Intervention de Edwy Plenel

Réunion du 21 mai 2013 à 8h45
Commission d'enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l'action du gouvernement et des services de l'État, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d'une affaire qui a conduit à la démission d'un membre du gouvernement

Edwy Plenel, journaliste et président de Mediapart :

Monsieur le rapporteur, si la vérité est connue aujourd'hui, c'est parce que Mediapart a interpellé publiquement le procureur de la République. On entend dire que la justice a fonctionné. Certes, il n'y a eu ni campagne de calomnies, ni procureur essayant d'entraver la marche de la justice. Mais la justice n'a pas fonctionné ! Pendant le premier mois de nos révélations, la justice est restée inerte.

Si Mediapart, ou tout autre média, avait révélé un trafic de drogue en banlieue ou des agressions dans le métro, le procureur se serait saisi de ces informations et aurait lancé des vérifications. En l'occurrence rien ne s'est passé : au mois de décembre, la justice est seulement saisie d'une plainte qui est un détournement de procédure et qui porte atteinte à nos droits de journalistes !

S'ajoute à l'instrumentalisation des services de police et de la justice, celle de l'administration fiscale. Le 21 décembre, Mediapart révèle que les déclarations de revenus et de patrimoine de M. Cahuzac posent problème. Très mystérieusement, vers vingt-deux heures dans la soirée du samedi 22 décembre, l'AFP diffuse un communiqué de la DGFiP, qui dépend du ministre du budget, affirmant qu'aucun contrôle ou enquête n'est en cours à l'encontre d'un membre du Gouvernement. Contrairement aux habitudes, ce communiqué est introuvable sur le site de la DGFiP : ce n'est qu'un mail transmis aux permanenciers de l'AFP.

Cela nous amènera, le lendemain, dimanche 23 décembre, sous la signature de Fabrice Arfi, à donner des informations sur les vérifications fiscales en cours : nous avions la preuve que, le mercredi 19 décembre, l'expert-comptable de M. Cahuzac s'était rendu à une réunion organisée à la direction régionale des finances publiques de Paris-Sud pour se voir notifier des observations sur les déclarations du ministre du budget.

La presse enfin est instrumentalisée. Le 26 décembre, une nouvelle dépêche de l'AFP intitulée « Cahuzac a priori solidement installé au Gouvernement, selon des experts » est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Cette dépêche cite deux experts : l'un, Gérard Grunberg, a été membre du cabinet de Michel Rocard, Premier ministre, quand Jérôme Cahuzac était membre du cabinet de Claude Évin, ce que la dépêche ne précisait pas ; l'autre, Jérôme Fourquet, présenté comme travaillant pour un institut d'opinion, est le co-auteur avec Jérôme Cahuzac d'un livre paru en 2011 à la Fondation Jean-Jaurès, dirigée par Gilles Finchelstein, collaborateur du ministre de l'économie, ce que la dépêche ne précisait pas plus.

Le 27 décembre, nous nous trouvions donc devant une situation stupéfiante : manipulation de la police, instrumentalisation de la justice et de l'administration fiscale avec un conflit d'intérêts manifeste, manipulation médiatique évidente. Pourtant, tout était sur la table et tous ceux qui, au coeur du pouvoir exécutif, voulaient savoir, savaient le sérieux de notre enquête.

Tel est le contexte de mon interpellation au procureur de la République de Paris, lancée le 27 décembre et rendue publique quelques jours plus tard. Jusque-là, la justice n'était saisie que d'une plainte qui portait atteinte à nos droits. L'inégalité des armes était flagrante, et nous comprenions d'autant moins l'immobilisme de la justice qu'un juge d'instruction, M. Guillaume Daieff, enquêtait depuis plus d'un an sur des liens entre des clients français et l'UBS, et donc sur des faits de fraude fiscale.

Cette lettre, vous le savez, a fait son chemin : le 8 janvier, le procureur de la République de Paris a annoncé l'ouverture d'une enquête préliminaire. Ce n'était pas ce que nous aurions recommandé : comme enquêteurs, nous savons que le parquet n'est pas indépendant et que les enquêtes préliminaires sont parfois à la diligence du pouvoir exécutif – ce qui, j'en donne acte au pouvoir exécutif actuel, ne sera pas le cas. Selon nous, il eût cependant été plus logique de donner un réquisitoire supplétif au juge Guillaume Daieff. Le bâtonnier Gonelle aura d'ailleurs la même idée et, en l'absence de réaction de l'Élysée, entrera en contact avec le juge Daieff. Ce processus sera interrompu par l'ouverture de l'enquête préliminaire.

Qui voulait savoir pouvait savoir. Le 29 décembre, à l'appui de notre lettre au procureur de la République, nous publions un entretien avec notre avocat, Jean-Pierre Mignard, dont chacun sait qu'il a, comme citoyen, des engagements politiques à gauche, et qu'il connaît fort bien le Président de la République. Il y explique le sérieux de l'information de Mediapart et redit que toute la lumière doit être faite sur cette affaire.

Le 8 janvier, une enquête préliminaire est ouverte. La veille, vous le savez, M. Cahuzac est à la télévision, en mission de communication au nom du Gouvernement. Il n'a jamais posé de question à l'UBS ; sa seconde plainte ne nous est pas signifiée.

Commence alors cette étrange manoeuvre de la mauvaise question posée à la Suisse, qui ne pouvait apporter qu'une réponse fausse.

Nous avons à plusieurs reprises, dès le mois de décembre, mentionné la société Reyl, devenue établissement bancaire à l'automne 2010 et interlocuteur financier durant toute cette histoire. Certes, nous avons publié un témoignage plus précis sur le rôle de Reyl, le 1er février, sur le blog d'Antoine Peillon, journaliste à La Croix, le meilleur spécialiste sans doute des questions d'évasion fiscale. C'est un banquier dont on connaît aujourd'hui l'identité, Pierre Condamin-Gerbier, qui parle. Mais nous mentionnions bien Reyl dès le mois de décembre. Singapour est également mentionné. La chronologie est précise.

Cette entreprise de communication que vous connaissez se développe pourtant : autour d'une réponse, que personne n'a jamais lue, qui aurait été donnée par la Suisse à la France. On lit même dans un hebdomadaire que « les Suisses blanchissent Cahuzac ».

C'est une nouvelle instrumentalisation de l'administration fiscale, puisque c'est dans le cadre d'une convention d'entraide que cette question a été posée. Les responsables d'administration sont aussi comptables de leurs actes, et cela pose la question de leur attitude. Ils ont lu Mediapart, et donc vu mentionner Reyl et Singapour ; ils savent que cette question n'est pas la bonne et qu'elle est imprécise ; ils la cautionnent pourtant.

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