Monsieur le président, je tiens à vous féliciter d'avoir réussi ce challenge, qui n'était pas gagné d'avance tant la création du musée du quai Branly a suscité chez mes collègues du muséum d'Histoire naturel et du musée de l'Homme de nombreux remous. J'ai beaucoup apprécié toutes les expositions temporaires organisées dans votre musée, en particulier en 2009 avec « Tarzan », « Le siècle du jazz » ou encore « Teotihuacan », pour lesquelles les files d'attente de trois heures sous la pluie dans un calme absolu étaient le signe d'une grande réussite.
L'avenir des collections ethnologiques de votre musée, et peut-être de celles d'autres musées d'ethnologie, se pose dans un contexte de restitution des têtes maories. Aujourd'hui, les pays pillés par les explorateurs des siècles précédents pour remplir les musées européens votent des lois patrimoniales plus dures. De fait, les équipes d'archéologues français qui fouillent actuellement en Égypte ne ramènent plus rien, doivent tout laisser sur place. J'aimerais avoir votre opinion sur ces demandes de restitution ? Comment voyez-vous l'avenir de nos collections ?
Votre site internet, wwwquaibranly.fr, est très bien fait : les photos des collections sont de taille raisonnable et de très bonne qualité, et un plan indique l'emplacement des oeuvres à l'intérieur du musée. Néanmoins, la page sur les conditions d'utilisation indique : « L'ensemble des contenus édités sur le site quaibranly.fr est la propriété exclusive du musée du quai Branly ou de tiers dont il a été obtenu les droits d'exploitation. Le terme "contenus" signifie tout type d'information, d'oeuvre, de texte, de vidéo, de son, d'animation, de photographie ou d'image contenus dans le site ». Monsieur le président, l'immense majorité des oeuvres de votre collection datant de plus de cent ans, elles font partie du patrimoine culturel de l'Humanité et de ce que nous dénommons en France le domaine public. Comment des oeuvres du domaine public pourraient-elles être la propriété exclusive de votre musée ?
La réponse pourrait être qu'il s'agirait des droits d'auteur, du photographe de l'oeuvre. Mais j'ai une première objection d'ordre technique. Pour qu'une photographie soit considérée comme une oeuvre, elle doit avoir un caractère original, comme le mentionne la directive européenne du 29 octobre 1993. Or toutes les photos de votre site sont prises sur le même modèle : un fond neutre, une lumière de face, un angle de trois-quarts. Elles cherchent donc simplement à représenter au mieux l'oeuvre photographiée, et non à être originales. Si vous craignez que le photographe qui a fait ces photos vous attaque en justice, il vous suffit de les faire refaire par un des très nombreux agents de votre musée. Ma seconde objection est d'ordre moral. Une des fonctions principales de chaque musée est de contribuer à la diffusion de la culture. Pourquoi alors ajouter des barrières juridiques à l'usage d'un domaine public qui devrait être accessible et réutilisable librement par chaque citoyen ?
En conclusion, je pense que vous auriez tout à gagner à revoir les conditions d'utilisation inscrites sur cette page obscure. Le ministère de la culture a encouragé tous les musées publics à clairement identifier les oeuvres qui ont été élevées dans le domaine public : on ne peut pas faire plus explicite.