Intervention de Gabriel Serville

Séance en hémicycle du 10 octobre 2012 à 21h30
Régulation économique outre-mer — Article 2, amendements 125 127 126

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGabriel Serville :

Tout à fait, monsieur le président.

La proposition déclinée d'une manière dégressive dans les amendements nos 125 , 127 rectifié et 126 vise à passer d'une logique de totale confiance en la concurrence à une logique contractuelle par une consécration dans la loi de la prohibition des clauses d'exclusivité.

Avec ce dispositif, l'action est immédiate : les clauses disparaissent avec le droit des contrats, répondant en cela à l'urgence de la situation des outre-mer.

Mes amendements permettraient de poser une interdiction absolue là où, en réalité, on propose une interdiction qui demeure incertaine. En effet, si l'on passe par l'Autorité de la concurrence pour qu'il y ait sanction, il convient, d'abord qu'elle soit saisie de chaque clause, puis qu'elle rende son avis ; il faut ensuite qu'une condition supplémentaire soit satisfaite, à savoir l'affectation du marché ou une partie significative. Avec le droit des contrats au contraire, la sanction n'est assortie d'aucune condition.

Vous m'avez précédemment répondu, monsieur le ministre, que les suites civiles étaient possibles avec le droit de la concurrence. Certes ; malheureusement, et c'est bien le problème, il n'y a aucune automaticité de ces suites, contrairement à ce qui se fait lorsque l'on applique le droit des contrats. Pour les suites civiles, il convient simplement de saisir le juge civil. Pourquoi, alors, ne pas le faire tout de suite ? Pourquoi ajouter des conditions, des incertitudes, donc du temps, alors que les populations d'outre-mer sont véritablement impatientes de voir aboutir ce projet dans les meilleures conditions ?

Je citerai deux exemples, monsieur le ministre. Le premier concerne les prix abusivement bas. Certes, ce cas est traité dans les textes et dans celui dont nous débattons, mais il n'existe aucune sanction parce que tout passe par le truchement de l'Autorité de la concurrence, comme cela a été démontré sur le terrain. Cette autorité interprète évidemment les situations comme elle l'entend ; et bien souvent, elle ne parvient tout simplement pas à sanctionner, alors que le juge de droit commun a tous les moyens de le faire.

Le second exemple est celui de l'affaire Cora. Cette enseigne avait fait participer des centaines de fournisseurs au coût du rachat d'une autre enseigne lors d'une prise de contrôle. La juridiction saisie par plusieurs fournisseurs a bien admis que les entreprises se trouvaient en état de dépendance économique, au vu du chiffre d'affaires réalisé sans contrepartie. Malheureusement, aucune sanction n'a été prononcée dans la mesure où il n'y avait pas d'effet anticoncurrentiel significatif sur le marché mis en cause. Nombre de fois, quand les autorités de la concurrence ont apprécié les comportements au regard du droit des ententes, les juridictions ont estimé que les situations ne pouvaient s'assimiler à une entente ! En l'espèce – et je reprends ce qu'il ressort de la jurisprudence –, il ne pouvait « en effet être sérieusement soutenu que les fournisseurs auraient participé à une entente dont l'objet ou l'effet potentiel aurait été de les mettre eux-mêmes hors marché ». Ni la situation du groupe sur le marché ni sa position face à ses fournisseurs n'ont permis de placer l'obtention de ces avantages sur le terrain de l'abus de domination ou de la dépendance économique.

Le droit des contrats, monsieur le ministre, implique au contraire une sanction automatique et immédiate sans condition. Le droit de la concurrence a été l'axe privilégié dans ce projet de loi ; je le comprends, mais cela ne me paraît pas le meilleur moyen de lutter efficacement contre les clauses d'exclusivité. Le droit des contrats sur lequel il conviendrait de se placer définit les conditions de validité et d'efficacité des obligations des parties. Avec lui, la sécurité juridique est assurée et ces clauses d'exclusivité tombent aussi facilement que les amendements que vous avez, monsieur le ministre, la prérogative de retoquer !

La décision appartiendra à l'Autorité de la concurrence, mais nous verrons ce qu'il en sera. Il a été démontré, en de multiples occasions, que l'Autorité n'a pas suivi l'esprit même des lois antérieures, lorsqu'il s'agissait d'interdire ces clauses. Le risque, monsieur le ministre, c'est que la loi ne produise pas ses effets sur le terrain. L'outre-mer se retrouverait une fois de plus face à ce problème d'applicabilité et d'effectivité qui nous fait défaut depuis des décennies. Lorsque vous nous êtes venu nous voir en Guyane, monsieur le ministre, je vous ai assuré que je soutenais très fortement ce projet, qui avait le mérite d'exister et de répondre à un certain nombre de problématiques. Reste à savoir dans quelle mesure nous pourrons le rendre effectif sur le terrain et « obliger », si je puis m'exprimer ainsi, l'Autorité de la concurrence à respecter les engagements qu'elle devra prendre vis-à-vis des populations.

C'est la raison pour laquelle je préconise de faire davantage appel au droit des contrats plutôt qu'au droit de la concurrence.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion