Intervention de Chantal Guittet

Réunion du 1er octobre 2013 à 17h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Guittet, rapporteure :

Le tabagisme est un fléau mondial. Selon l'OMS, chaque année, il tue plus de 5 millions de personnes. D'ici 2030, il causera 8 millions de morts par an. En France, il fait 200 morts par jour. L'OMS considère le tabagisme comme une véritable épidémie alors qu'un milliard d'êtres humains – 700 000 en Europe – consomment aujourd'hui du tabac. Le tabagisme est un problème de santé publique qui engendre une diminution de la qualité de vie, la souffrance et induit un coût extrêmement élevé à la collectivité. On estime la part des dépenses de soins remboursées en 2010 par le régime général au titre de certaines affections de longue durée attribuable au tabac à environ 5,6 milliards (soit 3 % de ces dépenses). Le coût net du tabagisme en France est estimé à plus de 14 milliards, soit 3 % du PIB. Il faut savoir qu'il coûte à chaque citoyen Français 772 euros par an. Aussi le tabagisme est-il une épidémie internationale contre laquelle seuls les pouvoirs publics peuvent lutter. Les politiques publiques en la matière peuvent s'avérer très efficaces si elles sont accompagnées de moyens humains et financiers réels.

La France en a témoigné. Entre protection des consommateurs et libertés individuelles, les politiques publiques de lutte contre le tabac ont marqué une avancée sans précédent avec la loi Veil du 9 juillet 1976, la loi du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme dite « loi Evin » et le décret no 2006-1386 du 15 novembre 2006 fixant les conditions d'application de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif pour lutter contre le tabagisme passif.

Ces politiques ont permis une prise de conscience dans notre pays : fumer n'est plus la « norme ». Le dispositif législatif français, et notamment la loi Evin, ont inspiré les politiques communautaires et internationales.

Issu d'une mobilisation européenne contre le tabagisme, le texte de 2001, novateur en son temps, est devenu inadapté. Dès la fin des années 1980, l'Union Européenne s'est mobilisée pour contrer l'épidémie tabagique. Une première directive a été adoptée en 1989, ayant pour but le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière d'étiquetage des produits du tabac ainsi que l'interdiction de certains tabacs à usage oral. Mais c'est la directive 200137CE qui a posé les bases d'une vaste règlementation européenne en la matière en introduisant une harmonisation des réglementations de la production, de la présentation et de la vente des produits du tabac, à savoir les cigarettes, le tabac à rouler, le tabac pour pipe, les cigares, les cigarillos et d'autres formes de tabac sans combustion telles que le tabac à priser, le tabac à chiquer et le snus. Cette directive de 2001 constitue aujourd'hui encore le socle de législation européenne sur les produits du tabac. La directive, résultat de plusieurs années d'actions de sensibilisation de la part des professionnels médicaux et des associations civiles de lutte contre le tabagisme, instaure, entre autres mesures, une limitation de la teneur maximale des cigarettes en goudron, monoxyde de carbone et nicotine et impose l'obligation d'apposition d'avertissements relatifs à la santé sur l'emballage des produits du tabac composés de textes et d'une image. L'avertissement général exigé doit couvrir au moins 30 % de la superficie externe de la surface correspondante de l'unité de conditionnement sur laquelle il est imprimé et l'avertissement complémentaire 40 % de la partie externe de la surface correspondante de l'unité de conditionnement sur laquelle il est imprimé.

La directive 200137CE, et les politiques publiques menées par l'Union Européenne en matière de lutte contre le tabagisme de ces douze dernières années ont porté leurs fruits puisque le nombre de fumeurs est passé de 40 %, dans l'Union Européenne des 15 à 28 % dans l'Union Européenne des 27, en 2012. Cependant l'effet des politiques de lutte contre le tabagisme connaissent un net ralentissement depuis quelques années. Selon l'OMS malgré une baisse de la consommation du tabac dans la majorité des États membres entre 2001 et 2005, le taux de prévalence du tabagisme est reparti à la hausse chez les garçons dans 14 pays et chez les filles dans 9 pays. La France se situe au 6e rang des pays avec le plus fort taux de prévalence chez les jeunes. La prévalence du tabagisme quotidien des jeunes de 17 ans est passée dans notre pays de 28,9 % en 2008 à 31,5 % en 2011, ce qui est tout à fait inquiétant. L'épidémie de tabagisme est également en nette augmentation chez les femmes. On dénote aujourd'hui quatre fois plus de cancers du poumon chez les femmes de moins de 45 ans dû à l'augmentation de consommation du tabac en Europe.

Le ralentissement des effets des stratégies de lutte anti-tabac sont le résultat du contournement des règlementations par les industriels du tabac. Les industriels du tabac ont en effet créé de nouveaux produits et développer des stratégies commerciales puissantes afin d'atteindre de nouveaux publics : les jeunes et les femmes principalement. Ainsi, on a vu ces dernières années l'apparition des cigarettes « slim », des cigarettes aromatisées plaisant à ces publics car donnant l'impression –fausse - d'être moins fortes ou moins nocives que les cigarettes classiques. Nées en Chine au début des années 2000, les cigarettes électroniques se sont également considérablement développées. Ainsi, 6 % des français déclarent avoir déjà utilisé la cigarette électronique et 500 000 français « vapotent » quotidiennement. Les points de vente fleurissent aux quatre coins du pays sans aucun contrôle.

L'internationalisation du marché des produits du tabac explique également que l'évolution récente du tabagisme en Europe. Alors que les prix augmentent, on assiste en effet au développement de la contrebande et de la contrefaçon. 13 % de la consommation annuelle en Europe, soit plus de 75 milliards de cigarettes, dont près de 12 % en Europe de l'Ouest, sont des cigarettes contrefaites. Les achats transfrontaliers ont également explosé : pour la période de 2004 à 2007, les achats transfrontaliers équivalent à une cigarette sur cinq consommée en France, soit 22 %. L'ouverture des frontières européennes a entraîné une concurrence des prix importante dont profitent les fumeurs. Les prix vont en effet du simple au double en Europe : alors qu'un paquet coute 6,60 euros en France il coute 3,06 euros en Croatie !

Ainsi, le marché des produits du tabac n'est plus le même qu'il y a douze ans et les politiques de lutte contre le tabagisme sont à bout de souffle. Dans ce contexte, la proposition de révision de directive a pour but d'adapter à l'évolution du marché des produits du tabac. J'ajoute que cette révision a également pour but de tirer les conséquences de l'évolution du cadre juridique international et, en particulier, de la ratification par les pays membres de l'Union Européenne de la convention-cadre anti-tabac de l'Organisation Mondiale de la Santé de 2003 ; premier traité multilatéral sur la question, signé par 176 pays et particulièrement ambitieux, qui prévoit des mesures strictes afin de lutter efficacement contre le tabagisme, en prenant en compte la dimension transfrontalière du phénomène : réglementation sur le conditionnement, la composition des produits du tabac, interdiction ou restriction de la vente aux voyageurs internationaux etou l'importation par eux de produits du tabac en franchise de droits et de taxes, protection contre l'exposition à la fumée du tabac dans les lieux de travail intérieurs, les transports publics, les lieux publics intérieurs ou le cas échéant d'autres lieux publics.

La révision actuellement proposée par la Commission européenne constitue une avancée notable dans la lutte contre le tabagisme. La proposition de directive met à jour les domaines déjà harmonisés pour adapter les législations des États membres aux progrès techniques, au cadre juridique international et aux évolutions récentes du marché. Trois objectifs marquants sont à retenir. En premier lieu, le texte vise la lutte contre l'entrée des jeunes dans le tabagisme et le tabagisme des femmes. Pour cela, la proposition de directive augmente la taille des avertissements sanitaires combinés de 30 % à 75 % de la taille des paquets de cigarettes et de tabac à rouler. Les descriptions telles que « cigarettes fines », « naturel » ou « bio » ainsi que les couleurs trompeuses ne seront plus acceptées. Une unité de conditionnement devra contenir au minimum 20 cigarettes – 40 grammes pour le tabac à rouler - ce qui empêchera les conditionnements fantaisistes. Par ailleurs, toujours dans le but d'éviter l'entrée en dépendance tabagique des jeunes ou des femmes, la proposition de directive interdit l'ajout des arômes caractérisants dans les cigarettes, le tabac à rouler et le tabac sans combustion tels que le chocolat, les fruits et le menthol ou des additifs comme les vitamines.

En second lieu, le texte vise la lutte contre la contrebande et la vente transfrontalière. Le texte prévoit un dispositif de la traçabilité et de sécurité des produits du tabac. Il créé un nouveau cadre réglementaire plus restrictif pour la vente de produits du tabac transfrontalière sur Internet - régime de notification pour les détaillants en ligne et un mécanisme de contrôle de l'âge sont mis en place pour garantir que les produits du tabac ne sont pas vendus à des enfants ou à des adolescents. Les États membres peuvent librement décider d'interdire la vente transfrontalière.

Enfin, le texte a pour objectif de créer un cadre juridique pour les nouveaux produits du tabac. La Commission propose une double mesure pour la réglementation des cigarettes électroniques et des autres produits contenants de la nicotine. Les produits contenant de la nicotine au-delà de 2 mgunité, c'est-à-dire la majorité des cigarettes électroniques, devront obligatoirement être autorisés comme médicament. Ceux qui ne dépassent pas ce seuil devront être commercialisés moyennant l'apposition d'avertissements sanitaires.

Cette révision suscite de vifs débats et fait actuellement l'objet de plusieurs polémiques au sein même des institutions européennes. Après la démission en octobre 2012, du commissaire européen chargé de la santé, M. John Dalli, favorable à une révision de la directive et accusé de corruption de la part des lobbies des industries du tabac, le vote au Parlement Européen prévu pour le 10 septembre dernier a été reporté pour le 9 octobre 2013. Cette directive représente pour les industries concernées un cheval de bataille afin de préserver leurs intérêts économiques. Le Conseil de l'Union a adopté un accord politique sur le texte en juin 2013. Cet accord est révélateur des principaux points de désaccords à savoir principalement la taille des avertissements sanitaires combinés et l'interdiction des arômes. Alors que la proposition de directive augmente la taille des avertissements sanitaires combinés à 75 % de la taille des paquets, le Conseil de l'Union a émis un accord à 66 %, à l'instar de la réglementation belge. Le Parlement a, de son côté, porté ce seuil à 75 %. Le Conseil a également montré son désaccord sur le fait d'interdire les cigarettes fines de la vente. Sur l'interdiction des arômes, celui-ci a proposé une période de transition de trois années après la transposition de la directive pour que les industriels s'adaptent aux changements de législation.

Ces désaccords ne sont toutefois pas majeurs et seront surmontés.

Par ailleurs, ce texte est encore perfectible, et, pour ma part, j'estime, suite nombreuses auditions effectuées, qu'un certain nombre de précisions et d'améliorations permettraient d'atteindre plus efficacement les objectifs fixés. S'agissant de la lutte contre l'entrée dans le tabagisme, la proposition de directive ne doit pas limiter toute possibilité pour les États d'apposer des avertissements au-delà de la taille fixée par la directive qui est de 75 % et que l'Union Européenne devrait laisser aux États la possibilité d'augmenter les dimensions des avertissements sanitaires combinés si tel est leur volonté - paquet neutre comme en Australie. S'agissant de la traçabilité deux mesures devront faire l'objet d'un suivi particulier pour s'assurer qu'elles soient mises en place conformément aux dispositions de la directive : l'efficacité du contrôle ainsi que la sincérité et la fiabilité de la coopération entre États. Ces dispositions doivent être précisées et que des sanctions doivent être mises en place pour que la traçabilité soit efficacement contrôlée. Le système de suivi et de traçabilité prévu dans le protocole doit permettre le contrôle systématique et la reconstitution par les autorités compétentes du parcours ou des mouvements des produits tout le long de la chaine logistique. Ensuite, l'interdiction de la vente par internet est incontournable pour éviter des contournements du marché et favoriser l'effectivité des plans anti-tabagisme qui ont été adoptés par les États membres. Il me parait donc important que le problème de la vente sur Internet soit reconsidéré. Je regrette que toutes les ventes transfrontalières ne soient pas concernées par la directive.

La question de la cigarette électronique est également à reconsidérer. Si au Royaume Uni on trouve des médicaments en grande surface, en l'état actuel de la directive, les cigarettes électroniques comprenant un minimum de nicotine (2 mg) devraient être vendues, en France, en pharmacie. Au regard des connaissances actuelles sur ces produits, le recul est insuffisant pour pouvoir considérer les cigarettes électroniques comme médicaments. Le Professeur Dautzenberg, Président de l'Office Français de Prévention du Tabagisme exprime beaucoup plus ses réticences, notamment à cause du manque de recul sur l'efficacité de ce produit. Une telle vente pourrait par ailleurs apparaitre inadéquate car susceptible de limiter le recours à ce type de produits pourtant moins nocifs que le tabac classique, qui lui demeurerait en vente dans tous les bureaux de tabac. En revanche les conditions d'implantation des boutiques de cigarettes électroniques pourraient être règlementées. Le texte ne prévoit rien à ce sujet.

Enfin, il apparait indispensable que la France comme l'Europe lance une grande campagne de prévention du tabagisme, adaptée aux enjeux en termes de santé publique et à l'ampleur de l'épidémie. Des campagnes d'information à l'instar de ce qui se fait pour la sécurité routière, pourraient être lancées, leur financement étant assurée par une fraction forfaitaire de l'augmentation des recettes liées au tabac.

Ainsi, pour résumer ma pensée sur ce texte, je dirais que les États membres devraient donc être libres d'opter pour des politiques publiques plus restrictives envers les produits du marché du tabac afin de protéger la santé de leur population si telle est leur volonté politique. Alors que les intérêts de l'industrie de quelques grandes marques de tabac entrent dans la danse pour peser de tout leur poids afin de limiter l'effet des décisions publiques, nous devons, à mon sens, faire plus que jamais acte de volontarisme en la matière. Les politiques de lutte antitabac sont populaires parmi les citoyens de l'Union Européenne : 76 % d'entre eux sont favorables à l'inclusion d'avertissements graphiques sur les paquets, et 57 % d'entre eux sont favorables à l'introduction de paquets unis standardisés. Je vous propose donc d'adopter les conclusions telles qu'elles résultent de cette réflexion.

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