La DLF est responsable de la conception et de l'élaboration des textes législatifs et réglementaires relatifs à la fiscalité, ainsi que de leur interprétation. En matière de fiscalité internationale, ma direction est en charge, au sein de la Direction générale des finances publiques, la DGFIP, de la négociation des conventions fiscales internationales – y compris pour ce qui concerne les échanges de renseignements –, ainsi que des négociations sur ces sujets au sein des instances internationales, notamment l'OCDE. À ce titre, la DLF est également chargée de l'interprétation des conventions fiscales internationales, mais non de leur application, laquelle est du ressort à d'autres services de la DGFIP. Ce n'est donc pas la DLF qui met en oeuvre l'échange de renseignements.
La DLF, en ma personne ou en celle de l'un de mes collaborateurs, n'a été ni associée à la gestion du dossier de M. Cahuzac, ni sollicitée dans ce cadre par un autre service de la DGFIP ou par le cabinet du ministre pendant la période du 4 décembre 2012 au 2 avril 2013. Le fait que la DLF n'ait pas été sollicitée par le service du contrôle fiscal pour rédiger ou relire la demande de renseignements adressée aux autorités suisses est normal, dans la mesure où cette demande s'inscrivait dans le cadre du droit conventionnel positif avec la Suisse, connu et pratiqué à de nombreuses reprises par les services du contrôle fiscal dans les conditions évoquées par M. Bézard ce matin. J'ai reçu seulement, le 10 décembre 2012, un courriel de la DGFIP m'adressant une copie de l'instruction, dite « muraille de Chine ».
Depuis les aveux de Jérôme Cahuzac, la DLF a néanmoins participé à la rédaction des réponses aux questions de droit posées par les présidents des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat au ministre de l'économie et des finances, afin de préciser l'interprétation des différentes conventions, protocoles et échanges de lettre entre la France et la Suisse en matière d'échange de renseignements.
La France et la Suisse sont liées par une convention d'élimination de la double imposition en date du 9 septembre 1966. L'un des articles de ce texte précise les modalités d'assistance administrative entre les deux États en matière d'échange de renseignements. Avant l'entrée en vigueur de l'avenant du 27 août 2009, de tels échanges étaient totalement exclus pour les informations bancaires. Le 13 mars 2009, à l'annonce de la publication prochaine, dans le cadre du G20, d'une liste d'États n'ayant pas adopté les standards de l'OCDE en matière d'échange de renseignements, la Suisse a fait part de sa volonté d'amender son réseau conventionnel. La France a alors engagé avec elle des négociations, afin d'introduire dans la convention des dispositions conformes aux standards les plus récents de l'OCDE : ce fut l'objet de l'avenant du 27 août 2009, qui amendait la rédaction de l'article 28 de la convention, en précisant notamment que les États contractants ne peuvent refuser de communiquer des renseignements au seul motif que ceux-ci sont détenus par une banque.
L'avenant insère également un nouveau point XI au protocole additionnel à la convention – protocole ayant la même valeur juridique que la convention, et soumis comme elle à ratification – qui, s'inspirant des commentaires de l'OCDE alors en vigueur, précise que les demandes de renseignements sont effectuées après utilisation par l'État requérant de ses sources habituelles de renseignements ; que la « pêche aux renseignements » n'est pas autorisée ; que l'État requis peut appliquer ses procédures internes relatives aux droits des contribuables concernés sans que toutefois ces droits n'entravent ou ne retardent indûment l'échange de renseignements ; qu'enfin, la convention n'impose pas aux États de procéder à un échange de renseignements spontané ou automatique. Nous sommes donc dans un cadre d'échange de renseignements sur demande.
Le protocole additionnel stipule également que toute demande adressée à la Suisse doit mentionner le nom et l'adresse du contribuable visé comme des personnes susceptibles de détenir une information – par exemple, un établissement bancaire –, lorsque ces coordonnées sont connues. La France, dès lors que la convention et son protocole sont interprétés conformément aux standarts de l'OCDE dont ils reprennent les termes, serait fondée à adresser une telle demande quand bien même elle ne disposerait pas d'éléments d'identification de l'établissement bancaire ; mais telle n'était pas la lecture des autorités suisses, qui ont donc annoncé, lors d'une conférence de presse le 16 décembre 2009, la suspension de la procédure de ratification de l'avenant, exigeant que les deux administrations fiscales s'entendent préalablement sur sa portée exacte, s'agissant notamment des demandes d'assistance relatives à des données bancaires. L'échange de lettres du 11 février 2010 a eu pour objet de lever le blocage suisse en précisant que, « dans tous les cas où l'État requérant aura connaissance du nom de l'établissement bancaire tenant le compte du contribuable concerné, il communiquera cette information à l'État requis », et que, « dans le cas exceptionnel où l'autorité requérante présumerait qu'un contribuable détient un compte bancaire dans l'État requis sans pour autant disposer d'informations lui ayant permis d'identifier avec certitude la banque concernée, elle fournira tout élément en sa possession de nature à permettre l'identification de cette banque ».
Du point de vue des autorités suisses, l'échange de lettres confirme que la convention exclut toute demande non accompagnée d'éléments permettant d'identifier la banque. Un porte-parole de l'administration fiscale l'a encore rappelé, dans le journal Le Temps, au sujet de l'affaire qui nous occupe. D'autres éléments confortent cette analyse. En premier lieu, lors des débats parlementaires sur la ratification, le Gouvernement suisse avait indiqué que « faute de la mention spécifique des éléments nécessaires permettant l'identification du détenteur des informations, il est clair qu'en tout cas du côté suisse, on ne sera pas en mesure de donner une suite concrète à une demande de renseignements. En particulier, à défaut des indications nécessaires permettant la désignation de la banque en sa qualité de détentrice des informations dans la demande de renseignements, il ne sera pas possible de transmettre les données bancaires ».
Dans un communiqué de presse publié le 12 février 2010, les autorités suisses ont par ailleurs indiqué que les solutions trouvées par la France sur l'interprétation de l'avenant de 2009 et sur l'affaire HSBC permettaient, de l'avis du Département fédéral des finances, de reprendre le processus de ratification. Peu de temps après, le ministère des finances français a également précisé que cet accord permettait à ses yeux la reprise de la ratification par la Suisse. La convention est finalement entrée en vigueur le 4 novembre 2010.
Il ne fait donc guère de doute que cet échange de lettres, avec les concessions qu'il supposait, a permis non seulement de reprendre le processus de ratification en Suisse, mais aussi d'obtenir des renseignements bancaires, ce qui était jusqu'alors impossible.