Intervention de Michel Sapin

Réunion du 1er octobre 2013 à 17h00
Commission des affaires européennes

Michel Sapin, Ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social :

Je vous remercie tout d'abord d'avoir souligné que la garantie pour la jeunesse était une initiative française très puissante, mais je veux ici rappeler que nous ne pouvons pas nous féliciter d'un seul « cocorico » français, ou plutôt d'un « cock-a-doodle-doo », comme on dit chez vous, Madame, car cette garantie jeunes résulte d'une collaboration étroite avec l'Allemagne. La qualité de notre travail commun est très importante.

Le critère posé pour la mise en oeuvre de la garantie européenne en faveur des jeunes est celui d'un taux de chômage des jeunes supérieur à 25 % dans une région. Ce critère pose problème car il existe des régions avec un taux de chômage moyen inférieur à 25 %, mais qui comportent des poches de chômage des jeunes bien supérieures à 25 %, avec, par exemple, des quartiers avec des taux de 40 voire 60 %. On se bat pour faire évoluer ce critère au niveau européen.

S'agissant de la garantie en faveur des jeunes expérimentée à partir d'aujourd'hui en France, nous avons retenu dix territoires, pour avoir une approche plus fine et mobiliser au mieux les crédits. Ainsi, un territoire pourra être à cheval sur une région où le taux de chômage des jeunes est supérieur à 25 % et sur une région où il est inférieur à 25 %.

Mais cette garantie ne prend pas la forme d'une allocation versée sans condition. Elle doit en effet s'accompagner de la conclusion d'un contrat précis. Elle s'adresse en outre aux jeunes en situation de grande précarité.

Les modalités de financement de la « garantie jeunes » au niveau européen sont les suivantes : un tiers provenant des fonds nationaux, un tiers du Fonds social européen et un tiers de fonds spécifiques. Alors qu'avec le FSE on est à des niveaux de cofinancements de 5050, avec ce nouveau dispositif, on peut arriver à deux tiers de financement européen et un tiers de financement national.

S'agissant des écoles de la deuxième chance, je veux rappeler ici toute la confiance que j'ai dans ce dispositif. Il répond bien aux critères européens fixés pour la mobilisation de la « garantie jeunesse » européenne. Cette « garantie jeunesse » devrait d'ailleurs permettre de rééquilibrer la mobilisation des moyens entre les écoles de la deuxième chance.

Je veux ensuite redire combien je suis attaché à l'apprentissage, mais faisons très attention aux comparaisons entre les pays. Ainsi, en Allemagne, il n'y a que l'apprentissage et il n'existe pas, par exemple, de lycée professionnel. Vous avez en France un autre dispositif, qui a ses qualités et qui peut aussi avoir ses défauts. Les Allemands eux-mêmes nous disent qu'il n'y a pas que des avantages à leur système et regardent notre dispositif avec intérêt. L'herbe est toujours plus verte chez le voisin, vous le savez, et comparaison n'est pas raison. Il est vrai, par ailleurs, que la capacité de mobilité des apprentis est extrêmement limitée aujourd'hui pour des raisons matérielles, mais également pour des raisons liées à la question de la portabilité des droits. Aussi, un projet de directive est en cours de négociation pour régler cette question de manière plus globale, et pas simplement de manière sectorielle pour l'apprentissage. Il y a des régions très actives en matière d'échange, comme l'Alsace que vous avez évoquée.

Est-ce que l'État va contribuer davantage au dispositif que vous avez présenté ? Moi, je suis pour la clarification des compétences. Ainsi, tous les crédits destinés à l'apprentissage inscrits sur le budget de mon ministère seront transférés aux régions à compter de l'année prochaine. Je pense en effet que c'est aux régions d'exercer totalement leurs compétences en matière d'apprentissage. Une région, parce qu'elle a des caractéristiques propres, va ainsi adapter ses dispositifs d'aide aux particularités de son territoire. Ma réponse est donc : ne comptez pas trop sur une aide spécifique de l'État pour compléter votre dispositif, mais vous pourrez compter sur le transfert d'une partie des crédits du fonds national qui avait été créé il y a quelques années, qui était une manière assez compliquée de « recentraliser » les crédits pour les faire « redescendre » ensuite. C'est typiquement ce que j'estime être très mauvais pour l'administration d'un pays comme le nôtre. Ou bien il y a des compétences d'État ou bien il y a des compétences des collectivités territoriales, mais ce n'est pas la peine de les croiser, de les encroiser, de les surcroiser, avec tous les retards et les coûts que tout ceci peut engendrer. Il faut bien reconnaître que c'est parfois plus facile de transférer une compétence de l'État à une collectivité locale plutôt que de répartir entre certains territoires des compétences différentes. Quand il s'agit de choisir entre un département et une région, on a tous beaucoup de mal. En revanche, quand il s'agit de transférer des crédits et des personnels vers les régions, c'est plus simple. D'ailleurs, nous le ferons dès 2014. Il en ira de même des fonds en faveur de la formation professionnelle, qui vont devenir une recette propre des régions, ce qui leur permettra de mener comme elles le souhaitent leurs politiques.

« Erasmus + », ouvert aux apprentis, est pour nous très important. Il y a évidemment la possibilité pour les fonds « garantie jeunesse » de venir en appui d'un certain nombre d'initiatives, comme celle qui est conduite en Alsace, même si, en l'espèce, l'Alsace ne me semble pas remplir le critère d'un taux de chômage des jeunes supérieur à 25 %.

En ce qui concerne enfin le détachement des travailleurs, il convient à la fois d'assurer le respect du principe de libre circulation au sein de l'Union et celui du droit applicable aux travailleurs détachés. Vous avez raison de souligner l'importance des bureaux de liaison, qui jouent un rôle décisif. Comme dans le cadre de la lutte contre le trafic de drogue, les échanges d'informations et la collaboration étroite entre les services des différents pays sont des conditions essentielles à la lutte contre les abus, les trafics et, disons-le, les mafias. Nous avons déjà des services qui travaillent ensemble : au sein de mon administration, des inspecteurs du travail sont formés pour travailler avec leurs homologues en Pologne, en Roumanie, en Bulgarie ou dans d'autres pays. Ce n'est qu'un début. Il faut par ailleurs qu'on ait les documents qui permettent de contrôler. Deux questions fondamentales sont ainsi aujourd'hui en discussion dans le cadre des négociations sur la directive relative aux travailleurs détachés : la liste des documents nécessaires au contrôle et la durée de conservation de ces documents. La directive devrait ainsi obliger l'entreprise qui accueille des travailleurs en détachement à conserver les documents utiles pendant un temps suffisant, permettant un contrôle a posteriori. Il faut pouvoir garder cette trace plus longtemps, vous l'aviez d'ailleurs demandé dans votre rapport, je crois. Cela fait partie des éléments positifs de la directive d'application de la directive sur les travailleurs détachés. Il ne s'agit toutefois pas du point le plus discuté.

Je terminerai par quelques considérations générales sur ce socle de droits. Il y a encore trois ou quatre ans, parler de salaire minimum paraissait incongru. Les pays de l'Est s'y opposaient car ils craignaient que cela n'entrave leurs capacités de développement. D'autres y étaient défavorables idéologiquement, soit parce qu'ils considéraient qu'il revient au marché de fixer le prix, donc les salaires, soit parce qu'ils estimaient qu'il n'incombait pas à la régulation publique de fixer un salaire minimum mais que la responsabilité devait ressortir aux partenaires sociaux. C'est le cas des Pays-Bas où un salaire minimum est fixé par branche entre les partenaires sociaux. C'est d'ailleurs un système qui fonctionne plutôt bien et il n'y a pas de « zone blanche », comme en Allemagne. Aujourd'hui les États membres se sont mis d'accord sur le principe d'un salaire minimum. Il ne s'agit pas d'un salaire minimum européen dont le montant aurait dû être tiré vers le bas, ce qui aurait été un signal négatif en direction des États dont le salaire était supérieur mais d'une obligation faite à chaque Etat d'avoir, d'une manière ou d'une autre et dans le respect du principe de subsidiarité, un mécanisme de salaire minimum. Ainsi les pays fédéraux devront mettre en oeuvre des mécanismes décentralisés. Ces dispositifs devraient permettre d'éviter les trappes dans lesquelles s'engouffrent certains secteurs, comme la restauration, les abattoirs… Cette absence de salaire minimum dans ces secteurs peuvent avoir des conséquences directes sur l'emploi des autres États membres, comme par exemple les abattoirs en Bretagne qui subissent la concurrence des abattoirs allemands employant des travailleurs détachés, avec les effets sur toute la filière. Le mouvement est donné vers l'instauration d'un salaire minimum suivant un mécanisme propre à chaque État. Même si je suis un fervent partisan du dialogue social, j'estime qu'à un moment donné, le dispositif républicain et la loi doivent fixer la règle par priorité au contrat, la loi pouvant être issue d'une négociation entre partenaires sociaux, ce qui lui donne une garantie de durabilité et de consistance.

Je conclurai en reprenant les propos de Michel Piron selon lequel il ne faut pas rester dans le déclaratif mais être dans la décision et dans l'action. Quand j'étais jeune parlementaire, alors que Jacques Delors était à la Commission européenne, l'Europe sociale était considérée comme le pilier et le fondement même de toute avancée européenne. On n'imaginait pas une Europe grandissante dans que soit affirmée l'Europe sociale. Avant toute décision, il était prévu un mécanisme de consultation des partenaires sociaux. Tout ceci s'est affaissé, du fait des élargissements successifs et de la prévalence d'une pensée libérale peu favorable à une vision sociale. On est arrivé à un moment clé où le mouvement de balancier doit être inversé. Les préoccupations d'équilibre financier et économique fondamentaux doivent inclure les préoccupations sociales. L'Europe doit retrouver ses deux pieds, c'est consubstantiel à son fonctionnement.

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