Intervention de Yannick Rousselet

Réunion du 2 octobre 2013 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire à Greenpeace France :

Je regrette d'être le seul représentant d'associations dans la salle. Selon moi, le jeu institutionnel a toute sa place. Et je vous remercie de votre invitation.

Mais venons-en à la situation actuelle en matière de gestion des déchets. À entendre les trois premiers intervenants, le dispositif fonctionne bien, de manière équilibrée. En particulier, le choix du retraitement qui a été fait permettrait d'avoir des filières de déchets particuliers, bien rangés dans de petites cases. Comme si on ne savait pas, ou qu'on avait voulu oublier, que le retraitement n'est qu'une partie de la solution de gestion des combustibles irradiés. De fait, on extrait du plutonium, qu'on consomme dans du MOX, mais comme on ne peut pas extraire davantage de plutonium que ce qu'on va consommer, on finit par ne retraiter qu'une partie de nos combustibles irradiés.

Une première filière, grâce au retraitement, permettrait qu'il n'y ait pas, à l'arrivée, de combustible irradié. Or en fait, notre stock de combustible irradié augmente tous les ans d'environ 250 tonnes ; et actuellement, il y a 1 100 tonnes de combustible irradié dans les piscines de La Hague. En réalité, nous avons une gestion mixte de nos combustibles irradiés. Contrairement à ce que tout le monde pense, il n'y a pas de filière de retraitement qui « avalerait » l'ensemble de nos combustibles.

Nous aurions deux options : premièrement, on continue le retraitement et on n'a plus de combustible irradié ; deuxièmement, on arrête le retraitement, on arrête le nucléaire et on se retrouve avec des combustibles irradiés. D'où les deux scénarios présentés par l'ANDRA. Mais cela ne correspond pas à la réalité.

Il faut que tout le monde ait bien conscience que, d'une manière ou d'une autre, nous aurons des combustibles irradiés à gérer. Pour l'éviter, il faudrait que nous arrêtions notre filière nucléaire, tout en continuant le retraitement des déchets. Mais alors, on se retrouverait avec des stocks de plutonium dont personne ne saurait que faire.

Le retraitement constitue un vrai problème. On nous dit en permanence qu'il permet d'éliminer une grande partie des produits, et que grâce à la future génération 4 qui viendra à notre secours, le problème se réduira finalement à ces déchets de très haute activité, qu'il suffira d'enfouir. Malheureusement, la situation est beaucoup plus compliquée que cela. Cette politique mixte nous conduit, de toutes les façons, à avoir un stock de combustibles irradiés qu'il faudra bien gérer. Pour le moment, on refuse d'en parler dans le projet Cigéo. Mais il faudra bien s'en préoccuper un jour.

J'ai l'impression, depuis quelques années, d'assister à une intoxication collective. On entend toujours le même refrain autour du retraitement et des filières de recyclage. Par exemple, le plutonium ne serait pas un problème parce qu'on le met dans le MOX. Sauf qu'aujourd'hui, ce cycle n'existe pas. Par exemple, on pourrait recycler les autres produits que le plutonium, qui restent entreposés. De fait, dans le passé, on a envoyé en Sibérie de l'uranium de retraitement. Sauf que ce n'est plus le cas.

J'ai l'impression que la représentation nationale continue toujours à raisonner par rapport à un scénario idyllique, qui n'a rien à voir avec la réalité du moment.

On nous dit que ce n'est pas grave et que grâce à ASTRID et à la quatrième génération, on pourra brûler tous les produits qui nous posent problème. Or il faudra bien engager une réflexion à ce propos, car la quatrième génération ne se réduit pas à la filière qui nous est « vendue » par le CEA.

J'en viens à nos propositions en tant qu'association.

Nous refusons de remettre dans le circuit public toute forme de déchet nucléaire. Cette question sur le seuil de libération ne doit pas être reposée. Cela dit, rien n'empêcherait de discuter de ce que l'on pourrait faire, par exemple, de la ferraille et d'envisager une filière dédiée, en interne, au niveau de l'industrie nucléaire. Il est exclu de refondre cette ferraille et de la réintroduire dans l'industrie classique. Mais il faut tout de même faire attention, car cela reviendrait moins cher aux exploitants.

Nous sommes favorables, comme l'ASN, à un démantèlement rapide, sous la responsabilité de l'exploitant, et nous nous opposons à certains de nos amis qui souhaitent la sortie du nucléaire, mais qui pensent qu'il vaut mieux laisser progressivement les installations perdre leur activité.

Nous sommes opposés à l'enfouissement en grande profondeur tel qu'il est présenté aujourd'hui. En effet, on ne nous a pas encore fait la démonstration que la sûreté à long terme serait ainsi assurée, aussi bien pendant la période d'exploitation que pendant la période finale. Nous sommes donc, pour le moment, favorables à la solution la moins mauvaise, à savoir l'entreposage en subsurface, adopté par de nombreux pays. Mme Marie-Claude Dupuis affirmait tout à l'heure que tous les pays du monde avaient choisi le stockage en grande profondeur : j'aimerais en connaître la liste, elle risque d'être courte…

Pour garder la responsabilité morale, juridique, financière des pays producteurs, nous refusons catégoriquement d'exporter nos produits. C'est peut-être une évidence, mais il faut le rappeler. J'espère qu'EDF ne va pas continuer à exporter de l'uranium de retraitement, comme il l'a fait il y a quelques années en Russie. Les résidus de cet uranium de retraitement ont fini injectés directement sous terre – je vous renvoie aux travaux du Haut comité sur la transparence sur ce sujet. Ce sont des pratiques que, bien évidemment, nous n'accepterions pas nous-mêmes.

En conclusion, je rappelle notre position : il serait bon de « fermer le robinet » avant d'avoir à se préoccuper de la baignoire qui déborde. Nous sommes bien sûr favorables d'abord et avant tout à l'arrêt de la production de déchets. Je rappelle que l'Allemagne mène actuellement une discussion relativement sereine sur le sujet, même avec les militants les plus radicaux. Mais il faut reconnaître qu'une fois que la décision de sortir du nucléaire a été prise, on se trouve dans un état d'esprit assez différent de ceux qui entendent aujourd'hui, en France : « On va discuter de la gestion des déchets, mais ne vous inquiétez pas, on va continuer à en produire ! »

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