Intervention de Marie-Christine Lepetit

Réunion du 9 juillet 2013 à 9h00
Commission d'enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l'action du gouvernement et des services de l'État, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d'une affaire qui a conduit à la démission d'un membre du gouvernement

Marie-Christine Lepetit, chef du service de l'inspection générale des finances, ancienne directrice de la législation fiscale :

Ainsi que vous l'avez indiqué, monsieur le président, je suis auditionnée par votre commission au titre de mes anciennes fonctions de directeur de la législation fiscale, que j'ai exercées de 2004 à 2012. Je suis par conséquent dans l'ignorance des conditions de déroulement de la demande d'information qui a eu lieu durant la période couverte par vos travaux. En revanche, dans le cadre de ces fonctions, j'ai eu l'occasion de suivre à de nombreuses négociations et, en particulier, de piloter l'évolution du régime conventionnel de la France pour le compte du Gouvernement. C'est donc sur ce point que je concentrerai mon propos introductif.

Je voudrais tout d'abord rappeler dans quel contexte ont été négociés, en 2009 et dans les mois qui ont suivi, les nouvelles conventions, les modifications des conventions existantes et les accords d'échange de renseignements.

L'évolution du dossier relatif à la transparence fiscale nous causait alors une certaine déception. L'Union européenne d'un côté, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) de l'autre, s'efforçaient de faire progresser la transparence et de lutter contre ce qu'on appelle « les pratiques fiscales dommageables », mais cette action – qui faisait d'ailleurs l'objet d'une certaine compétition entre les deux institutions – avait du mal à franchir des étapes significatives. La proposition de modification de la « directive épargne » piétinait et la discussion sur le secret bancaire était close, dans un sens favorable à une acceptation, ou une tolérance, envers les pays hébergeant des places financières importantes ; a fortiori, l'échange automatique d'informations bancaires n'était pas d'actualité !

Au moment du G20, début avril 2009 : les pays membres annoncent le lancement d'une action en faveur de la transparence des pratiques fiscales et des informations afférentes. Dans la crainte de mesures de rétorsion et de la privation d'accès à certains marchés, plusieurs pays ou juridictions déclarent, dans les jours ou les semaines qui entourent la réunion, qu'ils vont se conformer aux standards de l'OCDE. C'est ainsi qu'à la mi-mars 2009, la Suisse se dit prête à discuter avec les pays qui le souhaitent d'une mise à jour de son réseau conventionnel en matière fiscale.

À l'été 2009, les banquiers suisses mènent une contre-offensive en essayant de faire prévaloir une alternative aux standards de l'OCDE ; ils font le pari que certains pays préféreront obtenir des recettes fiscales immédiates par le truchement d'une retenue à la source organisée par la Suisse plutôt que d'organiser un échange d'informations. Entre la mi-2009 et 2010, le projet « Rubik », qui bénéficie du soutien du Royaume-Uni et de l'Allemagne, exerce ainsi une pression inverse à celle du G20. Ne permettant ni la perception d'un impôt personnalisé, ni l'application d'impôts patrimoniaux comme l'ISF – puisqu'il ne portait que sur les revenus –, un accord de ce type serait allé à l'encontre du souhait de la France de voir progresser les échanges de renseignements afin de pouvoir appliquer l'ensemble de la législation fiscale française. C'est un point important pour comprendre le contexte des négociations et les pressions qui s'exerçaient sur les parties prenantes.

J'en viens à l'explication du sens des textes convenus avec la Suisse, d'abord en 2009, puis au début de 2010.

À compter de mars 2009, les négociations avec la Suisse reprennent et elles se concluent assez rapidement, puisqu'un avenant à la convention fiscale franco-suisse est signé par les ministres le 27 août 2009. Cet avenant était conforme aux standards de l'OCDE : il prévoyait un échange de renseignements à la demande, dans les conditions définies par le modèle de convention et ses commentaires. Mais pour qu'il possède une portée juridique, il fallait que les parlements des deux pays en autorisent la ratification.

Or, le processus est bloqué par la Suisse à la mi-décembre 2009 au double motif que celle-ci entend faire plier la France sur l'utilisation des données de la liste HSBC et qu'elle souhaite obtenir une interprétation conforme à ses voeux des standards de l'OCDE. On se retrouve donc dans la même situation que s'il n'y avait pas eu d'avenant ; il faut engager une négociation complémentaire afin de chercher un terrain d'entente pour parvenir à un accord sur un échange de renseignements levant effectivement le secret bancaire.

La négociation se conclut le 11 février 2010 par un échange de lettres entre autorités administratives, faisant suite à une discussion à l'échelon ministériel ; son objet est d'obtenir l'application des standards de l'OCDE, la levée du secret bancaire et la possibilité pour la France d'interroger les autorités suisses sans que le nom de la banque concernée soit mentionné. C'est d'ailleurs cette interprétation qui guide la rédaction du communiqué de presse du 12 février 2010 et qui est communiquée à la représentation nationale au cours du processus de ratification de l'avenant. C'est la lecture de la France au moment où elle signe ce document.

Le texte comporte des dispositions complémentaires. Il vise non seulement à autoriser les échanges de renseignements, mais aussi à améliorer l'assistance de la Suisse en matière de recouvrement – disposition dont d'autres pays ne bénéficiaient pas. La France a fait en sorte que le champ d'application du texte réponde à ses besoins fiscaux.

Pour ce qui est de la mise en pratique de ces dispositions, les informations dont je dispose ne me permettront pas d'éclairer pleinement votre commission. J'ai en effet quitté mes fonctions peu après l'entrée en vigueur de l'avenant et de surcroît, je n'étais pas en charge de l'interrogation concrète des pays dans le cadre de l'assistance administrative – ce sont les services du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques (DGFIP) qui en sont chargés. Toutefois, j'ai préparé le rapport annuel du Gouvernement portant sur le réseau conventionnel de la France en matière d'échange de renseignements annexé au projet de loi de finances pour les années 2011 et 2012 ; j'ai pu constater dès lors que la Suisse était un pays qui répondait tardivement, voire pas du tout, à nos demandes, et qui avait deux défauts principaux : le premier était d'aviser systématiquement le contribuable des démarches le concernant, ce qui est assez souvent une difficulté majeure dans le cadre d'un contrôle fiscal ; le second, d'appliquer de manière très restrictive le concept de demande « vraisemblablement pertinente » faisant une lecture des demandes d'assistance très étroite comparativement à d'autres pays : les autorités suisses avaient dès cette époque tendance à faire valoir auprès des services du contrôle fiscal que les demandes qui lui étaient adressées ne correspondaient pas à sa propre lecture des documents de l'OCDE et des textes conventionnels.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion