Nous avons deux types de visiteurs, qui ont des demandes très différentes.
D'abord, à peu près 70 % de nos visiteurs sont des visiteurs classiques des musées, c'est-à-dire essentiellement des consommateurs culturels, des gens bien informés, typiquement une femme de plus de cinquante ans, enseignante, qui se rend à plusieurs expositions chaque année, par exemple au Grand Palais et au Centre Pompidou.
La part de notre public de région qui vient fidèlement – 40 % – est beaucoup plus importante que ce que nous avions prévu. Assez étrangement, le public intra-muros est minoritaire au quai Branly. En outre, nous recevons relativement peu de touristes, moins de 20 %, ce qui peut paraître surprenant dans la mesure où nous sommes situés au pied de la Tour Eiffel.
Ensuite, selon les années, entre 25 % et 30 % de nos visiteurs déclarent n'avoir visité aucun autre musée que le quai Branly dans l'année : ce sont des passionnés, des fidèles de notre musée.
La part de nos visiteurs de dix-huit à trente ans est de 30 %, ce dont nous sommes très fiers.
Selon les années, entre 20 % et 25 % de nos visiteurs ont une affinité personnelle avec les collections présentées au quai Branly.
Dans aucun autre pays, le musée d'ethnologie ne figure dans le groupe de tête. Si nous avons réussi à nous installer dans ce groupe de tête, c'est précisément grâce à notre politique d'expositions temporaires et de communication, qui nous amène un public très particulier.
Beaucoup de jeunes s'intéressent à notre musée, y compris des jeunes n'ayant pas l'habitude de fréquenter les musées, car la « culture pop » d'aujourd'hui, les mythologies qui font fonctionner les jeunes actuellement plongent très largement leurs racines dans des mythologies extra-européennes. Si vous demandez à un jeune qui est Sainte Suzanne ou Europe enlevée par Jupiter, vous aurez moins de chance d'obtenir une réponse correcte que si vous l'interrogez sur la différence entre l'exocannabalisme et l'endocannabilisme ou la définition d'un haka ou d'un moko. Nous jouons beaucoup sur ces phénomènes.
Nous recevons 180 000 visiteurs scolaires chaque année.
Notre budget est en baisse de 2,5 % – et même plus car à la baisse des subventions s'ajoute le prélèvement sur le fonds de roulement. Dans un contexte économique difficile, tous les musées doivent contribuer à l'effort national – il n'y a aucune raison qu'ils en soient épargnés. Le problème est que cela s'accompagne d'un « débasage ». Logiquement, un prélèvement en fonds de roulement devrait être exceptionnel ; et sur un établissement qui n'a pas de subvention, comme le centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) la communication, c'est une opération unique. Mais les services du budget expliquent qu'un prélèvement sur un établissement public subventionné ne peut se faire autrement que par une baisse de sa subvention. Or le budget de la culture est voté chaque année à partir d'une base. Par conséquent, ce débasage sera très difficile à remonter à partir des années 2014 ou 2015, même dans l'hypothèse d'un redémarrage économique.
Pour que ces économies affectent le moins possible notre production culturelle, nous avons réduit considérablement nos coûts de production par toute une série de ruses. En programmant, par exemple, une exposition sur les îles Marquises plutôt que sur le Sépik, nous réalisons des économies de transport car les objets des Marquises, collectés par les sociétés missionnaires, se trouvent essentiellement en Grande-Bretagne. Nous avons réduit le nombre de prêteurs et essayons de travailler sur des sujets nous permettant d'avoir un nombre moins important d'interlocuteurs. Lorsqu'il faut faire venir des objets de l'autre côté de l'océan, nous essayons systématiquement de trouver un coproducteur de manière à réduire les coûts de transport, de loin les plus élevés.
Les ressources propres de notre établissement s'élèvent aujourd'hui à 22 %.
Plus de 50 % de nos visiteurs ne paient pas l'entrée. Cette proportion est identique à celle du musée d'Orsay. À part les musées dont la fréquentation touristique est très importante, essentiellement Le Louvre et le Château de Versailles, la part des visites gratuites est donc très importante si l'on y ajoute la gratuité, notamment les premiers dimanches de chaque mois et pour les jeunes de moins de vingt-cinq ans. De surcroît, au quai Branly, nous ne tenons pas compte de la distinction communautaire, autrement dit un Malien de vingt-trois ans ne paiera pas non plus.
Vous me demandez s'il ne vaudrait pas mieux utiliser cet argent pour encourager la venue au musée d'un public non habitué. Dans notre cas, nous avons déjà une proportion sans doute plus forte qu'ailleurs de ce public. C'est un des coeurs de notre action, en particulier avec les opérations hors les murs, comme à Montreuil et à Clichy. À chaque fois, nous essayons d'envoyer l'original et pas la copie. Lorsque nous avons organisé une opération à Cergy-Pontoise, nous avons envoyé les conservateurs du musée, des professeurs au collège de France et non des animateurs qui ont répété la parole des professeurs. Cela me semble important et intéressant, même si cela a un coût.
S'agissant de la circulation des oeuvres, ma position est différente de celle de Jean-Luc Martinez car, contrairement au Louvre, nous avons d'énormes réserves – 300 000 oeuvres dans nos collections, dont 3 % ou 4 % sont exposées de manière permanente, que nous essayons de faire tourner le plus souvent possible. De fait, nous sommes un musée très prêteur et essayons de répondre au mieux aux demandes de prêts et de dépôts. C'est d'ailleurs la contrepartie de ce que nous demandons aux grands musées étrangers pour nos expositions.
Pour les opérations hors les murs, nous n'envoyons pas notre savoir parisien, nous travaillons avec les musées de région. C'est ce que nous avons fait avec la conservatrice du musée de Châlons-en-Champagne qui souhaite monter une exposition sur l'Inde.
Notre collaboration avec les autres institutions est un élément clé. Nous avons une convention de dépôts et de collaborations réciproques avec le Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MUCEM). Nous ferons de même avec le musée des Confluences, qui est un très beau projet appuyé sur des collections exceptionnelles. Et j'espère que nous aurons de nombreuses occasions de coopérer avec le nouveau musée de l'Homme. Je suis assez confiant car le projet scientifique tel qu'il a été rédigé par M. Mohen, qui a été directeur des collections du musée du quai Branly et du musée de l'Homme, devrait assurer une bonne cohérence. Le projet concerne un sujet que nous ne traitons pas, à savoir l'histoire de l'homme et son rapport à l'environnement. Je pense donc que ces deux institutions seront complémentaires.
Je crois vraiment à ce projet de Colline des musées, qui est déjà une réalité. Le palais de Tokyo se spécialise de plus en plus dans l'art contemporain non occidental, et nous ne chercherons pas à lui faire concurrence. Nous travaillons dans une vraie complémentarité – Jean de Loisy a été le commissaire de notre exposition « Les maîtres du désordre ». La communauté des directeurs de musée n'a jamais été aussi connectée.
La restitution des objets est un sujet sur lequel nous ne sommes pas, pour l'instant, confrontés. En effet, une grande partie de ces demandes de restitution concerne des restes humains, que nous ne conservons pas puisque nous ne sommes pas un muséum. Le cas des têtes maories relève d'un vrai débat philosophique : sont-elles des restes humains ou des restes humains devenus des objets ?
Par ailleurs, nous essayons de multiplier les coopérations avec les pays d'origine. Nous avons déjà fait deux expositions en Afrique, l'une au Mali et l'autre au Sénégal. Et nous envisageons de réaliser prochainement une exposition sur Nancy Cunard, nous l'espérons au Mali.
La formule de notre site internet sur « la propriété exclusive du musée du quai Branly » s'adresse davantage à Bill Gates qu'à un professeur des écoles. Qui plus est, elle est en grande partie infondée puisque nos collections ne nous appartiennent pas : elles sont la propriété de l'État et nous en sommes les gardiens. Comme vous le savez, chaque musée est dépositaire de sa collection, mais n'en est pas propriétaire. Nous allons donc nous pencher sur le sujet, car des améliorations peuvent être apportées. Notre objectif est de favoriser la diffusion de ces images à l'usage de tous ceux qui en ont besoin pour leurs études, leurs recherches ou leur plaisir personnel, et d'éviter d'être pillé par des utilisateurs commerciaux. En effet, si vous tapez « dogon » sur internet, vous tombez sur cinq sites marchands proposant de vous vendre des objets dogons, vrais ou faux, et nous voudrions éviter que nos photos ne se trouvent mêlées à celles de ces objets.
La direction générale attache une grande importance à l'accès au musée du public en situation de handicap. Depuis l'ouverture, nous avons réalisé de grands progrès puisque nous avons reçu les trois labels nationaux pour nos actions en faveur des personnes handicapées, et notre commission handicap se réunit deux fois par an. Aujourd'hui, l'ensemble de nos expositions comporte une introduction en langue des signes. Tous nos spectacles sont disponibles soit en langue des signes, soit par des boucles à destination des personnes malentendantes. Nos visites sont adaptées à toutes les formes de handicap, y compris le handicap mental. Pour chacune de nos grandes expositions dans la Galerie jardin, un espace tactile est disponible et des opérations sont conduites spécifiquement pour les handicapés.
Pour la ville du Mans, qui est en train de se doter d'un équipement muséal de niveau quasi international, notre objectif est de lui proposer, pratiquement gratuitement, des expositions selon les standards des très grands musées. En Ardèche dans un château privé ou en Corrèze dans un château appartenant au conseil général et dont les équipements sont limités, nous faisons des opérations sur mesure. Chaque fois que cela est possible, nous essayons de travailler avec les conservateurs des musées environnants. Notre pays dispose d'un tissu de musées de petite taille, souvent dirigés par des gens de très grande qualité, mais qui manquent souvent de moyens : ce sont nos premiers interlocuteurs et nous travaillons avec eux.
Notre mécénat représente environ 2 millions d'euros par an. Pour l'instant, la fiscalité du mécénat reste très favorable en France. Le problème est la concurrence du mécénat social et sportif qui attire de plus en plus les entreprises. Il nous faut trouver des mécènes qui s'intéressent à nos questions. Notre petite équipe réalise un travail de qualité qui, je l'espère, continuera d'augmenter nos ressources propres.
Notre musée comporte un espace dédié, la mezzanine ouest, où nous essayons d'imaginer des expositions très ambitieuses sur le plan conceptuel. C'est là que nous avons présenté la grande théorie de Philippe Descola sur la perception et la représentation de la peinture occidentale et de la peinture aborigène. Nous continuerons d'explorer ce travail. Nous avons un projet sur le rapport entre le robot et le corps humain et la manière dont la forme du corps induit des questions de perception. Vous le voyez : nous essayons de nous maintenir à la pointe de l'actualité, notamment en participant à différents groupements, comme Labex, avec les universités françaises et étrangères.