Cette audition me donne l'occasion de faire part de ce que devrait être l'Europe sociale et à l'intérieur de cette Europe sociale, de l'Europe de l'emploi. Lors de la dernière grande Conférence sociale de juin dernier, le Gouvernement a fait le choix, souhaité et salué unanimement par les organisations syndicales et patronales, de consacrer une table ronde spécifique à l'Europe sociale. Cette table ronde a permis, avec les partenaires sociaux, de construire un constat et des objectifs très largement partagés. La question est de savoir si la vision partagée au plan national peut l'être au niveau européen. En effet, la crise que nous traversons implique des réponses européennes en matière économique, mais aussi en matière sociale, notamment pour répondre au défi du chômage, et plus particulièrement le chômage des jeunes.
Depuis dix ans, l'Europe sociale semble en panne d'idées et d'initiatives. Les dernières grandes directives ont été adoptées au début des années 2000. Le conseil des ministres européens du travail voit son action entravée par l'hostilité de certains États à la dimension sociale de l'Europe, en particulier le Royaume-Uni. Cette hostilité trouve sa source soit dans la volonté de protéger un mode de fonctionnement du marché du travail libéral , soit dans un attachement très fort à la subsidiarité, comme en Allemagne et dans les pays du Nord. Un pays comme les Pays-Bas voit dans la subsidiarité, d'ailleurs inscrite dans les traités, un moyen de protéger un mode de fonctionnement de démocratie sociale qui réserve, souvent par la loi, le traitement de certains sujets aux seuls partenaires sociaux. La France, elle, avec quelques autres États membres (Benelux, Italie...) a continué de porter une vision de l'Europe sociale qui assure l'équilibre entre le respect de la subsidiarité et l'ambition d'avancées fortes au niveau européen en matière sociale. La Commission européenne est rétive à toute initiative sociale ambitieuse, même si on peut percevoir quelques évolutions, et en dépit de l'engagement personnel du commissaire Andor, que je tiens à saluer.
Alors qu'il était au début de la construction européenne une réalité très présente, le dialogue social est lui aussi affaibli. C'est cette situation que nous sommes parvenus à inverser, pas à pas, mais résolument. Avec ma collègue allemande Ursula Von der Leyen, nous avons pris l'initiative en octobre 2012 d'un « non papier » qui est devenu un papier franco-allemand en février 2013. Par la suite, se sont tenus plusieurs sommets sur l'emploi des jeunes à Paris le 28 mai, à Rome le 14 juin et à Berlin le 3 juillet dernier. Le Conseil européen des 27 et 28 juin derniers y a été consacré. Le prochain sommet se tiendra en novembre à Paris. Le « non papier » d'octobre 2012 faisait le constat de la panne de l'Europe sociale et proposait des pistes pour la relancer. Il s'agissait de répondre à l'urgence de l'emploi des jeunes, notamment à travers une garantie pour la jeunesse européenne, qui permettra à tout jeune de se voir proposer, dans les quatre mois après sa sortie du système éducatif ou sa perte d'emploi, un stage, une formation ou un emploi de qualité. La question de savoir si ce délai de quatre mois est le bon se pose toutefois. Nous avons lancé également une action forte en faveur de l'apprentissage par le biais du programme « Erasmus plus » associé à une réflexion autour d'un statut européen de l'apprenti.
La deuxième piste de relance a été d'inscrire la dimension sociale dans la nouvelle gouvernance de l'Union économique et monétaire.
J'ajouterais l'ouverture de nouveaux champs au dialogue social avec notamment le renouvellement du sommet social tripartite.
Enfin la consolidation du socle de droits sociaux apparaît cruciale. L'Europe ne peut se résumer à la promotion des réformes structurelles mais elle doit également être la source de droits pour les Européens, non seulement les entrepreneurs, les consommateurs, mais aussi les travailleurs. C'est pourquoi il était proposé, notamment, la mise en place, dans chaque État européen, d'un salaire minimum, selon des modalités qui seraient fixées par chaque État membre.
À partir de ce noyau dur, nous avons engagé une démarche conjointe avec l'Allemagne. Une contribution commune avec la ministre Ursula von der Leyen, a été présentée au Conseil emploi, politique sociale, santé et consommateurs (EPSSCO) du 28 février dernier, sur la base du « non papier » devenu franco-allemand, en présence du Président van Rompuy. Ce travail conjoint avec les Allemands a débouché sur les propositions dans le domaine social dans la contribution conjointe, le 30 mai dernier, du Président de la République François Hollande et de la Chancelière Angela Merkel ; sont en particulier prévus le développement d'indicateurs favorisant la convergence sociale des pays participant à l'euro zone, la généralisation de salaires minima et l'association des ministres sociaux aux décisions économiques. Ce dernier point est une nouveauté absolue particulièrement importante dans la mesure où l'on reconnaît qu'une économie ne peut marcher que sur deux pieds : les grands équilibres économiques et financiers peuvent être mis à mal par des déséquilibres sociaux .
Après la panne qu'a connue l'Europe sociale pendant plusieurs années, est venu le temps de l'élan et de l'action. De cette nouvelle vision d'une Europe sociale, intégrant le progrès social dans le mouvement économique, l'emploi des jeunes s'est imposé comme une priorité et une urgence. Il a été le sujet des sommets que j'ai évoqués préalablement. L'emploi des jeunes sera encore l'objet d'un prochain sommet qui se tiendra à Paris en novembre. Il s'agit de faire pour eux l'effort que l'Europe n'a jamais fait, c'est-à-dire insérer une conscience sociale dans la relance économique de notre continent. La situation de l'emploi des jeunes est très dégradée et l'on peut parler du théorème du double qui fait que dans tout pays le taux de chômage qui les frappe est le double de celui qui affecte l'ensemble de la population. Ainsi en Espagne le taux de chômage moyen est de 25 % et il est de 50 % pour les jeunes de moins de vingt-cinq ans. En Allemagne, où le taux de chômage de l'ensemble de la population avoisine les 4 ou 5 %, les jeunes sont 8 à 9 % à subir le chômage. Quelle que soit la situation d'un pays par rapport à l'emploi, la situation comparative des jeunes est insupportable. Une initiative européenne était en conséquence devenue indispensable. Six milliards ont été mobilisés dans le cadre de l'initiative pour la jeunesse, auxquels pourront s'ajouter au moins deux milliards de crédits non consommés, dans les régions ou plus d'un jeune sur quatre est au chômage. Les fonds du Fonds social européen pourront aussi être appelés. Ces 6 milliards seront utilisés majoritairement en début de période, donc dans les deux ans à venir, afin d'avoir un effet optimal sur l'emploi en ciblant tout particulièrement les jeunes les plus en difficulté c'est-à-dire ceux sans emploi, sans formation et sans qualification. Des dépenses pourront être engagées dès 2013. Il ne s'agit pas de créer des dispositifs nouveaux mais de prendre appui sur les dispositifs nationaux qui pourront concourir à l'objectif posé par cette garantie et émarger à ces fonds : la garantie pour les jeunes « nationale » qui est expérimentée dans dix territoires à partir de cette rentrée et qui comporte de grandes similitudes avec le dispositif européen ; l'apprentissage qui est très valorisé au niveau européen ; les écoles de la deuxième chance qui se mettent en place ; les missions locales et leur bon fonctionnement ; les formations d'urgence quand elles permettent de fournir un emploi immédiat à un jeune. Ces pistes de travail devraient permettre de mobiliser rapidement les crédits européens.
Deuxième initiative : un lien établi entre le financement de l'économie et l'emploi car pour favoriser l'emploi des jeunes, il faut que les entreprises soient en mesure d'embaucher. Les petites et moyennes entreprises sont les plus à même de répondre à cet impératif, les grandes entreprises n'ayant pas la même dynamique dans la gestion de leurs effectifs. La Banque européenne d'investissement est mobilisée dans cette perspective. Déjà, lors du Conseil européen de juin 2012, le Président François Hollande avait défendu et obtenu l'adoption d'un pacte pour la croissance et l'emploi dont l'un des axes était la recapitalisation de la BEI. Aujourd'hui, il s'agit de le mettre en oeuvre et de privilégier le financement des PME et la création d'emploi.
Troisième initiative pour éviter à la fois l'apparition de générations perdues - terme employé dans l'ensemble de l'Europe -et une désaffection croissante des jeunes à l'égard de la construction européenne qui ne voyant pas d'avenir dans leur propre pays en voient encore moins au sein de l'Europe, il faut élargir les possibilités de mobilité dans les cursus de formation, pas seulement dans l'enseignement supérieur, mais aussi la formation professionnelle , l'apprentissage et l'alternance. C'est tout l'enjeu de la mise en oeuvre du programme « Erasmus plus », prévue en 2014, dont les fonds ont été significativement accrus à hauteur de 6 milliards d'euros par rapport à l'Erasmus classique.
Il nous faut bâtir une véritable Europe de l'apprentissage et de l'alternance, en plus de celle de l'enseignement supérieur. Pour en assurer le succès, des dispositifs concrets d'appui à l'élaboration de projets de mobilité devront être mis en place : guichets uniques offrant un appui à la mobilité, aide à la formation linguistique. Par ailleurs, afin de soutenir les initiatives des jeunes pour créer leur propre emploi, l'aide à la création d'entreprises par les jeunes doit être favorisée, à travers un appui en termes de conseil sur le montage du dossier, de prêt, d'appui comptable et juridique en amont puis pendant la durée de vie de l'entreprise. Nous soutenons également la mise en réseau des services publics de l'emploi au plan européen pour élaborer des outils communs de diagnostic et d'analyse du marché du travail, pour échanger les meilleures pratiques des services nationaux, et pour offrir aux jeunes de nouvelles possibilités d'emploi comme le dispositif premier emploi Eures. Je signale la création d'un premier pôle emploi commun à l'Allemagne et la France. En effet, les bassins d'emplois dépassent souvent les frontières en termes de potentiel de développement ou de formation.
Ces éléments ont dressé les lignes de ce qui pourrait ressembler à un plan large en faveur de la jeunesse, ou plutôt de toutes les jeunesses : les jeunes non qualifiés tout d'abord, les alternants ensuite et les jeunes créateurs d'entreprise, enfin. Notre approche se veut globale et stratégique pour une Europe qui doit désormais donner de l'espoir à ses jeunes. Derrière cette action pour les jeunes et ce nouvel élan pour l'Europe sociale, il y a un enjeu profond , celui de la reconstruction d'une approche européenne de l'économie, loin des modèles qui ont coupé l'économie de la réalité sociale ou qui ont développé l'idée que la compétitivité passait par le moins-disant social.