Intervention de Bruno Bézard

Réunion du 28 mai 2013 à 10h45
Commission d'enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l'action du gouvernement et des services de l'État, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d'une affaire qui a conduit à la démission d'un membre du gouvernement

Bruno Bézard, directeur général des finances publiques :

Il est devenu habituel, lors d'une audition, de commencer en affirmant que l'on est heureux d'être là : jamais je ne l'aurai pensé aussi fort qu'aujourd'hui. Nous vivons en effet une époque formidable où il est possible de tout dire sans nul besoin de connaître la matière – bien au contraire ! – et sans aucune limite : ainsi ceux qui n'avaient encore jamais vu de demande d'assistance administrative internationale dissertent-ils sur les plateaux de télévision sur la façon dont elles doivent être rédigées. Ceux qui n'avaient jamais vu auparavant de dossier de contrôle fiscal expliquent avec autorité la façon dont les formulaires doivent être remplis et le sens d'un délai non contraignant. On m'invente des missions secrètes en Suisse. J'ai même appris, il y a quelques jours, que j'avais fait pilonner les 38 millions de documents, signés par les ministres de l'économie et du budget, qui accompagnent habituellement les déclarations de revenus pour expliquer aux contribuables le sens de l'impôt, ce parce qu'ils portaient le nom de M. Jérôme Cahuzac : intéressant lorsqu'on sait que j'ai moi-même fait demander aux ministres de renoncer à cet envoi, en faisant valoir que ces lettres ne sont jamais lues et dans un souci d'économie !

Voilà quelques exemples de ce que l'on peut lire aujourd'hui dans la presse. Pour résumer : ceux qui ne savent pas parlent tandis que ceux qui savent ne peuvent pas parler, liés qu'ils sont par le secret fiscal et par la tradition peut-être excessive de silence de l'administration. Celle-ci perd ainsi toutes les batailles de communication parce qu'elle se refuse à les livrer – étant entravée par le secret professionnel. C'est pourquoi, après avoir refusé toutes les sollicitations médiatiques – fort pressantes depuis quelques semaines –, je suis vraiment heureux de pouvoir m'exprimer dans la seule enceinte qui me paraisse appropriée – devant la représentation nationale – et, non pas d'être délié du secret fiscal dans une audition qui est publique, mais d'avoir, comme les textes le prévoient, la possibilité et même le devoir de répondre aux questions du rapporteur et de lui transmettre des documents.

Cela fait aujourd'hui exactement vingt-cinq ans que je me consacre avec énergie et passion au service de l'État. J'ai choisi cette voie, dont je n'ai jamais dévié, car ce choix est avant tout celui de l'éthique et de la rigueur au service du pays et celui du respect d'une seule boussole, celle de l'éthique et de la déontologie – quelles que soient la situation, les injonctions ou les sollicitations « amicales ». Il m'est donc assez insupportable d'entendre répéter – parfois par incompétence, par mauvaise information ou pour alimenter des jeux politiques – que l'administration dont j'ai pris la responsabilité le 5 août dernier n'aurait pas fait son travail, soit par inertie, soit parce qu'elle était placée sous la responsabilité de M. Cahuzac – pour voler, donc, à son secours –, soit pour toute autre raison. De tels propos sont intolérables à double titre : premièrement, parce que si l'on ne parle guère des 115 000 agents dont je suis responsable, ils sont pourtant les premières victimes de l'affaire Cahuzac. Compte tenu de la culture de loyauté qui est celle de Bercy, ils viennent en effet de subir un choc psychologique majeur et sont aujourd'hui l'objet des invectives de contribuables en difficulté leur opposant le très mauvais exemple du ministre du budget de l'époque, alors en charge de la lutte contre la fraude. Et deuxièmement, parce que ces suggestions, insinuations et affirmations sont totalement contredites par les faits, dès lors que l'on accepte de faire l'effort intellectuel de se replacer dans la situation qui prévalait entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013 et de consulter les documents existants.

La vérité est que mon équipe, spécialement M. Gardette que vous allez entendre, et moi-même nous sommes totalement mobilisés sur ce dossier depuis le début avec comme obsession absolue de faire en sorte que l'administration fiscale ne puisse à aucun moment se voir reprocher soit de ne pas avoir effectué son travail, soit de l'avoir effectué de façon non conforme à l'éthique républicaine. Ce point n'a cessé d'être au coeur de notre démarche. Et chaque fois que l'on m'a proposé une action ou que j'en ai moi-même suggéré une, j'ai systématiquement demandé que l'on me confirme sa totale conformité à la pratique suivie pour tout autre contribuable.

En outre, dès le premier jour, j'ai précisément veillé à ce que l'on ne puisse jamais accuser la DGFiP d'avoir été instrumentalisée ou d'avoir participé à une instrumentalisation. J'entends depuis plusieurs semaines que la DGFiP aurait été instrumentalisée par le pouvoir politique. Or j'affirme solennellement et sous serment que jamais cela n'a été le cas : il n'est pas vraiment dans mes habitudes d'accepter d'amicales pressions, voire de me faire instrumentaliser, sans m'en apercevoir. Je crois faire partie de cette école de la fonction publique qui considère que le devoir de loyauté cesse lorsque la légalité ou l'éthique s'interpose. D'autres dossiers d'actualité bien connus illustrent ma capacité à dire non lorsque je l'estime nécessaire – on me fait plutôt le reproche d'une rigidité osseuse excessive, mais je considère qu'un haut fonctionnaire doit disposer d'une colonne vertébrale ! Je mets donc au défi quiconque de démontrer une instrumentalisation de la DGFiP, pour la simple et bonne raison que du 4 décembre 2012 au 2 avril 2013, mais aussi après, je n'ai cessé un seul instant de penser que mon rôle et mon honneur étaient de l'éviter.

J'ai également entendu dire, tantôt que notre demande d'assistance administrative avait été trop tardive, tantôt qu'elle avait été trop précoce, que nous aurions dû la formuler de manière encore plus large, mais en même temps qu'elle n'était pas nécessairement compatible avec l'existence d'une enquête judiciaire, ou encore qu'elle était trop large ou trop restreinte parce qu'elle relevait à l'évidence de la volonté de « sauver le soldat Cahuzac ». J'ai même entendu dire de la part de commentateurs qui ne l'avaient jamais lue qu'elle était mal rédigée, que la question posée était de mauvaise foi ou que nous en connaissions déjà la réponse lorsque nous l'avons posée. La seule chose que je n'ai pas encore entendue – mais cela ne saurait tarder –, c'est que M. Cahuzac lui-même l'aurait rédigée à la place de mes collaborateurs. On nous a même reproché le caractère secret de cette demande d'assistance administrative – comme si le secret fiscal n'existait pas en France.

En réalité, mon équipe et moi-même avons précisément étudié la façon d'utiliser cet outil – imparfait mais néanmoins utile – dans le respect d'un droit conventionnel contraignant et obtenu de couvrir la période temporelle la plus large possible, puisque nous sommes remontés jusqu'au 1er janvier 2006, en nous appuyant sur l'argument de la prescription en France qui n'avait aucune conséquence juridique dans une relation bilatérale. Nous avons également visé les ayants droit économiques de M. Cahuzac : il n'est donc pas de demande d'assistance administrative plus large que celle-là, cela n'existe pas. Et bien que la simple lecture des statistiques montre à quel point le bilan de notre relation administrative avec la Suisse est peu satisfaisant, c'est dans un délai sans précédent, de sept jours, que nous avons obtenu la réponse à notre demande.

De fait, lorsque nous avons étudié la possibilité de requérir l'assistance administrative de la Suisse, la première réaction de nos équipes a été le scepticisme quant à notre capacité d'obtenir une réponse, compte tenu de la pratique de la Suisse et du caractère peu documenté de notre demande – nous ne disposions en effet à l'époque d'aucun autre élément que les allégations de Mediapart. Nous nous sommes néanmoins donné le maximum de chances d'y parvenir, c'est-à-dire obtenir une réponse quelle qu'elle soit : j'ai notamment provoqué un appel du ministre Pierre Moscovici à son homologue suisse, Mme Eveline Widmer-Schlumpf. M. Gardette et moi-même avons également eu deux conversations avec nos homologues – M. Tanner, directeur de l'administration fiscale, et son responsable des relations internationales, M. Alexandre Dumas – afin de les prier de traiter cette demande avec le plus de diligence possible, et de remonter le plus possible dans le temps. Nous avons ainsi obtenu qu'ils remontent au 1er janvier 2006, au lieu du 1er janvier 2010 alors qu'ils n'étaient tenus par aucune obligation juridique.

J'ai reçu cette réponse par courriel le 31 janvier dans l'après-midi et ne l'ai communiquée dès le lendemain matin qu'à une seule personne d'une seule institution : le service de police judiciaire conduisant l'enquête : la division nationale des investigations financières (DNIF). J'en ai en outre immédiatement informé Pierre Moscovici, à qui je n'ai toutefois pas communiqué le document et qui ne me l'avait d'ailleurs pas demandé. Je communiquerai à votre rapporteur la demande d'assistance que nous avons adressée à la Suisse ainsi que la réponse précise que nous avons obtenue.

On nous demande également pourquoi notre interrogation n'a porté que sur UBS : mais parce que c'était là le seul et unique sujet en cause au moment de notre demande d'assistance ! L'accusation portée par Mediapart, qui l'a répétée quelques jours avant l'envoi de notre demande à la Suisse, et même encore après réception de la réponse, ne faisait état que d'un compte chez UBS, fermé puis transféré à Singapour en 2010. Jamais un compte dans une autre banque n'a été mentionné dans cette période, c'est-à-dire avant l'envoi de la demande d'assistance, le 24 janvier.

Certains réécrivent l'histoire en soutenant que la simple mention, dans quelques articles, de personnes physiques, MM. Dreyfus et Reyl, gravitant autour de M. Cahuzac – tout comme de quelques autres résidents fiscaux français – valait affirmation nouvelle, selon laquelle le compte en question se serait trouvé, non pas chez UBS, mais à l'établissement Reyl. Or cela est inexact ! Il suffit pour s'en rendre compte de relire les articles publiés à l'époque.

Notre demande d'assistance administrative a porté sur une période de temps commençant bien avant janvier 2010 : nous avons voulu remonter en deçà de cette date, à laquelle nous aurions pu nous tenir, pour « capturer plus large ». Et si nous avions eu connaissance à la mi-janvier de l'implication d'un autre établissement bancaire, nous aurions bien évidemment également interrogé les Suisses sur celui-ci, étant entendu que, comme nous l'avons amplement démontré au cours de longs débats avec les présidents des commissions des finances de votre assemblée ainsi que du Sénat – et comme cela a d'ailleurs été confirmé par le gouvernement suisse – , nous ne pouvions formuler d'interrogation générale : il nous fallait spécifier le nom de la banque concernée.

Si nous n'avons pas interrogé Singapour, c'est que le point que nous souhaitions vérifier était l'existence d'un transfert d'UBS vers cet État, en 2010. La demande que nous avons adressée à la Suisse couvrait tout transfert d'UBS vers tout autre pays, ce sur une période infiniment plus large – allant du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2012 – que celle mentionnée par la presse dans ses allégations. Et si nous avons pu obtenir une réponse portant sur ces sept exercices, au lieu de trois comme le prévoit la convention fiscale qui nous lie à la Suisse, c'est parce que nous avons insisté !

Pouvions-nous adresser une demande de coopération administrative alors même que la justice était saisie ? Oui, bien sûr ! Rien ne s'oppose, et c'est heureux, à ce que l'administration fiscale poursuive son travail pendant une enquête préliminaire. Il peut d'ailleurs arriver, même lorsqu'une information judiciaire est ouverte et qu'un juge d'instruction est désigné, que nous adressions ce type de demande d'entraide administrative en étroite articulation avec le juge ou à sa demande, en vertu du principe de spécialité selon lequel on distingue le canal fiscal du canal judiciaire. Nous avons en revanche estimé devoir transmettre immédiatement à la justice – et à elle seule – le texte de la réponse suisse, dès que nous l'avons reçue. Nous avons d'ailleurs travaillé depuis le début à livre totalement ouvert avec la justice, et en particulier avec le service de police judiciaire de la DNIF en charge de l'enquête préliminaire, auquel nous avons donné accès, dès sa demande à la mi-janvier – soit au tout début de l'enquête préliminaire –, à l'intégralité du dossier de M. Cahuzac depuis plus de vingt ans.

Avant de répondre à vos questions, je souhaiterais vous dire exactement comment les choses se sont déroulées et vous préciser quelles ont été notre philosophie et notre règle de conduite depuis le début.

C'est le 4 décembre dernier, lorsque l'article de Mediapart a été publié, que j'ai entendu pour la première fois une allégation concernant M. Cahuzac. Consternation. Incrédulité. Très vite, la quasi-totalité de la classe politique et des médias prend la défense de l'intéressé, critique les méthodes d'investigation de Mediapart et estime que les allégations sont infondées et diffamatoires. J'ai le souvenir d'un imitateur de talent parodiant cet événement en produisant un enregistrement inaudible dans lequel on ne saisissait que le mot « aéroport » et en déduisant dans l'hilarité générale que M. Cahuzac était responsable des attentats du 11 septembre !

Ce même 4 décembre, M. Cahuzac affirme à son cabinet et à son administration que de telles accusations sont totalement infondées et diffamatoires. Je ne rappellerai pas ici les termes utilisés par l'intéressé pour qualifier le journal en question. Le lendemain, devant la représentation nationale, il nie solennellement et avec force avoir jamais eu un compte à l'étranger. Nous sommes donc tous consternés et choqués par ces accusations à l'égard d'un responsable politique, par ailleurs encensé sur tous les bancs, qui hurle son innocence – et qui, accessoirement, est mon supérieur hiérarchique direct. Oui, mais ! Ma vie en général et ma carrière au service de l'État m'ont cependant appris que l'impensable ne peut jamais être totalement exclu, si choquant soit-il. C'est pourquoi je me dis immédiatement, le 5 décembre, que le rôle précis de la DGFiP sera évidemment un sujet de débat public dans cette affaire et qu'il nous faut donc faire preuve d'exemplarité et documenter dès le début toute notre action.

Le 5 décembre, je décide de demander le déport de M. Cahuzac de tout sujet pouvant le concerner personnellement – mon souhait étant d'éliminer le conflit d'intérêts potentiel entre un ministre, responsable hiérarchique de l'administration fiscale, et le contribuable faisant potentiellement l'objet d'investigations de la part de cette même administration. Cela nous conduit à aborder la question de la « muraille de Chine ». Le même jour, j'annule tous mes engagements et je me mets personnellement à la rédaction d'une note écartant le ministre Cahuzac, non seulement du traitement de ce qui devenait « l'affaire Cahuzac » mais aussi de toute information relative au traitement d'un dossier a priori sans lien mais dont le point commun est le nom d'une banque – UBS. Et si nous avions disposé d'informations concernant une autre banque au cours de cette période, je l'y aurais ajoutée. Discutant de cette note avec la directrice juridique du ministère – qui a elle-même eu à gérer quelques affaires complexes liées à la prévention des conflits d'intérêts –, nous tombons d'accord sur une rédaction.

Le 6 décembre, j'indique aux deux directeurs de cabinet que je considère comme tout à fait indispensable d'ériger cette « muraille de Chine » afin de pouvoir travailler dans des conditions incontestables. Une administration est au service de l'État et non de personnalités politiques. Au terme de quelques échanges, le principe est retenu, le texte quasiment inchangé est finalisé à ma demande le 7 décembre au cours d'une réunion chez la directrice de cabinet de M. Cahuzac, en présence de la directrice des affaires juridiques et de moi-même. Ce texte me revient alors formellement signé le 10 décembre.

En vingt-cinq ans de carrière, et après avoir eu à traiter des dossiers parfois fort délicats, c'est la première fois que j'ai estimé devoir écarter mon patron direct d'un dossier le concernant, alors même qu'il venait la veille de réaffirmer son innocence. Peut-être pourrait-on considérer que cela ressemble davantage à de l'audace, voire à du courage, qu'à une attitude servile ou à celle de quelqu'un prompt à se laisser manipuler. Je vous invite, Mesdames et Messieurs, à trouver des déclarations, émises entre le 4 et le 10 décembre, allant dans le sens des accusations de Mediapart : vous n'en trouverez guère. Et pourtant nous avons fait tout ce que je viens de dire.

Des questions ont été posées quant au principe et à la forme de la « muraille de Chine ». Je réaffirmerai tout d'abord que c'est moi qui en ai pris l'initiative et qui ai utilisé cette dénomination. Il s'agit en effet d'une procédure très classique dans toutes les entreprises et organisations où se pose ce type de problèmes – comme j'en ai fait l'expérience lorsque j'ai eu la responsabilité d'entreprises publiques : un responsable pouvant se trouver dans une situation de conflit d'intérêts ponctuelle ou plus longue se déporte alors au profit d'une autre personne. Dans la forme, il ne s'agit jamais d'un retrait de délégation à l'initiative d'une autorité supérieure, mais d'un acte individuel de déport au profit d'une personne désignée, signé par la personne concernée par le conflit d'intérêts – et en l'occurrence, fortement suggéré par son directeur général des finances publiques.

Enfin, je ne vois guère en quoi la brièveté du texte en réduirait la portée. Je pense en général que la force des propos est inversement proportionnelle à leur volume. Votre président ayant relevé que la véritable muraille de Chine a souvent été contournée – ce qui est historiquement exact –, je peux témoigner devant vous qu'après le passage furtif de tel ou tel éclaireur, je n'ai pas vu d'envahisseur mongol s'aventurer près de cette construction, qui a donc tenu.

Cependant, ce 10 décembre, tout Paris, à quelques exceptions près, croit encore à l'innocence de M. Cahuzac…

Que faisons-nous, pourtant ? Le 14 décembre, à la demande de notre administration centrale, la direction régionale des finances publiques de Paris adresse une demande formelle portant en langage fiscal le nom de « 754 » à M. Cahuzac : il s'agit pour lui, non pas du tout de nous confirmer qu'il n'a pas de compte à l'étranger, mais de bien vouloir nous fournir toutes les informations nécessaires, et notamment les avoirs, sur le ou les comptes qu'il détiendrait ou aurait détenus à l'étranger. J'ai entendu dire à tort que nous avions demandé à M. Cahuzac, comme à tous les ministres, de nous confirmer dans un délai impératif de trente jours qu'il n'avait pas de compte en Suisse : c'est totalement inexact. D'abord, cette requête fut limitée à M. Cahuzac, dans le cadre d'une procédure dite « procédure 754 », par laquelle nous lui avons demandé de nous donner toutes les informations possibles sur ce compte, et non pas de nous confirmer qu'il n'en avait pas ! La différence est majeure. Je fournirai ce document à votre rapporteur à l'issue de cette audition.

Cette procédure n'a rien à voir avec le processus d'examen de la situation fiscale de l'ensemble des membres du Gouvernement : il s'agit là, je le répète, d'une demande spécifique adressée au seul Jérôme Cahuzac. D'ailleurs, entre nous, afin de préserver la muraille de Chine, nous appelions celui-ci « le contribuable concerné », et non plus « le ministre », sur ces sujets-là. Nous lui avons adressé cette demande en ne disposant que d'éléments très limités : à savoir l'article de Mediapart, sans aucun autre élément de documentation. Ce fut la première fois dans l'histoire de l'administration fiscale – nous avons estimé que l'importance du sujet le justifiait – que l'on envoyait un formulaire 754 sur le fondement d'un dossier aussi peu étayé.

Une telle demande était une pièce de procédure nous permettant ensuite de passer à l'étape suivante – celle de l'assistance administrative avec la Suisse – car il nous fallait d'abord épuiser les voies internes.

Le vendredi 21 décembre, Mediapart titre en page 3 : « L'administration fiscale enquête sur son propre ministre », expliquant que la direction régionale des finances publiques de Paris enquête depuis quelques jours sur les déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) de M. Cahuzac – sous-entendant qu'en sus des révélations sur un compte éventuel en Suisse, nous aurions par ailleurs déclenché un contrôle fiscal de M. Cahuzac. Souhaitant rectifier les faits, nous publions le lendemain, soit le samedi 22 décembre, en fin de soirée, les termes précis de notre intervention, indiquant : « Aucun contrôle ou enquête n'est en cours à l'encontre d'un membre du Gouvernement. Comme c'est l'usage pour chaque nouveau Gouvernement, la DGFiP procède à un examen de la situation fiscale des membres du Gouvernement. C'est cette procédure qui est en cours et qui vise à assurer que la situation de chacun des membres du Gouvernement est irréprochable et exemplaire. » Cela est parfaitement exact et tout à fait incontestable. Nous ne nions aucunement que des investigations soient en cours sur la personne de M. Cahuzac, comme d'ailleurs sur d'autres membres du Gouvernement. Mais il ne s'agit juridiquement et techniquement ni d'une enquête ni d'un contrôle – notions qui correspondent à des procédures de droit fiscal bien précises puisque encadrées par le livre des procédures fiscales. Mediapart semble très frappé par cette mise au point puisque le journal publie dès le lendemain un nouvel article et M. Edwy Plenel lors de son audition de mardi dernier évoque ce sujet à cinq reprises. Y est sous-entendu que la DGFiP aurait été instrumentalisée pour voler au secours de son ministre, qu'elle est tellement peu fière de son texte qu'elle l'a publié nuitamment et qu'elle a évité la voie formelle d'un communiqué en dictant des mots à des agences afin d'éviter toute traçabilité. Tout cela est absolument faux, si ce n'est le fait que nous ayons travaillé tard ce samedi 22 décembre. Nous n'avons rien dicté oralement à des agences mais envoyé un courriel, que je vous remets. C'était donc parfaitement traçable. Le texte que nous avons publié est parfaitement exact techniquement. Nous y affirmons clairement que des travaux sont effectivement en cours sur la situation fiscale de certains membres du Gouvernement. Cela est bien normal puisqu'il s'agit là de la procédure générique d'examen de la situation fiscale des membres du Gouvernement. Ce communiqué ne « noie » donc absolument pas « le poisson » ! Au contraire, il réaffirme que cette procédure est en cours et je vous rappelle qu'elle ne portait pas que sur M. Cahuzac.

Je reviens à présent sur la date du 14 janvier, qui a pris une importance extraordinaire depuis quelques semaines. Si l'on en parle, c'est parce qu'elle se situe trente jours après la date d'envoi du formulaire 754 à Jérôme Cahuzac. Il nous a été demandé indirectement quelles conclusions nous tirions de l'absence de réponse de sa part. Or, celui-ci venant devant la représentation nationale et sur tous les plateaux de télévision de confirmer avec force, « les yeux dans les yeux », « en bloc et en détail », que ces allégations étaient mensongères, imaginez-vous une seule seconde que nous nous attendions à ce qu'il envoie à son centre des impôts un document indiquant qu'il s'était trompé devant l'Assemblée nationale et qu'il possédait bel et bien des comptes en Suisse ? Le délai de trente jours mentionné dans ce formulaire n'étant absolument pas contraignant – il mentionne même « si possible », l'administration ne peut, s'il n'est pas respecté, en tirer de conséquences juridiques sous forme d'une taxation d'office – contrairement à ce qui se passe habituellement en l'absence de réponse d'un contribuable. Il ne se passe donc strictement rien le 14 janvier. Et je n'en parle même pas au ministre, à qui je n'ai d'ailleurs rien dit de l'envoi de ce formulaire, dans la mesure où je n'ai pas à lui rendre compte de l'ensemble des diligences de l'administration fiscale relatives à des dossiers individuels – fût-ce celui du ministre délégué au budget – ; Sauf sur un point : j'ai estimé que lorsqu'il s'agit de contacter un État étranger, il convenait d'en parler au Gouvernement

Le 14 janvier, nous étions en train de préparer notre demande d'assistance administrative : ce jour correspond donc à un non-événement. Et que M. Cahuzac répondît ou pas, nous aurions adressé cette demande de toute façon. Il nous fallait simplement attendre de purger la procédure interne puisque les conventions de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) prévoient qu'un État ne s'adresse pas à un autre sans avoir appliqué les mesures internes dont il dispose.

À la date du 24 janvier, nous avons déjà beaucoup travaillé à la rédaction du texte et pris la précaution de rajouter l'expression d'« ayant droit économique ». J'ai eu deux conversations téléphoniques avec mon homologue et son collaborateur les 22 et 23 janvier pour leur annoncer notre intention de leur faire parvenir cette demande et les prier de la traiter rapidement et d'accepter de remonter dans le temps. Nous recevons leur réponse par courriel le jeudi 31 janvier.

Pour terminer, je souhaiterais revenir sur un épisode détestable, qui m'a beaucoup marqué, au cours du week-end des 9 et 10 février. Un journal paraissant précisément le week-end titre alors : « Les Suisses blanchissent Cahuzac ». Cet article fait parler non seulement l'entourage du ministre de l'économie, mais surtout, sous le sceau de la confidence, « une source administrative à Bercy » – alors même qu'aucun contact n'a eu lieu avec nous, et pour cause. Curieuse méthode ! Le rôle de la DGFiP consiste à assurer, avec les moyens dont elle dispose, l'application de la loi fiscale, et non pas de communiquer ni de contribuer à la communication des membres du Gouvernement. Non seulement nous n'avons eu aucun contact avec la presse postérieurement à l'arrivée de la réponse suisse – ni antérieurement d'ailleurs –, mais j'ai précisément refusé de prendre au téléphone ce journaliste qui, mystérieusement, avait obtenu mon numéro de portable. Le moins que l'on puisse dire, c'est donc que la DGFiP n'a été à l'origine d'aucune opération de communication, ni n'y a participé, directement ou indirectement. Ce n'est pas notre rôle. Vous comprendrez donc ma fureur en lisant cet article ! J'avais d'ailleurs recommandé aux autorités politiques la plus grande discrétion sur la réponse suisse dès réception de celle-ci, rappelant tout d'abord les contraintes du secret fiscal mais aussi le fait que cette réponse, bien que précise, était nécessairement partielle. Mardi dernier, l'un des intervenants a indiqué que cette réponse suisse était à l'évidence à prendre avec des pincettes. Je suis tout à fait d'accord sur ce point et c'est d'ailleurs exactement ce que nous avons fait : nous l'avons mise au coffre, transmise à la justice et prise avec des pincettes.

Les questions relatives à la situation fiscale de M. Cahuzac ne se limitent pas à la détention de comptes à l'étranger non déclarés mais concernent également d'autres aspects partiellement divulgués par la presse, notamment dans des articles des 21 et 23 décembre – points sur lesquels je souhaiterais pouvoir informer votre rapporteur et lui remettre un ensemble de documents. La DGFiP a mené ses diligences sur cette autre partie du dossier conformément aux textes qui régissent le secret fiscal. Et je puis dire sans déroger au secret fiscal que toutes les anomalies détectées à l'examen du dossier à l'été ont été portées à la connaissance du contribuable, d'abord par mon prédécesseur, puis par moi-même, avant d'être directement traitées à notre demande par le service local avec le conseil du contribuable, dans les conditions de droit commun.

Tel est le témoignage aussi précis que possible que je tenais à porter devant vous. J'ai eu l'occasion depuis le dénouement partiel du 2 avril, date à laquelle j'ai appris la nouvelle, de me demander en mon âme et conscience si nous avions bien agi à tout moment. J'ai revu chaque étape et j'affirme aujourd'hui sous serment que oui : je considère que, dans ce dossier très difficile qui mettait directement en cause son patron, la DGFiP a été extrêmement rigoureuse. Elle a certes été discrète mais c'est là son devoir. Elle a également été particulièrement proactive, comme l'illustre le simple énoncé de la chronologie, et a veillé à la neutralité républicaine qui s'impose à toute administration.

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