Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, l'ASN est une autorité indépendante, chargée de contrôler les installations, et notamment la façon dont elles gèrent les déchets. Elle doit s'assurer, installation par installation, que les choses sont correctement menées du point de vue de la sûreté. Mais la sûreté des déchets s'apprécie également de façon globale : où met-on les déchets, dans quelle installation ? Voilà pourquoi, historiquement, notre approche classique, installation par installation, s'est doublée d'une approche sur la stratégie globale de gestion des déchets.
Pour nous, trois principes prévalent dans le domaine de la gestion des déchets.
Premièrement, il faut des filières de gestion définitive, sûres, pour tous les déchets. C'est la fameuse matrice que l'on trouve dans tous les rapports, où l'on s'est attaché à classifier tous les déchets, selon leur durée de vie et leur nocivité. C'est une matrice essentielle, qui rappelle que, case par case, il faut trouver une solution pour chaque type de déchets.
Deuxièmement, tout ce que l'on peut faire maintenant pour limiter la charge des générations futures, en réponse aux décisions politiques qui ont été prises en matière de nucléaire, doit être engagé. Ce sont des sujets compliqués, qui demandent du temps, mais il faut avoir le courage de rechercher dès maintenant des solutions adaptées, alors même que le bénéfice que l'on peut tirer du nucléaire est un bénéfice présent.
Troisièmement, ces sujets compliqués doivent se traiter de manière ouverte avec tous les acteurs. L'ASN et la direction générale de l'énergie et du climat en ont pris l'initiative dès 2003 – soit avant la loi de 2006. On arrive à parler calmement, en laissant les uns et les autres exprimer leurs points de vue. C'est un progrès important, d'autant que la sûreté est un domaine difficile à aborder.
Par ailleurs, nous considérons comme essentiel de disposer d'un plan national de gestion des matières et déchets radioactifs. Ce plan est remis à jour tous les trois ans. Le dernier est en ligne depuis le printemps dernier. C'est le fruit d'un travail collectif auquel nous participons tous. Sa révision régulière se justifie par le fait que les inventaires changent, que des options sont prises et que les matières et les déchets peuvent changer de place. Il faut absolument suivre ce qui se passe, c'est un élément important de la construction progressive des solutions qui s'avèrent nécessaires.
Mais je remarque que jusqu'à présent, nous avons parlé uniquement des déchets, et notamment des plus radioactifs d'entre eux. Or dans les débats publics préalables à la loi de 2006 sur les déchets, on avait dit qu'il fallait s'intéresser non seulement aux déchets, mais aussi aux matières radioactives, qui présentent également un risque. Où sont-elles ? Quel est leur devenir ? Dans certaines options, ces matières peuvent être considérées comme des déchets, et pas dans d'autres. D'où l'importance des travaux que nous menons autour de ces matières, de manière à avoir une vue exhaustive des déchets ou de ce qui pourrait le devenir. Et c'est un des sujets de discussion essentiels du plan national.
J'en viens maintenant à quelques commentaires rapides.
S'agissant du projet Cigéo, l'ASN a pris publiquement position – notamment en juin dernier. Nous sommes favorables au principe même du stockage géologique. Nous considérons que la solution d'entreposage de très longue durée présente des inconvénients majeurs en termes de sûreté et que l'option de référence – qui est d'ailleurs celle posée par la loi de 2006 – est bien le stockage géologique en profondeur. Par la suite, nous serons conduits, en tant qu'Autorité de sûreté, à porter un jugement sur le projet industriel que nous présentera l'ANDRA. Mais nous n'en sommes pas là. Il nous faudra travailler sur ce projet, après que le débat public aura eu lieu et après qu'un certain nombre d'étapes auront été franchies, en toute indépendance.
S'agissant du stockage en profondeur, nous souhaitons insister sur plusieurs points.
Premièrement, la question de la réversibilité, introduite par la loi. Techniquement, c'est loin d'être une évidence. De nombreux aspects, liés à l'objectif de réversibilité, sont un peu contradictoires avec les objectifs de sûreté. Et il est compliqué de résoudre le problème au fil du déploiement de l'exploitation de Cigéo. Nous avons bien noté les propositions que faisait l'ANDRA sur ce sujet. Celles-ci me paraissent assez cohérentes, même si nous n'avons pas encore rendu d'avis définitif.
Deuxièmement, l'inventaire. Il s'agit d'être clair, notamment dans le débat public, sur ce qu'il y aura ou pourrait y avoir dans un tel stockage. C'est d'ailleurs une question essentielle de sûreté. Nous avons dit publiquement, ce qui a suscité quelque émoi, que dans les dix ou vingt ans à venir, interviendraient sans doute des évolutions de la politique énergétique et qu'il convenait d'en tenir compte. De fait, l'ANDRA s'attache, dans le débat public en cours, à présenter ces variations d'inventaire. Mais, au-delà, des réorientations majeures pourraient intervenir. Par exemple, là où on envisage de stocker des verres, on pourrait être amené un jour – ce qui suppose des grands changements en termes de politique énergétique – à envisager de stocker des combustibles usés. En tant qu'autorité de sûreté, nous souhaitons que le jour venu, quand le dossier officiel de sûreté nous sera présenté par l'ANDRA, on nous démontre que le projet Cigéo ne sera pas incompatible avec une éventuelle évolution en matière de retraitement. Évidemment, si un jour la décision de changer d'orientation en matière de retraitement se concrétisait – et ce n'est pas à moi d'en décider – il faudrait refaire un débat public ou une enquête publique, parce qu'on ne serait plus sur les mêmes bases.
Troisièmement, le démantèlement. Nous sommes favorables au démantèlement immédiat : par « immédiat », nous entendons « dans les deux ans après l'arrêt d'une installation », quelles qu'aient été les raisons qui ont conduit à cet arrêt. La raison en est qu'un démantèlement est une opération à risques et qu'il faut pouvoir disposer des personnes compétentes qui connaissent bien l'installation pour la démonter correctement et sans risque. Pour cela, il faut que la durée entre l'arrêt de l'installation et le début des travaux soit suffisamment courte. Vous ne pouvez pas imaginer de garder les gens pendant dix ans sur un site, uniquement pour préparer le démantèlement ! Voilà pourquoi nous sommes favorables à un démantèlement immédiat, même si ce n'est pas au jour près.
J'ajoute que, dans une stratégie de démantèlement, nous partons du principe qu'il faut viser l'assainissement complet du site. Si, pour des raisons démontrées, justifiées, ce n'est pas totalement acquis, on pourra étudier des solutions alternatives au moment de l'examen concret des dossiers. Mais l'objectif reste celui-là.
Je remarque que jusqu'à présent, personne n'a évoqué les déchets anciens. Dans un certain nombre d'installations françaises, appartenant notamment à Areva (La Hague) ou au CEA, des déchets ont été improprement conditionnés et traités par rapport aux standards actuels. Ce n'est pas nouveau, mais la situation perdure. Nous insistons pourtant auprès des exploitants pour que des opérations de traitement, de reprise ou de conditionnement correct soient menées le plus rapidement possible et en toute sûreté. Il est important, en termes de bonne gestion des déchets, de s'intéresser aussi à ces déchets anciens.
Je terminerai, tout en vous renvoyant à mon tour au rapport Aubert-Bouillon, sur le seuil de libération – ou seuil d'exemption. Je partage la recommandation formulée dans ce rapport, qui est de travailler dans le cadre d'une « libération conditionnelle », c'est-à-dire d'une réutilisation sans contrainte, mais au sein de la filière nucléaire.
Tous les déchets, une fois qu'ils ont été qualifiés de nucléaires, notamment parce qu'ils viennent de zones considérées comme nucléaires, doivent faire l'objet d'un traitement dans une filière nucléaire. Cela ne veut pas dire qu'il faudra multiplier les Cigéo. Simplement, il faut prévoir des installations adaptées et conserver la trace de l'origine des déchets. Ce point est pour nous essentiel. Voilà pourquoi l'idée de réutiliser les déchets dans le cadre d'une filière nucléaire, où l'on n'en a pas perdu la trace, nous paraît intéressante, même si elle n'est pas si simple que cela à mettre en oeuvre. En revanche, nous ne sommes pas favorables à un seuil de libération. Certes, cela se pratique dans d'autres pays, mais j'ai peur que, par dilutions successives, et en raison de difficultés de contrôle, des déchets ou des matières nucléaires se retrouvent sans contrôle dans le domaine public. Ce serait préjudiciable et contraire à une gestion rigoureuse des déchets nucléaires.