Intervention de Rémy Rioux

Réunion du 28 mai 2013 à 8h45
Commission d'enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l'action du gouvernement et des services de l'État, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d'une affaire qui a conduit à la démission d'un membre du gouvernement

Rémy Rioux, directeur du cabinet de M Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances :

Je suivrai un fil chronologique pour vous expliquer ce que j'ai su et fait sur ce dossier à la place qui est la mienne. J'espère vous convaincre de notre bonne foi et de la rigueur de notre travail.

Sans doute serai-je conduit à répéter des éléments déjà exposés par le ministre de l'économie et des finances lors de son audition devant la Commission des finances de votre Assemblée le mercredi 17 avril.

Permettez-moi de formuler tout d'abord trois remarques sur la situation qui précède le 4 décembre, date de la parution du premier article de Mediapart.

Au sein du Gouvernement, le ministre de l'économie et des finances et ses deux ministres délégués – Jérôme Cahuzac, à l'époque des faits, et Benoît Hamon – constituent un pôle. Pour tenir compte du choix, réalisé au moment de la composition du Gouvernement, de réunifier les compétences de l'économie, des finances, du budget et des comptes publics, nous avons mis en place dès notre arrivée, au mois de mai 2012, un fonctionnement intégré. Tout d'abord, toutes les notes adressées par l'ensemble des services placés sous l'autorité du ministre passent par le directeur de son cabinet avant d'être attribuées aux conseillers des différents cabinets – lesquels, pour éviter de perdre du temps, en reçoivent parallèlement une copie dématérialisée. Comme Mme Amélie Verdier vous l'a dit la semaine dernière, nous nous sommes aussi efforcés, par souci d'efficacité, de cohérence et d'économie, d'avoir autant que possible des conseillers communs aux différents ministres. Cela a été le cas avec les cabinets de MM. Cahuzac et Hamon, mais aussi avec celui de Mme Nicole Bricq lorsque celle-ci a été nommée ministre du commerce extérieur.

Il existait quatre conseillers communs avec le cabinet de Jérôme Cahuzac : les deux conseillers en charge de la politique fiscale, le conseiller budgétaire et social et le conseiller juridique. Deux d'entre eux sont à mes côtés ce matin : Mme Irène Grenet, qui est plus particulièrement en charge de la fiscalité des personnes, de la fiscalité locale et de la fiscalité internationale, et M. Jean Maïa, conseiller juridique, qui suit également les sujets de fraude fiscale.

Je tiens à préciser que mes deux collaborateurs n'ont été associés en rien au suivi du dossier qui fait l'objet de votre commission d'enquête. Compte tenu de son caractère très sensible, je suis le seul à l'avoir suivi auprès du ministre.

Je précise également que le recours à l'agence Havas Worldwide, précédemment Euro RSCG, s'inscrivait dans ce cadre de travail en commun entre les différents cabinets. Il s'agissait, pour être clair, de bénéficier des conseils de M. Gilles Finchelstein. Ce contrat n'a aucun lien avec le dossier qui nous occupe.

Deuxième remarque : dès notre arrivée, nous avons évidemment décidé de suivre la tradition républicaine sur deux sujets, à savoir la vérification de la situation fiscale des ministres du nouveau gouvernement et la confirmation qu'il n'y aurait pas d'instructions de la part des ministres sur les procédures fiscales individuelles de contrôle et de recouvrement ainsi que sur les éventuelles poursuites pénales, conformément à la circulaire dite « Baroin » du 2 novembre 2010 concomitante à la suppression de la cellule fiscale qui existait au sein du cabinet du ministre en charge du budget.

Troisième remarque : aucun indice permettant de soupçonner la détention par Jérôme Cahuzac d'un compte en Suisse n'était parvenu jusqu'à moi avant le 4 décembre 2012. En particulier – puisque l'on a évoqué ces sources d'information potentielles à divers stades de l'affaire –, le rapport rédigé par M. Rémy Garnier en 2008 n'a pas été porté à ma connaissance. Puisque toutes les notes transitent par mon intermédiaire, j'ai dû être destinataire des deux notes préparatoires à l'entretien que Jérôme Cahuzac a eu avec Rémy Garnier en octobre, mais je vous avoue que je n'y ai pas prêté attention. Cela n'est guère surprenant : je les ai relues hier et ai constaté qu'elles ne disaient rien de la situation du ministre délégué.

Je n'ai eu aucune information en provenance des douanes – sachant que M. Michel Gonelle a soulevé ce point le 3 avril dernier et a repris ses propos dans son audition du 21 mai. J'ai interrogé au début du mois d'avril la directrice générale des douanes et des droits indirects, que votre commission d'enquête entendra également. Elle m'a indiqué ne pas avoir trouvé trace de cette prétendue enquête. Je crois pouvoir dire que la direction générale des douanes et des droits indirects a également apporté une pleine coopération à la police judiciaire sur ce dossier.

Un autre service du ministère, Tracfin, ne m'a jamais transmis d'information concernant Jérôme Cahuzac. Je rappelle que le code monétaire et financier donne obligation à Tracfin de transmettre au procureur de la République tout soupçon d'infraction dont il aurait connaissance.

J'en viens à la période qui s'ouvre le 4 décembre et qui s'achève avec la démission de Jérôme Cahuzac le 19 mars. On peut distinguer trois actions principales.

Premièrement, une « muraille de Chine » a été mise en place le 10 décembre, date de la signature par Jérôme Cahuzac de l'instruction aux services et de l'instruction à son cabinet – les pièces vous ont été transmises. Dans les faits, cette muraille existait dès la semaine précédente. Nous avons suivi, en l'occurrence, la recommandation que les services du ministère – direction générale des finances publiques et direction des affaires juridiques – ont formulée dès le 6 décembre en s'appuyant sur des précédents, le ministère ayant connu par le passé d'autres situations, sinon comparables, du moins complexes d'un point de vue déontologique et juridique. Mme Amélie Verdier m'en a parlé, j'en ai informé le ministre.

Cette « muraille de Chine » concernait Jérôme Cahuzac lui-même et tout ce qui concernait la banque UBS. Elle a été immédiatement effective et strictement respectée jusqu'au 19 mars. En particulier, je n'ai eu aucun échange avec ma collègue Amélie Verdier sur ces sujets, ni, a fortiori, avec Jérôme Cahuzac.

Il ne s'agissait pas, comme cela a pu être dit au cours de vos auditions de la semaine dernière, de revoir les compétences du ministre délégué, puisque toutes les compétences procèdent in fine du ministre de l'économie et des finances, mais de mettre en place clairement, rapidement et efficacement un mécanisme de déport pour éviter tout risque de conflit d'intérêts.

Du reste, le jour même de la mise en place, le directeur général des finances publiques m'a saisi d'une demande concernant le dossier de la banque UBS en général, demande que j'ai traitée moi-même. C'est bien la preuve que les décisions relevant du champ de l'instruction signée par Jérôme Cahuzac ont été immédiatement mises en oeuvre.

Deuxièmement, l'administration fiscale a fait son travail. De mon point de vue, la direction générale des finances publiques (DGFiP) s'est comportée de façon exemplaire dans un contexte particulièrement délicat pour une direction d'administration centrale. Je tiens à dire qu'il n'y a eu, de la part du cabinet du ministre de l'économie et des finances, aucune manipulation de ce grand service de l'État. Le ministre et moi-même avons respecté un principe simple : nous avons laissé l'administration fiscale agir, dérouler ses procédures et coopérer pleinement avec la police judiciaire après que celle-ci eut été saisie, le 8 janvier 2013. Le contraire eût été condamnable. Bref, le cabinet du ministre n'a pas mené d'« enquête parallèle » sur le ministre délégué chargé du budget, il n'a pas fomenté d'opération spéciale, comme l'hebdomadaire Valeurs actuelles a pu l'alléguer le 11 avril.

En revanche, l'administration fiscale a rapidement pris en compte les accusations de Mediapart. Le 14 décembre 2012, sur instruction de l'administration centrale, la direction régionale des finances publiques d'Île-de-France et du département de Paris adresse à Jérôme Cahuzac le formulaire dit « 754 ». Cette démarche correspond à la procédure normale dès lors que l'administration fiscale a connaissance, le cas échéant par voie de presse, de l'existence possible d'un compte à l'étranger non déclaré. Les responsables de la DGFiP vous le confirmeront. Je précise que je n'ai pas été personnellement informé de cette demande au moment où elle a été envoyée.

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