Intervention de Mickael Wamen

Réunion du 10 septembre 2013 à 18h30
Commission d'enquête relative aux causes du projet de fermeture de l'usine goodyear d'amiens-nord, et à ses conséquences économiques, sociales et environnementales et aux enseignements liés au caractère représentatif qu'on peut tirer de ce cas

Mickael Wamen, représentant de la CGT du comité d'entreprise de l'usine Goodyear d'Amiens-Nord :

Le cabinet SECAFI indique très clairement que l'activité tourisme est demeurée à l'écart des investissements, que le projet de fermeture de cette activité à Amiens-Nord met en danger la pérennité de l'activité agricole avec un surcoût de 18,6 % pour cent kilogrammes. Mais lorsque j'ai demandé à M. Taylor comment il comptait absorber le surcoût lié à l'arrêt de l'activité tourisme, il m'a répondu que cela ne poserait pas de problème. J'ai trouvé cela très inquiétant.

J'ai par ailleurs observé ce qui se passait chez nos voisins de Dunlop. Selon un tract de 2009 de la CFTC, un droit d'alerte s'impose pour connaître l'avenir de l'usine : « Voilà neuf mois que le système des 4x8 est appliqué au sein de l'usine Dunlop. Le groupe nous a contraints à cet aménagement du temps de travail pour réduire les coûts de fabrication de 20 % et c'était la seule condition pour obtenir les investissements. Après neuf mois, force est de constater que notre usine n'est pas plus compétitive et que les investissements ne sont pas encore au rendez-vous. » Je vous communiquerai des coupures de presse qui montrent que les 4x8 ne correspondent pas à ce qui avait été présenté.

Pour les années 2006 et 2007, à la page 9 d'un document du cabinet SECAFI on trouve des éléments inquiétants. Sous le titre : « Les logiques de restructuration pénalisantes pour l'emploi », nous apprenons que Goodyear constituait une provision pour restructuration d'un montant de 3,8 millions d'euros, alors qu'en 2006 et 2007 aucune restructuration n'était en cours en France. Comment Goodyear pouvait-il savoir en 2006 que les 4x8 allaient être refusés ? Et l'on ne compte pas les informations de ce type.

À la page 21 de ce même document de 2006, on peut lire : « Comme nous l'avions déjà souligné dans notre intervention sur les comptes prévisionnels, les productions sur les diamètres les plus faibles – 13 et 14 pouces – sont en très fort recul. » Il faut savoir qu'en 2006, contrairement à ce qui a été dit jusqu'aujourd'hui, le site d'Amiens-Nord était capable de consacrer 90 % de sa production aux pneus en HV (haute vitesse) qui correspondent parfaitement aux besoins du marché européen. Tout ce qui a été dit par Goodyear depuis le début, à savoir que le site n'était pas en mesure de produire les pneus demandés par le marché, tombe à l'eau à la seule lecture de cet extrait du rapport. On avait même produit des pneus de 17 pouces à l'époque.

À la page 65 du document du cabinet SECAFI, il est question de la baisse de l'activité déjà engagée concernant le secteur tourisme. En 2004, on produisait 20 144 pneus par jour, chiffre qui est tombé à 19 000 en 2005 et à 17 000 en 2006. La baisse de l'activité tourisme était déjà engagée par le groupe Goodyear alors même que nous n'avions pas encore abordé la question des 4x8.

Je vais vous transmettre des éléments de nature à vous intéresser sur la fusion juridique et sur les transferts des productions – qui se sont révélés assez importants. Ces documents ont été remis par la direction de Goodyear Amiens-Nord en 2008. Prenons l'exemple du « transfert de certaines productions dans des pays à bas coût ». Selon un de ces documents, « arrêter ces productions reviendrait à remettre en cause d'autres activités plus rentables compte tenu du risque de voir partir des clients privilégiant un fournisseurs unique pour des pneus à faible et à haute valeur ajoutée. S'il est nécessaire de poursuivre la commercialisation de ces références incontournables, il importe en revanche de produire ces pneus à faible valeur ajoutée dans des pays à bas coût de main-d'oeuvre, comme par exemple en Chine. Dans cette optique, le groupe prévoit de transférer certaines productions auprès des partenaires industriels, notamment Sumitomo qui dispose d'infrastructures industrielles en Chine capables d'approvisionner le groupe dans des conditions compétitives y compris en Europe. »

Le 22 septembre 2010, dans une note interne, la direction écrit aux salariés que « Goodyear s'engage à maintenir l'activité agricole à Amiens-Nord tant qu'aucun potentiel repreneur n'aura confirmé le rachat, avec un plan d'investissements de 5 millions d'euros sur trois ans minimum, le maintien des effectifs et la description détaillée des perspectives d'activité ». Et aujourd'hui on parle de fermer le site !

J'en viens à la conclusion de cette présentation qui, vous pourrez le lire dans tous les documents qui vont vous être remis, est l'exact reflet de la situation de notre établissement. Cela dit, il faudrait de nombreuses heures pour retracer l'histoire que l'on vit au quotidien dans cette usine depuis maintenant six ans, voire plus, une usine qui appartient à un groupe qui a décidé depuis des années de fermer le site. Goodyear a une politique industrielle à un horizon de dix ans. Quand, en 2007, la direction décide de supprimer des emplois, on peut estimer que la décision avait été prise au début des années 2000.

Sur le site de Continental à Clairoix, en Picardie, les salariés ont accepté de valider un projet remettant en cause leurs acquis et leur vie de famille parce qu'ils ont cru aux paroles rassurantes des patrons et, surtout, parce qu'ils voulaient garder leur emploi, « Conti » promettait du travail pour au moins cinq ans. Le résultat est connu de tous ! Le site de Clairoix était une usine ultramoderne. Les presses – 2 millions d'euros – ont cuit un pneu… On comptait 150 millions d'euros d'investissements en moyenne par an. Où est cette usine aujourd'hui ? Où sont les promesses ? L'usine est fermée et la production a été complètement transférée en Roumanie. Tous les salariés ont été virés. Plus de 70 % d'entre eux restent à ce jour sans emploi, au chômage, et le RSA guette déjà certains. Voilà l'Eldorado proposé par les patrons.

Il y a quelques semaines, le tribunal de Compiègne a jugé illicite la fermeture et les licenciements pour défaut de raison économique. Quand un groupe comme Goodyear annonce des millions, voire des milliards d'euros de bénéfices après impôt, quel peut bien être le motif économique de la fermeture ? Quelle est la justification économique d'une fermeture qui est en réalité une fraude au droit du travail, une fraude fiscale. En raison d'une absence de motif économique, la justice interdit donc à Conti de licencier mais, hélas, ce jugement, prononcé trois ans après les faits, ne permettra pas le redémarrage de l'usine et encore moins le réembauchage des salariés. Il arrive trop tard, après que les patrons ont fermé le site – patrons que l'on peut aisément qualifier de voyous.

Mais Dunlop, ça marche, diront certains ! Sans doute, mais pour qui ? L'usine de Dunlop est maintenue en vie artificiellement, et je pèse mes mots. Quand nous luttons pour nos emplois à Amiens-Nord, nous sauvons les emplois d'Amiens-Sud. Je l'ai dit à maintes reprises à qui voulait l'entendre : après Amiens-Nord, ce sera le tour d'Amiens-Sud. Si depuis six ans nous sauvons nos emplois, nous pouvons très tranquillement affirmer : nous sauvons les emplois quotidiens du millier de salariés de Dunlop. Il y a à cela une raison simple : le groupe Goodyear n'acceptera pas une fois de plus de nous donner raison. Nous avons gardé nos systèmes de rotation 3x8 et SD. Chez Dunlop, ils ont accepté la mise en place des 4x8 et, depuis, plus rien ne va. Il suffit de reprendre le tract que je vous ai lu tout à l'heure ou certaines coupures de presse. Le site a perdu 50 % de son volume de production depuis la mise en place des 4x8 ! Il est passé d'environ 18 000 pneus par jour à moins de 9 000 alors que les perspectives de viabilité prévues par l'accord 4x8 étaient de 21 000 pneus par jour pour que nous parvenions à gommer l'écart de 15 % qui nous séparait de l'usine de Riesa en Allemagne. C'est à ces conditions que le site de Dunlop devenait rentable.

De très longues périodes de chômage partiel ont été imposées aux salariés de Dunlop avec des pertes de rémunération. Qui paie ? L'État, or « l'État, c'est nous » ! De nombreux salariés sont en arrêt maladie ou accident du travail. On a même créé une cellule psychologique. Le turn over est énorme ; le nombre d'intérimaires ne cesse de progresser. Cela signifie que le coût du travail chez Dunlop est plus élevé depuis le passage aux 4x8. Et comme Goodyear est une centrale financière qui ne réfléchit qu'en dollars, l'avenir du site Dunlop d'Amiens-Sud est sur la sellette.

Bref, vous comprendrez que les 4x8 ne sont bien que pour les actionnaires et que ce système ne change hélas rien à la situation économique d'une usine qui est dans le collimateur d'un groupe qui a décidé de longue date de se retirer non pas des deux usines d'Amiens, mais de l'activité pneumatique en France, tout comme Continental et Michelin s'apprêtent à le faire dès demain.

Faut-il rappeler qu'en 2010 le tribunal de grande instance d'Amiens a déclaré, dans une ordonnance, illicite l'accord 4x8 car non-conforme au droit du travail. Comment une direction d'entreprise d'une multinationale peut-elle proposer à quelque organisation syndicale que ce soit un accord qui ne respecte pas le code du travail, donc le droit des salariés. Cela renforce la légitimité de notre refus des 4x8 et le fait que l'accord signé par deux organisations syndicales ultra-minoritaires ait été dénoncé par la CGT.

Désigner les opposants aux 4x8 comme les coupables des maux d'Amiens-Nord, c'est commettre une grave erreur de jugement et d'analyse car le raccourci est très facile. De même, faire porter la responsabilité de cette situation à la seule CGT, c'est nous faire porter un rôle de gestionnaires que nous n'avons hélas pas. Nous avons le droit d'avoir un représentant qui, une fois par an, assiste à un conseil d'administration. Mais quel est le rôle d'un élu du personnel au sein d'un conseil d'administration ? C'est d'abord de se taire et ensuite de constater les décisions qui sont validées, y compris les pires. Nous n'avons aucun pouvoir de décision sur la stratégie du groupe Goodyear dans le monde.

Il manque sans doute des éléments à cette présentation mais je reste, avec mes camarades de la CGT, à votre entière disposition pour vous fournir tout ce dont vous avez besoin. Nous allons d'ores et déjà vous remettre quelques kilos de documents à la manière de la direction de Goodyear qui mesure la qualité d'un PSE au poids total des documents qu'elle nous donne – j'ai compté 750 kilogrammes en six ans, ce qui fait mal au dos sans faire avancer le plan social. La commission d'enquête sera ainsi plus éclairée aujourd'hui sur la réelle situation du site.

Je terminerai en rappelant qu'aucun élu CGT n'a été condamné pendant cette longue période. En revanche, nous avons subi. J'ai été mis en examen à cinq reprises en tant que secrétaire du syndicat. Or à aucun moment la justice n'est allée au-delà et les responsables de ces mises en examen vont bientôt devoir répondre devant la justice de cet acharnement. J'ai compté également cinq mises à pied de trois jours. Chacun de nos collègues de la CGT a été mis à pied au moins une fois. La direction a également présenté des demandes d'autorisation de licenciement à l'administration qui les a refusées. Pourquoi ? Parce que la CGT, chez Goodyear, en utilisant simplement le droit du travail et le droit des salariés, empêche depuis plus de six ans une multinationale, l'une des plus puissantes au monde dans l'activité du pneumatique, de fermer son usine.

Soyons clairs : un plan social, une fermeture d'entreprise, une délocalisation n'ont rien d'illicite pour peu que l'activité en question soit en train de s'écrouler. Prenons l'exemple de Kodak. On peut très bien comprendre que, le secteur de l'argentique s'écroulant, Kodak ne puisse maintenir le même nombre d'emplois si le numérique en exige moins. Dans le pneumatique au contraire, le nombre de pneus vendus en Europe est en augmentation constante : 5 millions de pneus vendus en plus en 2012 par rapport à 2011. C'est bien la preuve qu'il y a transfert de l'activité. On me répondra que Peugeot licencie ; sauf que Peugeot suit la même logique que Goodyear.

En outre, le pneumatique ne se réduit pas à un seul marché : il ne concerne pas uniquement l'équipement d'origine. Il faut aussi tenir compte du marché du pneu de remplacement. Ainsi, quand Goodyear équipe Peugeot d'un million de pneus D207 par an, au bout de 30 000 ou 35 000 kilomètres parcourus, on change de pneus et Goodyear escompte bien à cette occasion revendre des produits Goodyear. Je précise au passage que ces pneus, auparavant fabriqués à Amiens-Nord, proviennent désormais de l'usine de Dębica ; autrement dit, la fabrication d'un million de pneus a été transférée en Pologne ; si ce n'est pas frauduleux alors c'est que je ne comprends rien. L'intérêt pour Goodyear d'avoir un marché du remplacement est simple à comprendre : quand il vend un million de pneus à Peugeot, il tire les prix ; mais les individus, eux, paient le prix fort et c'est là-dessus que Goodyear fait ses marges. Que le marché de la voiture se porte bien ou pas, Goodyear sourit toujours. Cherchez l'erreur !

Si nous n'avons pas été condamnés, la direction de Goodyear, elle, l'a été systématiquement, en correctionnelle et même au pénal, pour défaut d'informations auprès de salariés qui souffrent notamment de cancers dus à l'exposition, pendant vingt ou trente ans, à des produits nocifs sur leur lieu de travail. L'employeur n'a même pas pris le temps d'inciter les salariés à se protéger. Si notre santé n'intéresse pas la direction, on peut en conclure que notre vie non plus. Nous avons été obligés, avant les vacances, d'envoyer un courrier à la direction pour l'informer que cinq ou six camarades étaient décédés à cinquante ans passés à peine, quand ce n'était pas à quarante-cinq ans, mais les représentants de la direction ne viennent même plus aux obsèques de salariés ayant vingt-cinq ans d'ancienneté. Cela montre l'état d'esprit de la direction.

Je remercie la commission d'enquête d'avoir écouté ce que j'avais à dire. J'espère l'avoir éclairée sur la vraie situation de notre usine et de ce groupe. J'ai une pensée particulière pour tous les salariés que je représente ce jour avec fierté et honneur. Je suis à votre disposition pour répondre à vos éventuelles questions.

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