Intervention de Didier Migaud

Réunion du 4 juillet 2012 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Monsieur le Président, monsieur le rapporteur général, Christian Eckert, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi de m'associer, à titre personnel, à la tristesse suscitée par la disparition brutale d'Olivier Ferrand, dont l'annonce nous a tous bouleversés.

Je vous remercie d'avoir, pour la première audition de la Commission des finances de la législature, choisi d'entendre la Cour des comptes. Vous le savez, l'une des missions de notre juridiction est de vous faire part de ses constats, analyses et préconisations sur la situation des comptes de l'État et, plus largement, sur celle des finances publiques. À travers les rapports prévus par la loi organique relative aux lois de finances, mais aussi les enquêtes que vous nous demandez chaque année, les travaux d'évaluation des politiques publiques que nous vous livrons, ainsi que les rapports publics thématiques, référés et rapports particuliers dont vous prenez connaissance, la Cour remplit sa mission d'assistance au Parlement pour le contrôle de l'action du Gouvernement.

Je suis accompagné de Raoul Briet, président de la première chambre et président de la formation interchambres « Exécution du budget et comptes de l'État », de Jean-Marie Bertrand, président de chambre et rapporteur général de la Cour, de Denis Morin et François Ecalle, conseillers maîtres, qui ont, avec d'autres magistrats, préparé ce rapport.

L'audition de ce matin permet à la Cour de vous livrer son analyse destinée à nourrir le débat d'orientation des finances publiques. Le rapport sur les finances publiques inclut cette année, conformément à une demande du Premier ministre, une évaluation détaillée des risques pesant sur la fin de la gestion 2012 et des enjeux qui sont associés, pour les années suivantes, au respect de la trajectoire de retour à l'équilibre des comptes publics. Dans le cadre de la procédure contradictoire, le Gouvernement a eu connaissance d'une version provisoire du rapport dès le 22 juin. Il a donc pu tirer parti de cette analyse avant de prendre les arbitrages qui lui reviennent et d'élaborer le projet de loi de finances rectificative que vous examinerez très prochainement et qui sera soumis à votre approbation.

La Cour n'a pas eu l'occasion de vous présenter les deux travaux qu'elle a livrés à l'attention du Parlement en mai et que j'ai eu l'occasion de présenter devant la Commission des finances du Sénat : l'acte de certification des comptes pour 2011 et le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de 2011. Je vous présenterai donc de façon très synthétique les enseignements qu'il convient d'en tirer pour l'État. Ensuite, j'élargirai l'analyse à toutes les administrations publiques en 2011, dans l'esprit du rapport sur les finances publiques publié avant-hier. Puis je vous présenterai les enjeux de la conduite du redressement pour 2012, 2013 et les années suivantes.

Avant tout, je souhaite insister sur l'enjeu que représente pour la France, à ce moment de son histoire, le retour à l'équilibre durable de ses comptes publics. N'ayant pas assuré depuis plus de trente ans l'équilibre de ses comptes – ne serait-ce qu'une année, même en période de forte croissance –, la France est entrée dans la crise avec une dette trop élevée et des comptes en déficit structurel. Au cours des dix années qui ont précédé la crise, nos engagements européens de redressement des comptes n'ont quasiment jamais été tenus. Maintes fois, le retour à l'équilibre de nos comptes a été annoncé et sans cesse différé, alors que les contextes économiques étaient dans certaines circonstances favorables à un tel rétablissement. Cette situation a nui à la crédibilité de la France à l'égard de ses partenaires européens.

Au plus fort de la crise, en 2009, le déficit public a atteint le niveau historique de 142 milliards d'euros, soit 7,5 % du PIB. La dette a vivement progressé et devrait dépasser, à la fin de l'année 2012 ou au début de 2013, 90 % du PIB. Ce niveau d'endettement est dangereux pour notre pays, pour son économie comme pour ses finances publiques. En effet, le risque d'un emballement de la dette ne peut être écarté. La crise des dettes souveraines en Europe montre que ce risque n'est pas théorique. Lorsqu'elles sont avérées, de telles situations conduisent les États concernés à des choix économiques et sociaux drastiques et à un renoncement douloureux à leur souveraineté.

Afin que ce risque ne se concrétise pas, il convient que la France respecte la trajectoire de financement qu'elle s'est fixée et qui passe par un déficit de 4,4 % du PIB en 2012 puis, depuis le programme de stabilité de janvier 2010, par un déficit de 3 % du PIB en 2013, pour atteindre l'équilibre en 2016 ou 2017. D'autres raisons militent pour un retour à l'équilibre rapide des comptes publics. La première est le niveau atteint par la charge d'intérêt des administrations publiques, soit 52,6 milliards d'euros. Il prive notre pays d'importantes marges de manoeuvre qui lui manquent particulièrement en période de crise. Plus le redressement sera tardif, plus il sera difficile à conduire : si agir a un coût, ne pas agir en aura un, selon nous, encore plus grand, parce qu'entre-temps, la dette et la charge d'intérêt auront continué à progresser. Enfin, le niveau de la dette pose une question d'équité entre les générations, cette dette finançant pour l'essentiel des dépenses de fonctionnement dont rien ne justifie que la charge soit transférée sur les générations les plus jeunes.

L'analyse de la Cour a montré qu'en 2010, les deux tiers du déficit public étaient indépendants de la crise et présentaient un caractère structurel. Ce déficit structurel, hérité du passé, était déjà de 3,5 % du PIB en 2007 ; il était très proche de 4 % du PIB en 2011. Ces quatre points de PIB, soit 80 milliards d'euros, représentent le chemin à parcourir d'ici à 2016 ou 2017 pour garantir un retour à l'équilibre des comptes, indépendamment de la conjoncture économique.

Avant d'analyser la situation de l'État en 2011, puis celle des administrations publiques dans leur ensemble, je voudrais vous résumer brièvement le contenu de l'acte de certification des comptes de l'État en 2011.

La certification vise à apporter une assurance raisonnable sur la régularité, l'image fidèle et la sincérité des états financiers – bilan, compte de résultat, tableau des flux de trésorerie, annexes – de la comptabilité générale de l'État. Celle-ci se distingue de la comptabilité budgétaire, qui, elle, n'est pas certifiée. Elle est fondamentale pour apprécier l'évolution des passifs et des engagements de l'État, ainsi que celle de ses actifs, au-delà de l'annualité budgétaire. À titre d'illustration, elle donne des informations sur diverses obligations supportées par l'État et regroupées sous le poste de provisions pour risques et charges, qui s'établissent à 114 milliards d'euros au 31 décembre 2011. Ces obligations donneront lieu, de manière probable, à des décaissements futurs en 2012 et sur les exercices suivants, par construction non pris en compte dans l'exécution budgétaire de 2011. De la même manière, est présenté pour la première fois cette année dans les comptes, à la demande de la Cour, un tableau synthétique des principaux engagements hors bilan de l'État. Vous y verrez le caractère très divers des engagements pris par l'État vis-à-vis de tiers, et le volume des engagements relatifs aux retraites des fonctionnaires, aux garanties, et à certains dispositifs d'intervention.

La Cour certifie qu'au regard des règles et principes comptables qui lui sont applicables, le compte général de l'État de l'exercice clos le 31 décembre 2011 et arrêté le 10 mai 2012 est régulier et sincère, et donne une image fidèle de la situation financière et du patrimoine de l'État, sous sept réserves, substantielles, comprenant soixante et onze points significatifs d'audit, contre soixante-six au 31 décembre 2010.

Des progrès ont été constatés sur la comptabilisation du patrimoine immobilier de l'État, qui ont permis à l'administration de fiabiliser les données physiques du parc immobilier – telles que les surfaces ou l'état des biens – enregistrées dans le système d'information. Toutefois, aucune des sept réserves substantielles que la Cour avait formulées sur les comptes de 2010 n'est levée cette année.

La réserve relative aux passifs d'intervention a été étendue cette année aux autres passifs non financiers et aux engagements hors bilan. Elle porte sur des problèmes récurrents d'exhaustivité du recensement par l'administration des passifs et engagements hors bilan, concernant notamment les garanties apportées par l'État. La réserve relative aux immobilisations financières s'est, elle aussi, alourdie cette année d'un désaccord sur le statut comptable des établissements publics de santé.

Pour conclure en ce qui concerne l'acte de certification, l'année 2011 a marqué un net essoufflement de la trajectoire d'amélioration de la qualité des comptes de l'État engagée depuis 2006. La Cour avait pris en 2007 le parti initial de certifier les comptes de l'État, malgré les insuffisances qu'elle avait retracées sous la forme de treize réserves substantielles. Cette démarche d'accompagnement implique une amélioration continue de la qualité des comptes de l'État, année après année. Pour l'essentiel, tel n'a pas été le cas en 2011, la dynamique de progrès ayant connu un ralentissement marqué. Dès lors, si ce ralentissement devait se poursuivre en 2012 – et j'ai eu l'occasion de le dire le 30 mai dernier devant la Commission des finances du Sénat –, la Cour ne s'interdirait pas de réévaluer sa position initiale.

Le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire permet de préciser cette analyse pour le budget de l'État en 2011 et d'en tirer des enseignements. Je vous en livre maintenant brièvement les points les plus saillants.

Ce rapport compare l'exécution budgétaire aux prévisions de la loi de finances initiale, à celles des quatre lois de finances rectificatives votées en 2011 et aux dispositions de la loi de programmation des finances publiques pour la période 2011-2013. Sont annexées à ce rapport soixante analyses, détaillées par mission budgétaire, qui font le point sur l'exécution des crédits de chaque secteur ministériel en 2011 et qui vous sont très directement destinées.

Trois messages principaux ressortent de cette analyse.

Le premier est que l'amélioration du solde budgétaire est réelle et incontestable, mais que le niveau du déficit demeure toujours très élevé. Cette amélioration du solde – la première depuis 2007 – était attendue pour deux raisons. La première est la relative amélioration de la situation économique d'ensemble : la croissance a été de 1,7 % en 2011. La seconde est la fin des dépenses budgétaires exceptionnelles qui avaient marqué les exercices 2009 et 2010. Je fais ici référence à trois initiatives : le plan de relance, les investissements d'avenir et la réforme de la taxe professionnelle.

En 2011, le déficit du budget de l'État s'est élevé à 90,7 milliards d'euros, soit 4,55 % du PIB. Il a diminué de 58 milliards par rapport à celui de 2010, mais, pour apprécier à son juste niveau l'ampleur de cette amélioration, il convient naturellement de neutraliser l'effet en 2010 des trois éléments exceptionnels que je viens d'évoquer. Dans ce cas, l'amélioration s'est élevée à 14 milliards d'euros seulement.

Pour la première fois depuis des années, la programmation et l'exécution budgétaires ont été caractérisées par le souci constant de respecter la trajectoire de redressement. Je veux dire par là qu'alors que la conjoncture économique évoluait, les lois de finances rectificatives se sont efforcées de ne pas dégrader la prévision de déficit fixée à l'origine. Ainsi, en cours de gestion, les abondements de crédits ont été dans toute la mesure du possible compensés par des annulations symétriques, et les mesures fiscales décidées en cours de gestion ont visé à augmenter le produit des impôts et non à le réduire.

Le deuxième message est qu'il importe de rester très vigilant, car le niveau du déficit 2011 reste, comme vous le savez, très supérieur aux niveaux atteints avant la crise. En outre, l'évolution positive constatée en 2011 intègre des éléments exceptionnels que la Cour évalue à 2,5 milliards d'euros environ. Ceux-ci ont contribué positivement au solde en 2011, mais ils pourraient jouer en sens inverse en 2012. Surtout, ce qui doit être retenu est que l'amélioration du déficit repose pour l'essentiel sur un redressement des recettes fiscales, qui confirme le rebond observé en 2010, qui a directement et principalement contribué à la réduction du déficit.

L'évolution des dépenses a quant à elle connu un net ralentissement, dans le respect des normes de dépenses fixées pour 2011. La progression quasi-mécanique des dépenses de personnel a fortement ralenti en 2011. Cependant, alors que, d'une part, les effectifs ont diminué de 32 000 emplois et, d'autre part, qu'il n'y a pas eu d'augmentation générale de la rémunération principale des agents de l'État du fait du gel du point d'indice, la masse salariale a tout de même augmenté de 0,48 % à périmètre constant. Pour expliquer cela, la Cour note l'importance des retours catégoriels associés à la réduction des effectifs, l'effet des déroulements de carrière et la dynamique des heures supplémentaires.

En ce qui concerne les dépenses d'intervention, la loi de programmation des finances publiques affichait des objectifs très ambitieux en prévoyant une réduction de 10 % de ces dépenses à l'horizon 2013 par rapport à 2010. L'exécution 2011 apparaît conforme aux prévisions de la loi de finances initiale. Cependant, par rapport à 2010, elle traduit tout au plus une stabilisation en volume des dépenses d'intervention, qui de surcroît ne peut être mesurée avec précision. La diminution de cette catégorie de dépenses passe par des réformes structurelles des dispositifs eux-mêmes.

Enfin, la Cour a examiné dans quelles conditions avait été appliqué l'objectif consistant à imposer aux opérateurs de l'État les mêmes règles que celles qui s'imposent aux administrations afin de réduire les dépenses destinées à leur financement. Selon les informations partielles dont dispose la Cour, les dépenses des opérateurs auraient poursuivi leur dynamique sans connaître de ralentissement substantiel.

La prudence qui inspire mon propos met en exergue notre troisième message, celui de la nécessité de se doter d'outils performants de mesure, de budgétisation et de suivi des périmètres de dépenses désignés par le rapport annexé à la loi de programmation des finances publiques comme étant soumis à des objectifs chiffrés : personnels, intervention, dépenses fiscales, opérateurs, car ces outils ont une importance essentielle. La fixation de ces objectifs, qui contribuent à la conduite du redressement des comptes publics, ne connaît pas encore une traduction opérationnelle satisfaisante en raison des insuffisances des outils disponibles.

J'en viens maintenant au contenu du rapport rendu public avant-hier. Il comprend un point sur la situation d'ensemble des administrations publiques. L'année 2011 a représenté une première étape dans le redressement des comptes publics. Le déficit public s'est établi à 5,2 % du PIB, soit 103 milliards d'euros. Le déficit structurel s'est replié de 0,9 point de PIB, principalement par l'effet de mesures fiscales. Les comptes 2011 se situent sur la trajectoire de redressement des comptes publics.

Toutefois, la France n'a pas rattrapé son retard par rapport aux autres pays européens qui eux-mêmes sont engagés dans la voie de la réduction des déficits, souvent à un rythme plus rapide que le nôtre : à 4 % du PIB, le déficit structurel de 2011 se situe au-dessus de la moyenne des autres États membres de la zone euro, qui s'élève à 3,2 % ; il demeure très supérieur au déficit structurel allemand, de 0,8 %. Dorénavant, les niveaux d'endettement français et allemand divergent, et c'est une évolution nouvelle et inquiétante : en France, la dette continue d'augmenter, le niveau de déficit étant encore le double de celui qui permettrait de stabiliser la dette.

J'aborde maintenant ce qu'il est convenu d'appeler « l'audit des comptes en 2012 », réalisé à la demande du Premier ministre.

La France s'est engagée en avril dernier à revenir à un déficit de 4,4 % du PIB en 2012, après 5,2 % en 2011. La Cour a cherché à apprécier, selon les souhaits du Gouvernement, si cet objectif de 4,4 % pouvait être tenu au regard des informations disponibles à ce stade de l'année et sans prendre en compte les mesures décidées après le 6 mai 2012 – je tiens à insister sur ce dernier point. L'analyse de la Cour montre que le respect de la trajectoire pour 2012 impose des mesures rapides de correction, en raison de moins-values probables de recettes.

S'agissant en premier lieu des dépenses, les travaux conduits par la Cour ont identifié des risques de dépassement sur certaines dépenses de l'État, notamment les dépenses de personnels et d'opérations extérieures du ministère de la défense, les dépenses de logement, en particulier l'aide personnalisée au logement, ou les dépenses relatives à l'allocation adultes handicapés, et plus largement les dotations pour l'emploi et la solidarité.

Au total, les risques de dépassement peuvent être estimés à un niveau compris entre un et deux milliards d'euros, sur un total de 275 milliards d'euros hors dette et pensions. Un tel niveau de risque ne se démarque pas de ceux couramment identifiés en cours d'année, à l'occasion des exercices précédents. Ces risques peuvent et doivent être résolus en gestion par le jeu des annulations et des redéploiements de crédits.

Si les possibles dépassements ne sont pas d'une ampleur exceptionnelle, ils s'appliquent toutefois à un budget qui avait déjà donné lieu à un resserrement des contraintes par la loi de finances rectificative de mars dernier. Le respect des normes de dépenses fixées suppose une grande vigilance afin que les dépassements identifiés ne soient pas couverts par des ouvertures de crédits mais par la mobilisation de la réserve de précaution, dont le montant actuel est de 5 milliards d'euros environ. Cela rend nécessaire un accroissement de cette réserve pour permettre le pilotage fin de l'exécution. En cette matière, nos observations sont récurrentes.

Concernant les recettes, la Cour a identifié des risques importants de moins-values, qui appellent sans tarder des mesures correctrices. Ces risques sont d'une double nature. D'une part, des hypothèses de calcul trop favorables ont été adoptées pour l'évaluation initiale du produit des prélèvements obligatoires. Il s'agit notamment des hypothèses d'élasticité, c'est-à-dire des estimations de la façon dont le produit d'un impôt évolue en fonction de la croissance. À ce stade de l'année, il est difficile d'évaluer l'impact de cette surestimation : la Cour la situe dans une fourchette comprise entre 3 et 7 milliards d'euros pour l'ensemble des recettes des administrations publiques.

D'autre part, le scénario macroéconomique retenu en avril reposait sur un niveau de croissance de 0,7 %, en phase avec les prévisions des organismes internationaux. En raison de la dégradation récente de la conjoncture, ce scénario est devenu trop optimiste. Les dernières prévisions de l'INSEE situent le taux de croissance pour 2012 à 0,4 %, ce qui réduit mécaniquement les prévisions de recettes de trois milliards d'euros supplémentaires – le Gouvernement a décidé de retenir le chiffre de 0,3%. Au total, les recettes pourraient donc être inférieures de 6 à 10 milliards d'euros au montant prévu dans le programme de stabilité.

Avant d'aborder les enjeux de l'année 2013, je souhaite évoquer deux contentieux perdus par l'État devant les juridictions européennes. Leurs conséquences en comptabilité nationale devraient peser surtout sur l'exercice 2013, à hauteur de 5,75 milliards d'euros, et 2014, pour 1,75 milliard d'euros, soit au total 7,5 milliards d'euros. La Cour juge anormal que les informations qui avaient conduit en 2011 à provisionner l'un d'eux, qui porte sur la fiscalité des OPCVM, en comptabilité générale n'aient eu de traduction ni dans les lois de finances pour 2012 ni dans le programme de stabilité.

Au total, le respect de l'objectif de déficit de 4,4 % du PIB en 2012 suppose de compenser un manque à gagner de recettes de 6 à 10 milliards d'euros. Face à ces risques identifiés, des mesures nouvelles doivent être rapidement prises, en recettes et en dépenses. J'ai compris que vous les examineriez très rapidement dans le cadre de la loi de finances rectificative.

J'en viens maintenant aux perspectives pour l'année 2013 et pour les années suivantes.

La Cour a quantifié les efforts à accomplir selon quatre scénarios de croissance, allant de 0 % à 2 %. Dans l'hypothèse de 1 % de croissance, afin d'atteindre les 3 % de déficit, la marche sera plus haute que les années précédentes : après 0,9 point de réduction du déficit structurel en 2011 et 1,2 point en 2012, l'effort structurel à réaliser serait de 1,6 point en 2013, soit 33 milliards d'euros, compte non tenu de l'impact budgétaire des contentieux dont j'ai parlé, à hauteur de 5,75 milliards d'euros. Cet effort peut sembler important ; il est cependant de même ampleur que celui que la France a réalisé pour se qualifier pour entrer dans l'union monétaire en 1997, dans un contexte économique certes quelque peu différent.

Se pose la question du partage de cet effort entre réduction du poids des dépenses publiques et recettes supplémentaires. Le rapport présente plusieurs hypothèses. La Cour a toujours considéré que le levier de la maîtrise des dépenses devait jouer un rôle essentiel. Mais si l'on retient l'hypothèse d'un partage égal entre mesures sur les recettes et mesures sur les dépenses, ce sont 16,5 milliards d'euros d'économies qui devront être réalisées par rapport à l'évolution tendancielle des dépenses. Un tel effort reviendrait à stabiliser en volume les dépenses publiques dans leur ensemble, c'est-à-dire à faire en sorte qu'elles n'évoluent pas plus vite que l'inflation. Par comparaison, en 2012, en dépit de l'application des normes de dépenses et de la réduction des effectifs de fonctionnaires de l'État, la dépense publique totale dans son ensemble devrait croître en volume de 0,5 %.

L'effort imposé aux administrations publiques ne doit pas reposer sur le seul État mais doit être partagé avec les autres catégories, c'est-à-dire les régimes de protection sociale obligatoire et les collectivités territoriales. La Cour évoque, dans le rapport, différentes modalités de répartition de cet effort global. L'un de ces scénarios prévoit une croissance des dépenses des administrations de sécurité sociale de 1,2 % en volume et une stabilisation en valeur des dépenses de l'État, ce qui conduirait à un durcissement des normes de dépenses appliquées en 2012. Les dépenses des collectivités territoriales seraient stabilisées en volume.

La croissance des dépenses des collectivités, hors impact des compétences transférées par l'État, a été très rapide au cours des dernières années, même si elle s'est infléchie en 2010, avant de repartir à la hausse en 2011. Hors transferts de compétences, leurs effectifs se sont accrus de plus de 260 000 postes depuis 2002, dont près des trois quarts concernent les communes et intercommunalités. Cette croissance doit être mise en regard de l'évolution des effectifs de l'État sur la même période qui, après avoir diminué de l'ordre de 25 000 agents entre 2002 et 2007, ont décru de 150 000 agents depuis cette date.

Le seul instrument d'action de l'État à l'égard des collectivités territoriales consiste à freiner l'évolution de ses concours, qui, avec cent milliards d'euros, représentent près de la moitié des ressources des collectivités. La moitié de ces concours, soit cinquante milliards d'euros, sont aujourd'hui gelés en valeur. Cela fait désormais peser une contrainte plus forte sur l'évolution de leurs dépenses, plus particulièrement celles des régions et des départements, ceux-ci n'ayant pas les mêmes marges de manoeuvre pour augmenter leurs recettes. La Cour recommande une poursuite de ce gel, tout en proposant de moduler l'évolution des dotations en fonction des catégories de collectivités, en renforçant relativement la contrainte qui pèserait sur les communes et les intercommunalités.

L'accroissement des dépenses des collectivités au cours des deux dernières décennies a été financé par une hausse concomitante des impôts locaux, réduisant ainsi la capacité contributive des ménages et rendant plus difficile des augmentations d'impôts en faveur des autres administrations publiques, qu'il s'agisse de l'État ou de la sécurité sociale. Cela montre que la gestion d'ensemble des finances publiques appelle désormais l'élaboration de règles partagées relativement à l'évolution des dépenses et à la répartition des recettes. À cette fin, un pacte de stabilité pourrait être conclu entre l'État et les collectivités territoriales afin d'engager celles-ci dans le respect de la trajectoire globale définie pour le pays. Dans cette même perspective, le champ des lois de financement de la sécurité sociale pourrait être élargi à l'assurance chômage et aux régimes de retraites complémentaires pour devenir des lois de financement de la protection sociale obligatoire.

Si l'effort doit porter sur toutes les administrations publiques, il doit également concerner toutes les catégories de dépenses.

La masse salariale constitue à cet égard un enjeu budgétaire majeur. En effet, ces dépenses, y compris les pensions, représentent 13,2 % du PIB, toutes administrations confondues. Le respect de la trajectoire de redressement des comptes publics implique que la masse salariale de l'État soit stabilisée en valeur. Les différents leviers utilisables pour parvenir à ce résultat sont présentés selon quatre scénarios. Selon les calculs de la Cour, seule une baisse des effectifs est à même de fournir des marges de manoeuvre en matière de politique salariale, qu'il s'agisse de la valeur du point, du déroulement de carrière ou des mesures catégorielles.

S'agissant des dépenses d'intervention, il convient avant tout de développer une démarche d'évaluation de l'efficacité et de l'efficience de l'action publique dans ce domaine. Les politiques d'intervention sont aujourd'hui partagées entre l'État et les diverses collectivités publiques, avec un enchevêtrement des compétences qui nuit à leur efficacité, par exemple en matière de formation, de logement ou d'emploi. Cela suppose de s'interroger sur l'articulation entre les divers acteurs et dispositifs d'intervention, dont le nombre dépasse 1 300. Des marges de manoeuvre peuvent aussi être trouvées pour améliorer l'efficacité économique et le ciblage social des dispositifs publics de solidarité.

À la différence de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, de telles évaluations supposent d'associer toutes les parties prenantes et de faire partager les diagnostics et les réformes envisagées, tout en adoptant un pilotage politique fort pour mener à bien ces projets. De même, étant donné l'écheveau de nos politiques publiques, source de complexité et de gaspillages, l'acte III de la décentralisation qui a été annoncé doit être avant tout l'occasion d'une clarification des compétences entre État et collectivités territoriales, ainsi qu'entre ces collectivités elles-mêmes, avec le souci premier d'améliorer l'efficience des politiques concernées.

Les dépenses de transfert concernent aussi la sécurité sociale. Le rééquilibrage des comptes sociaux doit être assuré en priorité : la Cour a régulièrement rappelé que l'existence même d'une dette sociale constitue une anomalie profonde, car ces dépenses n'ont pas de raison d'être reportées sur les générations futures.

Le système de retraite ne devrait pas connaître le retour à l'équilibre prévu par la réforme de 2010, en raison de prévisions trop optimistes, notamment en matière d'évolution de la situation de l'emploi. Ainsi, le déficit annuel de l'ensemble des régimes de retraite pourrait être supérieur à 10 milliards d'euros à l'horizon 2020. La question du rééquilibrage des comptes devra donc prochainement être examinée.

S'agissant de l'assurance maladie également, les efforts doivent être amplifiés. En effet, la poursuite de la croissance des dépenses d'assurance maladie au rythme annuel de 3 %, sans l'apport de recettes nouvelles conduirait à un retour à l'équilibre en 2024 seulement. La Cour recommande de fixer un taux moins élevé et de rechercher davantage de gains d'efficience dans le système de soins. Ainsi, si ce taux de croissance était ramené à 2,5 %, le retour à l'équilibre serait atteint en 2018.

Pour ce qui est enfin des dépenses d'investissement, l'ampleur des engagements envisagés ou déjà pris doit conduire à réexaminer leur compatibilité avec le retour à l'équilibre des comptes publics. Il importe désormais de mieux choisir les investissements publics, pour ne retenir que ceux qui auront fait la preuve de leur utilité, notamment au regard du relèvement de la croissance potentielle de l'économie. En janvier dernier, en particulier, la Cour a appelé à reconsidérer le programme de développement de lignes ferroviaires à grande vitesse retenu dans le volet « transports » du Grenelle de l'environnement, qui entraînerait 166 milliards d'euros de dépenses publiques nouvelles.

L'augmentation des recettes est inévitable pour compléter l'effort, vu son ampleur. Elle devrait jouer dans le processus de redressement un rôle sensiblement moins important que la réduction du poids des dépenses et décroissant dans le temps. Pour des raisons d'efficacité économique, elle doit reposer principalement sur l'élargissement de l'assiette des prélèvements existants plutôt que sur des hausses de taux. Il faut donc poursuivre et amplifier la réduction et la suppression des niches fiscales et sociales : les rapports de la Cour fournissent de multiples exemples de niches pouvant être supprimées – ainsi les réductions d'impôts en faveur de l'investissement outre-mer, ou le taux réduit de TVA sur la restauration – ou dont les plafonds pourraient être abaissés comme la réduction et le crédit d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile.

Si la réduction des niches ne suffisait pas à dégager les recettes attendues – j'insiste sur cette condition –, il pourrait être nécessaire d'augmenter le taux d'impôts à assiette large, c'est-à-dire la CSG ou la TVA, la première étant adaptée au rééquilibrage des comptes sociaux, dont la Cour souligne, une nouvelle fois, le caractère absolument prioritaire. Une telle augmentation devrait avoir un caractère temporaire, et s'effacer au fur et à mesure du rééquilibrage des comptes publics et de la montée en puissance des économies sur les dépenses. Au moment de faire des choix, il sera important de prendre garde, en voulant réduire un déficit, à ne pas en aggraver un autre, celui de la compétitivité.

Après 2013, l'effort de redressement devra se poursuivre, à un rythme moindre, afin de garantir le retour à l'équilibre structurel en 2016 ou 2017, que l'Allemagne est en passe d'atteindre dès 2013.

La France se trouve à la veille d'une profonde transformation dans la conduite de ses finances publiques, sous l'effet des nouvelles règles européennes adoptées depuis 2011. La prise en compte de celles-ci est loin de se réduire au débat sur la règle de retour à l'équilibre structurel à moyen terme – ce qu'on appelle la règle d'or. En effet, la série de dispositions qui a été adoptée conduira la France, dans le respect des pouvoirs du Parlement, à réviser la façon dont il élabore et suit les textes budgétaires.

Ces nouvelles règles européennes appellent également des progrès dans la qualité de nos comptes publics. Afin de progresser dans la fiabilité des comptes et dans leur harmonisation entre les différentes catégories d'administrations publiques, la démarche de certification gagnerait à être élargie. La Cour recommande la mise en oeuvre concrète de la certification des comptes des hôpitaux publics déjà décidée par le législateur, ainsi que la mise en place d'une expérimentation de la certification des comptes de celles qui le souhaiteraient parmi les plus grandes collectivités territoriales.

En conclusion, la France est loin, depuis plusieurs décennies, d'être considérée comme exemplaire dans la gestion de ses finances publiques. La Cour insiste sur l'importance du strict respect de l'objectif de réduction du déficit à 3 % en 2013, à juste titre considérée comme une année charnière pour le redressement des comptes publics de la France. La discipline qu'exige le respect de cette trajectoire est sévère. Elle suppose une évolution en profondeur des modalités de l'action publique : gouvernance partagée entre administrations publiques, application généralisée de normes de dépenses, réforme en profondeur des méthodes d'allocation des moyens et remise en cause de certaines missions de l'État, revue des politiques d'intervention, clarification des compétences partagées entre l'État et les collectivités territoriales, évaluation indépendante de l'utilité des investissements. Si l'effort structurel prévu en 2013, de l'ordre d'un point et demi de PIB, sera certes difficile, il est réalisable. La France l'a fait par le passé, et, en 2012, l'Italie et l'Espagne devraient, de leur côté, réduire leur déficit structurel de près de trois points, soit un effort double.

Le redressement suppose la mobilisation de tous les acteurs publics. Il doit être réalisé sans étouffer la croissance. En contribuant à une meilleure prise de conscience de ces enjeux par les citoyens et les décideurs, en fournissant des pistes utiles à l'action, la Cour des comptes assure déjà la fonction de comité budgétaire indépendant dont les nouvelles règles européennes prévoient la mise en place prochaine dans les pays de la zone euro. Elle est à la disposition du Parlement pour jouer son rôle d'analyse et de conseil indépendant.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion