Intervention de Marion Bougeard

Réunion du 23 juillet 2013 à 9h30
Commission d'enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l'action du gouvernement et des services de l'État, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d'une affaire qui a conduit à la démission d'un membre du gouvernement

Marion Bougeard, ancienne conseillère pour la communication et les relations extérieures au cabinet de M Jérôme Cahuzac :

Avant de répondre à vos questions, je crois nécessaire de rappeler pourquoi nous avons cru cet homme. Plusieurs de ses collaborateurs, dont j'étais, avaient travaillé plusieurs années avec lui. Engagés comme militants socialistes, nous avons – nous avions – l'impression de partager des valeurs et des principes qui nous semblaient être communs. C'était un homme qui nous poussait plus loin, qui nous apprenait énormément, qui nous faisait confiance même quand nous maîtrisions les sujets moins bien que lui, qui ne négligeait jamais nos opinions. Il donnait aussi l'impression d'avoir un sens immense de l'amitié. Vous imaginez donc l'émotion d'avoir cru connaître cet homme, de l'avoir cru – nous avions pour lui une admiration incroyable – et la déception immense, la souffrance intense et le sentiment de trahison que nous avons éprouvés. J'insiste parce que, quand vous admirez quelqu'un à ce point, vous vous engagez au point d'y passer vos nuits et vos jours, vous sacrifiez vos week-ends, votre vie de famille, certaines de vos relations, cela s'explique par la force démesurée de sa capacité de conviction.

Je suis désolée de cette digression qui a peu à voir avec d'éventuels dysfonctionnements.

Le 3 décembre, je suis porteuse d'un e-mail envoyé sur une adresse électronique qu'il ne consultait pas, et que j'ai imprimé pour le lui apporter dans l'hémicycle, où s'ouvraient les débats du collectif budgétaire de fin d'année. J'étais attendue au banc puisque les membres d'un cabinet sont présents aux côtés du ministre de façon à rédiger ses réponses. Je lui apporte donc une enveloppe contenant cet e-mail et les questions qu'il pose, et dont j'ai évidemment pris connaissance. J'ai écrit à la main « Quelles sont tes instructions ? » – la question la plus ouverte à mes yeux –, mais j'aurais pu aussi transmettre le message sans l'annoter. Sa réaction immédiate – peut-être certains en ont-ils été témoins – a été de déchirer le papier en mille morceaux et de me les jeter à la figure, à la stupéfaction de ceux qui étaient autour de moi. Il a élevé la voix alors qu'il était dans l'hémicycle. Je pense qu'il était d'emblée résolu à dissimuler la double vie qu'il avait menée pendant des années et qu'il a laissé libre cours à sa colère, pour me convaincre, moi. Avec d'autres personnes, il utilisera d'autres moyens. Il doit imaginer que le fait de le voir ainsi, désireux de se battre, c'est ce dont j'ai besoin pour être convaincue.

Ce soir-là, oui, je l'ai cru. Oui, je lui ai conseillé de se défendre, et de choisir des avocats. Je lui ai proposé deux noms ; il n'en a retenu aucun. Évidemment, je l'ai cru quand il a juré devant vous tous. En ce qui me concerne, je ne peux pas imaginer que l'on mente à la représentation nationale et au Président de la République. C'est peut-être naïf, mais, à aucun moment, je n'ai pensé qu'il osait prendre un tel risque.

Évidemment, j'ai douté. Comment ne pas douter ? Mais il était tellement droit dans ses bottes qu'il aurait été extrêmement compliqué de soutenir une conversation sur un tel doute.

Mon travail au sein du cabinet ne consistait pas à faire la communication de l'homme, mais à porter les messages et assurer la communication de ce que certains d'entre vous ont beaucoup dénoncé, et qui s'appelait le « redressement dans la justice ». L'affaire éclate au moment où nous entamons la lecture du collectif budgétaire. Nous enchaînons avec les deuxièmes lectures du projet de loi de finances, de la loi de programmation des finances publiques et du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous passons donc trois semaines entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Mon travail consiste à faire en sorte que le ministre pour lequel je travaille soit prêt pour les débats, dispose de ses réponses, des argumentaires sur les amendements. Parce que j'avais une équipe qui s'occupait beaucoup des relations presse du ministère, ma tâche principale était de travailler les argumentaires, les dossiers de presse et l'ensemble des fiches qui sont à la disposition de tous pour préparer les débats parlementaires.

Oui, j'ai répondu aux médias. Surtout dans cette période très particulière du calendrier budgétaire où nous – plusieurs collaborateurs étaient concernés – étions aux côtés du ministre. J'ai répondu essentiellement sur des éléments biographiques, pour des portraits, car, à ce moment-là, l'intérêt des médias se focalisait sur l'homme qui, même s'il bénéficiait d'une image médiatique importante dans l'équipe gouvernementale, était encore très peu connu du grand public.

Je n'avais de toute façon pas d'information sur l'affaire. Dès lors qu'il a pris un avocat, c'est-à-dire le soir même, et qu'il a eu des réunions quotidiennes, ou hebdomadaires – je ne connaissais pas tout son agenda – avec ses conseils, c'est avec eux qu'il a décidé de sa stratégie. Je n'ai jamais eu à écrire une note, ou ce qu'il est convenu d'appeler « élément de langage » et que j'appelle toujours message clef ; bref, je n'ai jamais eu à écrire quoi que ce soit sur cette affaire, puisque l'essentiel des interventions médiatiques du ministre pour lequel je travaillais portait sur les questions budgétaires et financières de la France. C'était ce pour quoi j'étais rémunérée au sein du cabinet, et le travail d'un membre de cabinet ne diminue pas parce qu'il y a une affaire médiatique. Je n'étais pas déchargée de mon travail parce qu'il se passait quelque chose. La répartition des tâches s'est rapidement faite entre les avocats, chargés de l'homme, et les collaborateurs qui travaillaient pour le ministre et pour le Gouvernement, dans une période où, je le rappelle, une simple circulaire de la direction du budget a fait la une de certains journaux. Dès le mois de janvier, la matière budgétaire était devenue un sujet éminemment appétissant. Dans ce contexte, mon travail n'a pas du tout baissé en intensité – je parle évidemment du travail pour lequel j'étais rémunérée. Non, je n'ai livré aucune information aux médias, tout simplement parce que je n'en avais pas.

Au sein du cabinet – la directrice de cabinet l'a évoqué –, le sujet n'était pas omniprésent puisque notre tâche quotidienne était extrêmement lourde. Les appels que je recevais étaient de ceux que l'on pose traditionnellement à un collaborateur du ministre du budget. Oui, j'ai poursuivi ma tâche, même si cela peut paraître étonnant. Je rappelle qu'au même moment, nous lançons la campagne de communication sur le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), nous lançons un nouveau site web, nous lançons la refonte du site impots.gouv.fr dans le cadre de la simplification administrative qui sera engagée par le Président de la République quelques semaines plus tard. Nous préparons, je le dis avec une pointe d'ironie, le comité national de lutte contre la fraude avec de nouvelles mesures, ainsi que la publication des statistiques européennes sur le déficit des États membres, etc. Nous n'avions pas à nous préoccuper de la communication de l'homme, d'autant moins que l'agenda de communication du ministre était extrêmement chargé.

Par ailleurs, nous préparions bien évidemment les interventions médias et si je n'ai pas eu le courage de relire les scripts, je peux me fier à ma mémoire : à l'exception des deux premières ou des deux dernières questions d'une interview, 95 % d'entre elles portaient sur les sujets d'actualité budgétaire et financière qui ont, au long du premier trimestre, préoccupé les médias.

Oui, j'ai appris la vérité le 2 avril. J'avais quitté le cabinet le 20 ou le 21 mars, sur les derniers mots de cet homme : « Ne doute jamais de moi. » Je l'ai eu une fois au téléphone la semaine d'après. Il m'a dit : « Ne t'occupe pas de moi, préoccupe-toi de toi. » Au regard des événements qui ont suivi, ces propos prennent tout leur sens et leur saveur. J'ai tout découvert le 2 avril. Un de ses amis a entendu la radio – moi non, car je n'étais pas à Paris – et il m'a appelé pour partager le fardeau d'une vérité qu'il avait apprise de la bouche de cet homme quelques heures auparavant.

Ç'a été, c'est très difficile. On ne se remet pas d'une trahison politique et amicale en un tournemain. Reconnaître qu'on a été abusé est extrêmement difficile. La limite entre l'abus et la manipulation est très fine. Vu la masse de travail que nous avions au sein du cabinet du budget, je peux vous affirmer que non, je n'ai pas été manipulée, mais que j'ai été abusée.

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