Intervention de Denis Baupin

Réunion du 2 octobre 2013 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenis Baupin :

Monsieur le président, merci d'avoir organisé cette table-ronde.

Je constate que quarante-cinq ans après avoir lancé cette filière industrielle qu'est le nucléaire, on n'a toujours pas résolu le problème des déchets. Quand on pense aux exigences qu'on impose aujourd'hui à certaines filières émergentes, on se dit qu'il y a vraiment deux poids, deux mesures !

Aujourd'hui, cette filière dite d'excellence n'a rien trouvé de mieux que de creuser un grand trou pour y déposer ces déchets. Certes, le trou est élaboré, comme j'ai pu le constater en me rendant à Bure. J'y ai d'ailleurs rencontré de vrais professionnels… de la géologie et des galeries souterraines. Mais ce qui nous est proposé aujourd'hui, sur le site de Cigéo, ce n'est pas une expérience géologique, mais un projet industriel gigantesque, unique au monde, sur un siècle !

Serons-nous capables de mener à bien un tel projet ? En attendant, pendant un siècle, nous transporterons – sans savoir d'ailleurs comment – à travers l'hexagone des centaines de milliers de colis. Ils seront d'abord stockés en surface, puis descendus dans un site confiné, avec tous les risques que cela comporte : incendies, relâchements d'hydrogène, explosions. Que se passera-t-il en cas de panne ? Combien de temps pourra-t-on tenir ? Six jours ? Plusieurs semaines ? On ne sait pas très bien, surtout quand le directeur de l'IRSN nous dit qu'en matière nucléaire, depuis Fukushima, il faut imaginer l'inimaginable !

Pendant un siècle, sur ce site, il y aura en fait deux installations nucléaires simultanées : une en surface et une en profondeur. Avec tous les transports que cela suppose, on peut s'interroger sur la sûreté du dispositif – surtout quand le représentant d'EDF nous affirme que tout cela doit se faire « à coûts maîtrisés ». D'une part, la « maîtrise des coûts » dans la filière nucléaire est une notion assez relative, l'exemple de l'EPR est là pour nous le prouver… D'autre part, quand on nous parle de coûts maîtrisés, c'est parce que l'on compte faire appel à la sous-traitance et que les économies risquent d'être préjudiciables à la sûreté. Quoi qu'il en soit, pourra-t-on, pendant cent ans, respecter tous les critères de sûreté et s'assurer de moyens financiers suffisants ?

Autre interrogation : que se passera-t-il en cas de changement de politique énergétique ? Nous-mêmes souhaitons qu'on arrête en priorité le retraitement et la fabrication du MOX et qu'on sorte progressivement du nucléaire.

Je me permets de citer un chiffre d'un rapport de la Cour des comptes sur la filière nucléaire, relatif à l'uranium appauvri, actuellement stocké : même avec la génération 4, il faudrait, pour écouler l'ensemble du stock d'uranium appauvri existant, près de 2 500 ans ! Pourriez-vous seulement imaginer l'état dans lequel était notre pays, il y a 2 500 ans ?

Le problème est bien là : comment penser des projets sur des durées aussi longues ? Bien sûr, j'entends le discours : « c'est l'héritage, il faudra bien le gérer ». Yannick Rousselet a rappelé la grande différence qu'il pouvait y avoir entre l'Allemagne, où la décision a été prise de fermer le robinet puis de gérer les résultats du passé, et la France, où l'on essaie de nous convaincre, à travers ce type de projet, que l'on pourrait continuer finalement à produire encore des déchets pendant des décennies.

Voilà les raisons pour lesquelles nous sommes particulièrement inquiets pour le territoire qui va accueillir cette installation. Tout le monde a dit avec honnêteté que ce n'était pas un cadeau de se retrouver avec une telle poubelle. Si jamais le moindre incident intervient, par exemple, les producteurs de champagne qui se trouvent à proximité auront du mal à vendre leur « Champagne made in atome » au reste de la planète. (Murmures sur divers bancs). Demandez d'ailleurs aux viticulteurs proches des centrales nucléaires pourquoi ils veulent que l'on change le nom de leur production. Est-il si bizarre qu'ils ne souhaitent pas que les appellations viticoles soient associées à des sites nucléaires ?

Nous avons de quoi nous interroger sur le projet que l'on est en train de nous vendre, surtout quand on sait qu'il pourrait être complètement modifié en cas de changement de politique énergétique. Bien sûr, on refera un débat public. Mais une fois qu'on aura commencé à creuser, il y a fort à parier qu'on nous dira : « On vous avait promis un laboratoire, mais pas de déchets. Vous aurez des déchets. Et en fin de compte, vous en aurez même encore plus ». Voilà ce qui est en train de se préparer et voilà pourquoi ce projet nous inquiète grandement.

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