Je rappellerai en premier lieu que l'ANDRA est un établissement public à caractère industriel et commercial créé par la première loi sur les déchets radioactifs. Nous avons une triple tutelle : énergie, environnement et recherche. Notre unique mission est la gestion à long terme des déchets radioactifs. Nous avons aujourd'hui 600 salariés et notre budget est d'environ 200 millions d'euros. Nos activités sont essentiellement financées par les producteurs de déchets, suivant différents canaux : taxes ou contrats.
La problématique des déchets radioactifs est bien illustrée par l'inventaire national que nous publions tous les trois ans ; c'est une de nos missions d'intérêt général, qui est financée par l'État. Les derniers chiffres que nous avons publiés montrent que nous avions, fin 2010, 1 320 000 mètres cubes de déchets sur le territoire français, dont 90 % ont une solution de gestion. Il s'agit essentiellement de déchets de faible et moyenne activités à vie courte et de déchets de très faible activité – essentiellement des déchets d'exploitation et de maintenance des centrales et des déchets de démantèlement.
Si les volumes de déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue sont très faibles, l'activité totale de ces deux catégories représente à elle seule la presque totalité de la radioactivité (99 %).
L'inventaire publié par l'ANDRA établit une photographie à l'instant t, mais fait aussi oeuvre prospective. En effet, pour pouvoir travailler sur des solutions de gestion, il est important de se projeter dans le temps et d'évaluer la production prévisionnelle des déchets radioactifs. En accord avec le Comité de pilotage de l'inventaire qui réunit toutes les parties prenantes, nous avons donc établi deux scénarios et étudié la production de déchets correspondante.
Ce sont deux scénarios volontairement contrastés et théoriques : l'un suppose la poursuite de la production d'électricité nucléaire, avec une hypothèse de durée de vie du parc de cinquante ans par réacteur ; l'autre suppose le non renouvellement de la production électronucléaire, qui impliquerait l'arrêt des réacteurs dès qu'ils atteignent quarante ans de durée de vie, et l'arrêt du retraitement en 2019, afin de ne pas produire du plutonium ou du MOX qui ne pourraient pas ensuite être réutilisés dans les centrales.
S'agissant des déchets de faible et moyenne activité, on ne constate pas de grosse différence de volume selon les scénarios ; la différence s'explique essentiellement par la différence de durée de vie : dans un cas quarante ans, et dans l'autre cinquante ans – ce qui a forcément un impact sur les déchets d'exploitation et de maintenance. La différence majeure tient au fait que, dans le scénario d'un arrêt du nucléaire et du retraitement, l'ANDRA aura de surcroît à étudier le stockage de combustibles usés – ce qui n'est évidemment pas le cas quand on poursuit la production d'électricité, puisqu'on ne stocke alors que des déchets vitrifiés.
Il faut également retenir de l'inventaire et du PNGMDR que, finalement, avec les centres de stockage existants de l'ANDRA, nous sommes tranquilles s'agissant de la gestion des déchets d'exploitation et de maintenance du parc nucléaire. En effet, avec le centre de surface de l'Aube aujourd'hui en exploitation, qui a été mis en service en 1992, nous avons une capacité suffisante (1 million de mètres cubes) pour accueillir les déchets du parc, y compris dans une hypothèse de cinquante ans de durée de vie.
Nous nous inquiétons davantage des capacités actuelles du centre de stockage des déchets de très faible activité situé à Morvilliers, également dans l'Aube, qui est autorisé pour 650 000 mètres cubes. Les projections de l'inventaire prévoient en effet plus d'1,3 million de mètres cubes de déchets à produire par les démantèlements des installations nucléaires de base. Il nous faut donc nous interroger sur notre capacité à stocker ces volumes très importants de déchets de très faible activité, issus de démantèlements. L'ANDRA a mis sur la table un certain nombre de propositions, tant du point de vue de la recherche et du développement, que des possibilités de traitement de ces déchets, voire de recyclage, évidemment dans le respect de l'absence actuelle de seuil de libération. Le Haut comité à la transparence et à la sécurité nucléaire vient, de son côté, de mettre en place un groupe de travail sur ces mêmes questions.
À l'ANDRA, nous sommes très mobilisés par le projet de stockage géologique pour les déchets de haute activité et moyenne activité à vie longue. Le projet Cigéo fait actuellement l'objet d'un débat public, qui rencontre certaines difficultés puisque toutes les réunions publiques ont dû être écourtées ou annulées. Cela étant, un tel débat est très riche : des centaines de questions, auxquelles l'ANDRA répond ; des débats contradictoires sur Internet ; d'ores et déjà, plus de quarante cahiers d'acteurs, qui représentent la diversité des positions. De fait, il y a de nombreuses prises de parole, tant des collectivités locales que de scientifiques, de chefs d'entreprise ou d'associations opposées au stockage.
Aujourd'hui, le stockage géologique est la solution de référence pour ce type de déchets, retenue par tous les pays nucléarisés dans le monde. La vraie difficulté rencontrée par les pays qui souhaitent mettre en oeuvre cette solution de gestion consiste à trouver un territoire qui veuille bien accueillir une telle installation. Voilà pourquoi les démarches qui sont préconisées, et d'ailleurs reconnues par toutes les instances internationales, doivent être progressives, concertées et transparentes. En ce sens, la démarche française, qui a été initiée par le Parlement dès 1991 et renouvelée en 2006, fait office de modèle dans le monde entier.
Je profite de l'occasion pour dire que, compte tenu des enjeux, il me paraît important de marquer notre reconnaissance vis-à-vis des territoires qui acceptent d'accueillir ces installations essentielles pour le pays, et de mettre en sécurité, à long terme, ces déchets. De ce point de vue, la proposition du rapport de MM. Bouillon et Aubert consistant à mettre en place des zones d'intérêt national pour encadrer et définir une fiscalité ad hoc pour ces territoires me paraît très bonne. Je me permettrai simplement d'élargir le débat au département de l'Aube, qui accueille aujourd'hui deux installations de stockage essentielles. Ne serait-il pas opportun d'y maintenir une fiscalité spécifique liée au stockage ? En effet, il y a des conflits d'intérêt entre la fiscalité spécifique accordée aux installations de stockage de déchets radioactifs et des mesures de portée générale : en raison des systèmes de péréquation, tout ce que les collectivités pourraient toucher en complément de ressources peut se trouver reréparti de manière générale. J'appelle donc l'attention du Parlement sur cette question.
Je terminerai sur la réversibilité. En 2006, en effet, le Parlement a chargé l'ANDRA de travailler sur un stockage réversible. Nous avons compris que le Parlement et la société avaient deux demandes fortes : premièrement, pouvoir récupérer les colis de déchets en cas de besoin ; deuxièmement, pouvoir revenir sur les décisions prises aujourd'hui. Les propositions que nous avons formulées tournent autour de trois points.
D'abord, techniquement, nous travaillons sur un projet de stockage qui permettrait, grâce aux engins qui travaillent dans les deux sens et au dimensionnement des colis et des alvéoles, de pouvoir retirer les déchets si la décision en était prise.
Ensuite, quand nous déposerons notre demande d'autorisation de création en 2015, nous proposons de mettre sur la table un planning de fermeture progressive pour assurer la sûreté à long terme. La sûreté à long terme d'un tel stockage, qui repose essentiellement sur le confinement par l'argile, ne pourra être assurée qu'en fermant hermétiquement les installations à l'issue de l'exploitation. Cela étant, les générations futures pourront ne pas partager cette vision. Voilà pourquoi l'ANDRA suggère que la vision qu'elle défend soit réexaminée tous les dix ans, à l'occasion d'un point qui sera fait avec l'ASN et avec la société civile.
En conclusion, si le débat public de 2005 avait conclu sur la question sous-tendue par la problématique du stockage géologique, à savoir : « Vaut-il mieux faire confiance à la géologie, à travers le stockage géologique, ou à la société, à travers un entreposage pérennisé ? », l'ANDRA propose aujourd'hui les deux solutions : un stockage géologique sous contrôle de la société, avec un contrôle démocratique qui serait à définir par le Parlement dans la fameuse loi sur les conditions de réversibilité.