan de sauvegarde de l'emploi – nouveau projet transmis au CCE en vue de la dernière réunion du 30 août 2013 –, avec des mécanismes visant à favoriser l'implication des salariés à la suite notamment de préconisations reçues du ministère du Travail. Ces mécanismes consistent principalement en la mise en place d'ateliers collectifs de mobilisation à la transition professionnelle et d'une prime de mobilisation pendant les différentes phases du dispositif d'accompagnement.

Nous sommes conscients que le projet que nous avons présenté peut avoir des conséquences sur les sous-traitants – et sur les intérimaires, dont le niveau est cependant quasiment nul actuellement à Amiens-Nord. À ce titre, nous avons prévu un campus formation visant à offrir à nos sous-traitants la possibilité de bénéficier de formations, ainsi que d'un accompagnement de la plateforme de redéploiement que nous souhaitons mettre en oeuvre.

Le reclassement des salariés, dans le cadre de la procédure que nous menons depuis le 31 janvier 2013, est notre priorité absolue. C'est pourquoi nous avons renforcé, même si nous ne parvenons pas à discuter des mesures qu'il prévoit, notre projet de plan de sauvegarde de l'emploi, que je tiens à votre disposition.

Le dialogue social – qui n'est manifestement pas possible dans l'usine d'Amiens-Nord – a néanmoins permis la mise en oeuvre du projet de modernisation, à compter de l'année 2008, de l'usine d'Amiens-Sud où ont été réalisés des investissements à hauteur de 44 millions, soit au-delà de ce qui était initialement prévu dans la proposition de 2007. Ces investissements permettent aujourd'hui à l'usine d'Amiens-Sud de produire des pneumatiques haute performance qui répondent aux exigences actuelles des consommateurs en termes principalement de résistance au roulement, d'adhérence sur sol mouillé et d'efficacité énergétique.

Compte tenu de la signature de l'accord 4x8 à Amiens-Sud, l'organisation du travail au sein de cette usine a été modifiée. D'une organisation en 3x8 – trois équipes de semaine travaillaient huit heures chacune, avec des rotations soit du matin, soit de l'après-midi, soit du soir d'une semaine sur l'autre, et des équipes de week-end travaillaient douze heures par jour –, l'usine est passée, à compter du 1er janvier 2009, à une organisation continue de quatre équipes effectuant chacune des rotations de huit heures dans le cadre d'un horaire hebdomadaire moyen de trente-cinq heures.

Les conditions de travail liées à l'organisation des 4x8 ont été, nous en sommes conscients, pointés du doigt depuis leur mise en oeuvre. Néanmoins, le nombre d'accidents du travail est resté stable entre 2008 et aujourd'hui. Les premiers soins ont fortement diminué, passant cette année de cinquante à moins de vingt par mois. Le taux de présence s'est également amélioré, pour s'établir à 95 % en 2012, contre 93 % en 2009. Enfin, les absences pour maladie ont diminué, de 2,4 % en 2009 à 1,4 % en 2013.

Depuis la signature de cet accord, le statut social des salariés d'Amiens-Sud a été amélioré grâce à la signature, d'une part, d'un nouvel accord 4x8 le 23 décembre 2009, prévoyant notamment un complément 4x8 annuel – en plus du complément mensuel – et, d'autre part, d'un accord en 2012 avec les organisations syndicales permettant aux salariés de disposer plus souvent dans l'année de trois jours consécutifs de repos. Il s'agit là indéniablement d'une amélioration des conditions de travail, en particulier au regard de la conciliation de la vie professionnelle et de la vie privée.

Comme le montre l'exemple d'Amiens-Sud, le dialogue social est un facteur de progrès. Je pourrai naturellement répondre à vos questions sur le dialogue social dans les autres sites du groupe GDTF.

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