Intervention de Denis Jacquat

Séance en hémicycle du 7 octobre 2013 à 16h00
Garantir l'avenir et la justice du système de retraites — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenis Jacquat :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, monsieur le rapporteur – cité excellemment, tout à l’heure, par notre collègue Arnaud Robinet –, monsieur le rapporteur pour avis, depuis exactement vingt ans – et je réponds ici, en particulier, à M. Terrasse – toutes les réformes qui ont été conduites pour pérenniser les régimes de retraite ont été le fait de gouvernements de droite : des mesures à fort impact, que ce soit en termes financiers, de justice sociale ou d’équité ont ainsi été prises régulièrement en 1993, 2003, 2008 et 2010.

La réforme de 2010, dont la principale mesure était le report de l’âge légal de départ à la retraite, a puissamment contribué à réduire les déficits attendus puisque, d’après les calculs de la CNAV, dès 2018, ce sont 75 % des assurés qui auraient décalé leur départ à la retraite.

Au total, l’ensemble de ces réformes a eu un impact positif pour les régimes de retraite, estimé par le Conseil d’orientation des retraites à 3,5 points de PIB en 2020 et près de 6 points de PIB en 2030.

Outre l’impact financier, les réformes menées depuis 1993 ont conduit à un renforcement de l’équité, grâce, notamment, à des mesures de convergence entre le secteur public et le secteur privé, des mesures liées aux carrières longues et la création d’un dispositif concernant la pénibilité.

Face aux effets de la crise, il faut poursuivre l’adaptation de notre système de retraite. Dès que la conjoncture l’a exigé, nous avons agi sans attendre : ainsi, en 2011, le rythme de montée en charge de la réforme de 2010 a été accéléré. Par comparaison, en 2012, alors que la crise économique continuait de sévir, François Hollande a rétabli partiellement le départ à la retraite dès soixante ans, pour un coût de l’ordre de 1,1 milliard d’euros en 2013, en renchérissant le coût du travail – + 0,25 point de cotisation pour les employeurs – et en attaquant le pouvoir d’achat – + 0,25 point de cotisation pour les salariés. Cette dernière décision a été prise à rebours des réformes accomplies précédemment pour encourager à travailler plus longtemps, dans un contexte démographique marqué par un vieillissement de la population, principalement en bonne santé.

Compte tenu de la persistance de la crise, le rendez-vous de 2013, prévu dès la loi de 2010, était plus que jamais à honorer. Les Français y étaient d’ailleurs prêts : d’après le sondage IFOP-Les Echos-Accenture d’avril 2013, 66 % des Français estiment qu’il est nécessaire de continuer à réformer les retraites et 80 % d’entre eux considèrent qu’il faut une vaste réforme pour repenser le système, en fusionnant les régimes.

Or, le rendez-vous que vous nous avez donné aujourd’hui est un faux rendez-vous. En effet, ce projet de loi n’est pas une réforme mais une non-réforme. C’est un texte « Hollande-Ayrault », simple habillage d’une hausse des impôts et des charges, qui révèle une amnésie totale : n’oublions pas que le Conseil d’orientation des retraites chiffre à environ 21 milliards d’euros les besoins de financement de l’ensemble des régimes d’ici à 2020 et que ce déficit résulte principalement des déséquilibres affectant les régimes de retraite complémentaire – AGIRC-ARRCO – et de retraite des fonctionnaires.

Les partenaires sociaux sont parvenus à un accord pour réduire de moitié le déficit prévu de l’AGIRC-ARRCO à l’horizon 2020, alors que le Gouvernement, responsable des autres composantes du déficit, n’a été capable, depuis son arrivée au pouvoir, que de procéder à des hausses d’impôts et de charges, handicapant toujours plus le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises.

Ainsi, les déséquilibres concernent moins le régime général que les régimes du secteur public. À ce titre, il est regrettable que les ménages et les entreprises soient conduits à accomplir des efforts supplémentaires au motif que l’État ne parvient pas à financer la retraite de ses agents.

Si les grands principes des réformes de 2003 et de 2010 sur les mesures d’âge sont maintenus, alors que les socialistes avaient bruyamment manifesté leur opposition à l’époque, c’est au prix, dans ce cas précis, d’une hypocrisie flagrante.

En effet, si le principe d’une répartition des gains d’espérance de vie entre durée du travail, donc durée de cotisation et retraite, posé dès 2003, est poursuivi jusqu’en 2035, il ne s’accompagne pas d’un décalage de l’âge légal de départ en retraite. Cela signifie que si la durée de cotisation passe à quarante-trois ans, celui qui a commencé à travailler à vingt-trois ans pourra partir à soixante-six ans pour avoir sa retraite complète alors que l’âge légal sera resté à soixante-deux ans. C’est prendre le risque que des Français partent à cet âge-là avec une décote et donc une baisse significative du niveau de leur pension.

Procéder comme le fait le Gouvernement, c’est donc choisir la mesure d’allongement du travail la plus néfaste pour le pouvoir d’achat des retraités et, surtout, la moins efficace financièrement.

Le renvoi en commission de ce texte « Canada Dry » est nécessaire pour de multiples raisons.

Tout d’abord, nous sommes en présence d’une réforme sous-calibrée : elle cible son effort sur les 7 milliards d’euros de déficit du régime général alors qu’il faut trouver presque 21 milliards d’euros pour combler les déficits tous régimes confondus.

On constate une régression sur la convergence : les hausses de cotisations des fonctionnaires ne se feraient pas au même rythme que celle des salariés du privé, au motif que la hausse du taux des cotisations des fonctionnaires croît déjà progressivement pour s’aligner d’ici à 2020 sur le taux du privé, qui est de 10,55 %.

Permettez-moi d’insister sur plusieurs points de ce texte. Ainsi qu’Arnaud Robinet l’a parfaitement rappelé voilà quelques instants, on note également que les recettes annoncées s’émoussent de toute part. Les employeurs ayant obtenu la promesse d’une compensation des hausses de cotisations, M. Berger, de la CFDT, revendique une compensation analogue pour les actifs. Il demande aussi à ce que non seulement les bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, mais aussi tous ceux qui sont en dessous du seuil de pauvreté soient exonérés du report d’indexation au 1er octobre.

Le financement du « paquet social » reste flou, voire non assuré. Le Gouvernement estime à 2,5 milliards d’euros le coût de la pénibilité en 2040 pour un financement escompté de seulement 800 millions d’euros par le biais de deux nouvelles cotisations employeurs à la même date.

Le projet de loi semble avoir totalement perdu de vue son objectif initial, c’est-à-dire la réduction des déficits : on ne glane de nouvelles recettes que pour financer de nouvelles dépenses.

De multiples autres raisons justifient la demande de renvoi en commission.

Ce projet de loi, ce sont des mesures anti-pouvoir d’achat plutôt que des mesures courageuses sur le travail. Les cotisations des actifs augmentent alors qu’elles ont déjà été augmentées pour financer le retour de la retraite à soixante ans : elles seront portées à 0,25 % d’ici à 2016. De même, l’impôt des retraités augmente alors que ces derniers financent déjà la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie qui avait été votée dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2013 et dont le taux a été fixé à 0,3 % en 2014. Pis, avec la fiscalisation des bonus pour trois enfants, il existe un risque sérieux de faire basculer dans l’impôt sur le revenu un nombre important de retraités.

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