Je commencerai par quelques données. Le chiffre d'affaires du groupe EADS s'élevait à 56 milliards d'euros en 2012, dont 42 % réalisés en France. La production est exportée des « pays domestiques » à 76 %. Sur ces 56 milliards, 30 %, soit 17 milliards, concernent les domaines de souveraineté – la défense, la sécurité et l'espace –, ce qui fait d'EADS le premier acteur européen dans ces secteurs.
Le groupe a récemment décidé de réorganiser l'ensemble des activités de souveraineté en les rassemblant dans une division unique, à l'exception de l'activité de défense d'Eurocopter. Cette consolidation a pour objectif de renforcer notre efficacité pour faire face à la contraction générale des budgets européens de défense – la France faisant, de ce point de vue, figure d'exception : la prise de conscience par Paris de l'importance de l'investissement de défense n'a pas d'équivalent dans le reste de l'Europe.
Aux yeux du groupe EADS, qui est le premier fournisseur du ministère de la Défense avec trois milliards d'euros de chiffre d'affaires, le projet de loi de programmation militaire (LPM) préserve l'essentiel des capacités et confirme la place de l'industrie au coeur du dispositif de défense. Ce qu'il faut souhaiter, c'est que la performance économique du pays permette l'exécution de ce projet.
Pour l'industrie, il s'agit d'une loi de transition qui prévoit différentes productions et l'achèvement de programmes lancés auparavant, mais pas de programme nouveau. Dans ce calendrier, néanmoins, il nous faudra préparer les programmes futurs si nous voulons rester en pointe en matière de défense et préserver la capacité d'exportation de nos entreprises, laquelle est essentielle à l'équilibre de leur modèle économique.
Nous avons pris note tant des clauses de sauvegarde inscrites dans le projet de loi afin de garantir la disponibilité des ressources que de l'engagement politique clair exprimé par le Président de la République. Le modèle financier proposé par la loi est cependant fragile compte tenu du contexte économique. L'exécution est toujours un défi en matière de défense et l'industrie attache peut-être plus d'importance à ce défi qu'au contenu même du texte, voire aux prises de conscience et aux décisions politiques qu'il peut traduire.
L'idée que la technologie est au coeur de notre politique de défense est désormais partagée. Le débat sur les rôles respectifs de l'homme et de la machine est dépassé. Tous les retours d'expérience le montrent : si le succès des opérations militaires repose bien sûr sur les hommes et les femmes qui y sont engagés, il est indispensable que ceux-ci disposent des équipements les plus en pointe et les plus efficaces. La technologie est désormais partout. Même lorsque l'on combat un ennemi qui n'est pas un État organisé – ce qui est le cas de la quasi-totalité des engagements de nos forces –, les adversaires disposent du dernier état de la technologie. On ne peut donc faire l'impasse sur cet aspect.
Enfin, indépendamment de tout choix stratégique, l'approche nationale est aujourd'hui condamnée faute de moyens. Le nationalisme industriel de défense est un luxe que nous ne pouvons plus nous payer : il n'y a pas d'autre choix que de coopérer, sur la base de besoins harmonisés en amont et en tirant les leçons des coopérations difficiles que nous avons connues dans le passé.
De ma longue expérience en la matière, je conclus qu'il faut un chef au niveau des donneurs d'ordre et un chef au niveau de l'organisation industrielle. Il peut s'agir, dans le premier cas, d'un État, d'une agence européenne ou d'un bureau de programme, mais ce doit être un vrai chef qui dispose d'une délégation et n'est pas contraint de se retourner vers ses mandants chaque fois qu'il y a une décision à prendre ; dans le second, on doit laisser l'industrie s'organiser comme elle sait le faire, avec des maîtres d'oeuvre, un tissu de sous-traitants national et international. Il faut éviter d'entrer dans le détail de l'organisation industrielle en amont du programme. Je comprends l'importance que revêt aux yeux de la représentation nationale le retour économique dans le pays. La France doit bien entendu être le premier bénéficiaire de l'investissement français, mais c'est à l'industrie d'assurer ce retour et non aux bureaux de l'administration qui ont parfois une approche tatillonne de l'organisation industrielle. Chaque fois que l'on a privilégié la première solution, on a remporté des succès ; chaque fois que l'on a fait l'inverse en faisant primer les retours géographiques sur l'efficacité, on a rencontré beaucoup de difficultés.
J'en viens à mes commentaires sur le projet de LPM.
D'abord, le niveau de ressources annoncé pour l'agrégat « Équipement » permet de maintenir l'ensemble des grands programmes. Mais il consacre l'abandon de la planification 2009-2020 et remet significativement en cause les cibles et les cadences de production initialement prévues.
Pour ce qui concerne EADS, les livraisons prévues d'A400M d'ici à 2020 passent de 35 à 15. Bien qu'il entre dans notre métier d'industriel de nous adapter aux besoins et aux cadences, je souhaite néanmoins attirer votre attention sur l'importance de la continuité de l'effort s'agissant de l'A400M, gage de sa crédibilité. L'entrée en service opérationnel de l'appareil est une phase très importante de la vie du programme et toutes nos équipes sont mobilisées pour la réussir, d'autant que cette phase correspond au début des prospects à l'exportation. L'équilibre du programme est construit autour de la commande initiale en Europe, bien sûr, mais aussi et surtout autour d'un potentiel élevé d'exportation.
Le projet de LPM consacre également la réduction des commandes d'hélicoptères Tigre. Cette réduction ne sera que partiellement amortie, sur le plan économique et technologique, par la reconversion d'hélicoptères d'appui protection (HAP) en hélicoptères d'appui destruction (HAD), qui sont la version la plus récente et la plus adaptée aux besoins opérationnels modernes. Les spécifications du HAP remontent en effet à une époque où les menaces se situaient plutôt à l'est de l'Europe.
Quant au programme d'hélicoptères NH90, il est préservé jusqu'à la fin de la décennie par la confirmation de la commande de 34 exemplaires TTH supplémentaires, mais au prix d'une réduction importante de la cadence de production. Là aussi, l'importance du transport – qu'il soit tactique ou stratégique – est enfin reconnue.
L'ensemble du tissu industriel concerné par les programmes devra bien entendu s'adapter. Vous connaissez ma position à ce sujet : le travail de l'industrie est de s'adapter aux besoins tels qu'ils sont exprimés, à condition toutefois que ceux-ci ne soient pas soumis à des ruptures brutales qui vont au-delà que ce que permet l'élasticité de l'outil industriel.
Les programmes de souveraineté – dissuasion, renseignement d'origine spatiale – sont préservés.
Je ne serais pas complet si je ne disais pas un mot des drones. Faire voler des objets non habités dans l'atmosphère est, de mon point de vue, une technologie de rupture pour l'aéronautique dans son ensemble. La France et l'Europe ne peuvent pas faire l'économie d'une présence industrielle forte et souveraine dans ce domaine. C'est le sens de l'appel que nous avons lancé avec Dassault Aviation et Finmeccanica pour un programme futur de drones de surveillance, sachant que les drones de combat font l'objet d'un effort par ailleurs.
Cette technologie de rupture que constitue le vol non habité, piloté à partir du sol voire autopiloté, requerra des efforts de la part des pays européens et de la France s'ils ne veulent pas se voir complètement dépassés.
Cependant, il existe des besoins opérationnels urgents. L'industrie, l'État, l'administration et les forces armées ont raté collectivement et à plusieurs reprises le rendez-vous s'agissant des drones de surveillance, ce qui explique le recours à l'achat sur étagère de drones américains Reaper. Ceux-ci ont déjà fait leur preuve en opération. Il faudra les adapter aux forces françaises, étant entendu que cela doit rester une solution de transition.
Le projet de loi de programmation militaire, je l'ai dit, est un texte de transition qui doit nous inciter à préparer le lancement de nouveaux programmes pour le futur. L'effort de recherche et développement est donc crucial. Le ministre de la Défense nous a confirmé à plusieurs reprises qu'il serait préservé. Je ne peux que souligner son importance si nous ne voulons pas perdre pied à moyen terme, alors que la situation économique est très difficile.
Le maintien en condition opérationnelle (MCO) est également un sujet de préoccupation. Les ressources qui lui sont dévolues doivent permettre à la fois d'accompagner l'entrée en service d'équipements nouveaux et d'assurer la pérennité des parcs anciens. J'avoue mon inquiétude, car je n'ai pas encore acquis la conviction que l'on puisse faire les deux avec la progression annoncée des ressources. Ce travail, partagé entre l'État et l'industrie, demande de notre part un effort considérable.
Je terminerai par un sujet qui, du fait de mon parcours, me tient à coeur. J'appelle solennellement à une rénovation de la relation entre l'État et l'industrie, dont le maître mot serait : « plus de confiance, moins de défiance ». En tant qu'entrepreneurs, nous représentons bien entendu les intérêts qui sont les nôtres, mais nous sommes aussi, pour la plupart, extrêmement préoccupés de l'intérêt général et conscients du rôle que nous jouons pour notre défense et, très concrètement, pour l'efficacité et la protection de nos soldats en opérations. Nous savons que ce que nous faisons est vital, à la fois pour notre pays et pour les jeunes filles et les jeunes garçons qui font la guerre pour nous. Toute l'industrie est prête à travailler avec l'ensemble des acteurs pour redéfinir une relation basée sur la confiance.