Comme vous, je souhaite que le débat soit respectueux des arguments de chacun, mais je constate qu'il n'en a pas toujours été ainsi. L'évaluation des OGM et des pesticides n'a pas seulement d'importantes implications économiques et sociales, elle est un enjeu de santé publique. C'est pourquoi mon équipe a choisi d'étudier les effets combinés des polluants sur la santé pour comprendre la bioaccumulation et les effets à long terme de ces produits.
Ayant siégé neuf ans dans la Commission du génie biomoléculaire (CGB), ancêtre de l'actuel Haut Conseil des biotechnologies, j'ai participé à l'évaluation du maïs transgénique NK603. Comme la plupart des produits industriels depuis cinquante ans, il avait été évalué par la société qui le commercialise, en l'occurrence Monsanto. Les résultats de ces tests avaient été communiqués aux agences appelées à statuer, lesquelles font appel à des experts censés être indépendants, mais qui travaillent parfois pour des industriels. À l'époque, nous en avions débattu avec M. Marc Fellous et M. Gérard Pascal, ceux-là mêmes qui se sont exprimés les premiers dans la presse après la publication de notre étude – ils font aujourd'hui partie de l'Association française des biotechnologies végétales et, me semble-t-il, travaillent également pour l'International Life Sciences Institute (ILSI), cabinet représentant les industriels. La société Monsanto avait évalué pendant trois mois le maïs transgénique NK603 et avait trouvé cinquante effets significatifs sur des rats, mais M. Pascal ne les avait pas jugés graves, parce qu'ils n'étaient pas les mêmes chez les mâles et les femelles, et parce qu'ils n'étaient pas proportionnels à la dose. En août 2003, alors que la Commission du génie biomoléculaire n'avait pas encore été consultée, cet avis avait été transmis en urgence à la Commission européenne, et c'est ensuite seulement que le débat avait eu lieu au sein de la commission.
Pour la société Monsanto, il n'y avait pas de problèmes biologiquement significatifs, alors qu'ils étaient statistiquement significatifs. Les analyses biochimiques n'avaient été réalisées que pour dix rats, car, si l'on veut étudier tous les paramètres, des tests sur cinquante à soixante-cinq rats coûteraient 20 millions d'euros. En outre, la cancérogenèse n'est étudiée que si l'on a une très forte suspicion de cancers liés à ces produits.
M. Pascal et M. Fellous ne jugeaient donc pas utile de demander une prolongation des tests. En général, d'ailleurs, il n'est pas exigé que les études réglementaires sur les OGM avant commercialisation durent plus longtemps : elles sont au maximum de quatre-vingt-dix jours, et souvent moins depuis une décision de M. Harry Kuiper, qui travaille à l'EFSA, et de Mme Diana Banati, qui travaille à l'ILSI.
Nous avons donc décidé de poursuivre pendant deux années les tests sur ce maïs, en employant la même souche de rats, et nous avons voulu tester en même temps l'herbicide Roundup, car l'évaluation des pesticides nous semblait présenter une grave lacune : seule une molécule chimique, le glyphosate, avait été testée à long terme. Les herbicides à base de glyphosate représentent en effet les principaux herbicides du monde et 80 % des OGM agricoles sont tolérants au Roundup, si bien que le Parlement européen a dû statuer sur les résidus admissibles de glyphosate dans les reins et foies des bovins ou des porcins qui consomment des OGM tolérants au Roundup.
J'ai tout d'abord demandé à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) de bien vouloir financer notre étude, mais M. Gérard Pascal n'a pas jugé utile d'entreprendre des tests à long terme, comme l'atteste une récente interview du président de l'INRA dans Le Nouvel Observateur. Pourtant, dans la plupart des toxicités chroniques, les effets ne se manifestent pas au bout de quatre-vingt-dix jours, mais au moins à la moitié de la vie d'un animal. Si nous avons fixé ce terme de deux années, c'est parce qu'il s'agit de la durée réglementaire des tests à long terme pour le rat : un rat vit deux à trois ans, après quoi des phénomènes de vieillissement empêchent de distinguer les effets des traitements.
Il me semble que la mission première des agences n'est pas de valider une étude scientifique. Pour cela, il existe des revues à comité de lecture : le processus ne dure pas quelques jours, mais quatre mois, et il est fait appel à des experts, qui peuvent être écartés s'ils ne sont pas indépendants de l'évaluation de ces produits. Or les agences qui doivent évaluer notre travail ne sont pas indépendantes de l'évaluation de ces produits. Nous demandons donc que les données qui leur ont permis de conclure à l'innocuité de ce maïs transgénique et à celle du Roundup en état de commercialisation soient rendues publiques, comme le seront nos études, dont toutes les données seront publiées sur internet. La loi ne permet pas de garder secrètes les données concernant les effets d'un produit sur la santé et sur l'environnement. On peut comprendre le secret industriel quand il touche à un procédé ou à une méthode de fabrication, mais pas quand il concerne des analyses du sang des rats. Du reste, il existe un précédent en la matière : Monsanto a été condamné en appel à Berlin, contre l'État allemand, parce que la compagnie refusait de communiquer les quarante analyses de sang qui avaient permis d'autoriser le maïs MON863.
Après une étude statistique approfondie des tests de Monsanto, nous avons souhaité vérifier si ce que nous pensions être des prémices de toxicité pouvait correspondre, avec le temps, à des pathologies chroniques. Aussi avons-nous étudié la même souche de rats, celle qui a été utilisée pour valider tous les OGM et qui, aux États-Unis, est recommandée par le National Toxicology Program pour étudier les effets de cancérogenèse. Certes, cette souche a une sensibilité aux tumeurs mammaires, mais elle est, de ce fait, plus représentative de la sensibilité de la population humaine. Il aurait été ridicule de recourir à une souche de cobayes absolument résistants pour tester un risque de pathologie chronique.
Nous avons également retenu le même nombre de rats par groupe. Nous aurions aimé en avoir cinquante, mais les pouvoirs publics avaient considéré que le financement de notre étude n'était pas une priorité – ce que l'on peut comprendre, puisque, depuis cinquante ans, ce sont les industriels eux-mêmes qui testent les produits qu'ils développent, système qui prend la santé publique en otage et dont, dans mon livre, je propose la réforme. Nous avons donc cherché à déterminer s'il y avait des pathologies chroniques, et de quelle nature elles étaient. Ce n'est donc pas un test de cancérogenèse que nous avons conduit, mais un test de toxicité à long terme.
Selon les normes internationales de l'OCDE, pour qu'une étude statistique approfondie en biochimie soit valable, il faut que chaque groupe compte environ dix rats. Or nous avons étudié au moins cinquante paramètres de biochimie sanguine et urinaire, onze fois au cours de notre étude, sur deux cents rats. Nous avons donc obtenu des données variables complexes qui permettent de dresser des statistiques.
Outre moi-même, les auteurs de cette étude sont Émilie Clair, Robin Mesnage, Steeve Gress, Nicolas Defarge, Manuela Malatesta, chercheuse en microscopie électronique, Didier Hennequin, universitaire spécialiste de chimiométrie et de la méthode statistique OPLS-DA (orthogonal partial least squares discriminant analysis), et Joël Spiroux de Vendômois, président du Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN), docteur en médecine, spécialiste des pathologies environnementales.
Ce travail a été réalisé sous l'égide de l'Institut de biologie fondamentale et appliquée (IBFA) de l'université de Caen Basse-Normandie, du pôle Risques que je codirige avec Frédérick Lemarchand – pôle associé au CNRS par l'intermédiaire de la Maison de la recherche en sciences humaines de l'université de Caen –, et le CRIIGEN, association de recherche et d'expertise qui a signé une convention avec l'université de Caen et qui a cofinancé des bourses de thèse avec le conseil régional de Basse-Normandie et d'autres organismes.
Pourquoi tester le pesticide le plus utilisé au monde ? Jamais, avant notre étude, un pesticide n'avait été testé à des concentrations aussi basses, en formulation, c'est-à-dire tel qu'il est vendu dans la bouteille. La plus faible dose est à 0,1 ppb (part per billion, partie par milliard), soit moins que ce que l'on trouve parfois dans des contaminations des eaux du robinet. Les OGM agricoles alimentaires sont pleins de pesticides, soit parce qu'ils tolèrent les pesticides, soit parce qu'ils en produisent : ce sont certes des protéines insecticides mutées, mais nous avons été les premiers au monde à entreprendre ces tests sur des cellules humaines.
Nous avons publié, dans l'excellente revue Toxicology, un autre article montrant que le principe actif de toxicité du Roundup n'est pas le glyphosate, mais des adjuvants qui agissent en combinaison avec celui-ci. Cette étude remet en cause les conclusions de ceux qui ont évalué le Roundup sur la seule base du glyphosate.
Nos détracteurs laissent volontiers entendre que nous refusons le génie génétique et les biotechnologies. Je suis moi-même un utilisateur du génie génétique pour comprendre le rôle des gènes, je l'enseigne à mes étudiants à l'université. Pour autant, doit-on renoncer à étudier les effets à long terme, sur la santé publique ou sur l'environnement, d'OGM conçus pour contenir des pesticides ? D'après les industriels qui les fabriquent, 61 % de ces OGM agricoles sont des plantes qui vont accumuler de grandes quantités d'herbicides sans en mourir. Le Parlement européen a augmenté de 100 à 400 la dose admissible dans les plantes transgéniques tolérantes au Roundup que nous importons. La réglementation américaine a autorisé jusqu'à 400 parties par million de résidus de glyphosate et de son principal métabolite dans des OGM alimentaires, alors que, pour le blé, elle en autorisait 400 fois moins, soit 1 ppm. Des résidus se retrouvent jusque dans la viande, puisque le Parlement européen statue sur les résidus de glyphosate dans les foies et les reins de bovins et de porcins.
Comme l'avait admis le ministère de l'agriculture dès les années 2000, l'évaluation conjointe des OGM et des pesticides présentait de graves lacunes. On évaluait d'un côté les pesticides et, de l'autre, les OGM, mais on ne savait pas quels étaient les résidus de pesticides dans les OGM et on ignorait si les pesticides entraînaient des perturbations endocriniennes.
Si 61 % des OGM agricoles sont tolérants à un herbicide et peuvent l'absorber sans mourir, 17 % produisent un insecticide modifié, comme les maïs Bt, et 22 % font les deux à la fois. Pourquoi déplacer le débat en parlant d'OGM tolérants au gel, à la sécheresse ou à la salinité, alors que, depuis quinze ans, 100 % des OGM cultivés dans le monde sont des plantes à pesticides ? Les industriels eux-mêmes auraient intérêt, pour développer de bons OGM, à ne pas mal évaluer ceux d'aujourd'hui, à ne pas laisser subsister des OGM brouillons, des plantes à pesticides qui stimulent l'agriculture intensive, sans évaluer leurs effets à long terme sur la santé.
Depuis des années, nos nombreuses publications ont toujours porté sur les effets des polluants de manière combinée sur les cellules humaines, voire in vivo. Aujourd'hui, nous étudions en priorité les principaux polluants des eaux de rivières et des eaux de surface. Nous ne nous focalisons pas sur les produits de la compagnie Monsanto et travaillons aussi sur le bisphénol A et sur l'atrazine, mais il se trouve que le principal polluant est le glyphosate, qui entre dans la composition du Roundup et de nombreux herbicides qui ne sont pas tous produits par la société Monsanto.
Avec ces produits composés de glyphosate et de divers adjuvants, on constate, à très faible dose, des perturbations hormonales et, à plus forte dose, une toxicité que la science réglementaire et d'autres études n'avaient pas décelée, puisque, le glyphosate étant considéré comme le plus actif, il était le seul testé. Or il ne sait pas bien pénétrer dans les cellules sans ces adjuvants.
En 2011, nous avons publié, dans la revue la plus consultée par la communauté scientifique, un article sur les insuffisances scientifiques majeures dans l'évaluation par les agences et les industriels des risques sur la santé de plusieurs OGM. Nous y formulions des propositions de réglementation pour les OGM agricoles. Nous constations que, sur dix-neuf OGM agricoles, les industriels avaient trouvé 9 % d'effets significatifs par rapport au contrôle, très inégalement répartis sur le rein, dans presque la moitié des cas, et sur le foie. Il nous semblait donc que l'évaluation scientifique des OGM était biaisée par une évaluation trop courte.
Nous avons publié notre récente étude dans l'une des meilleures revues de toxicologie alimentaire du monde, sinon la meilleure. Notre article a suivi un parcours d'évaluation : on nous a réclamé des données complémentaires, que nous avons fournies, notamment les études de composition des produits. Il s'agit assurément de l'étude la plus longue sur le maïs OGM NK603 dans l'alimentation d'un mammifère, et la plus détaillée sur les OGM agricoles, tant par le nombre de paramètres étudiés que par le nombre de doses. Conformément aux recommandations de l'OCDE, nous avons étudié trois doses – 11 %, 22 % et 33 % de maïs transgénique dans l'alimentation, la première correspondant au repas d'un Américain –, alors que Monsanto n'en avait retenu que deux. Nous avons également étudié l'herbicide Roundup dans sa formulation commerciale dès 0,1 ppb, ce qui ne s'était jamais fait : la plus faible dose correspond aux limites autorisées dans l'eau du robinet, une dose intermédiaire aux limites dans l'alimentation OGM et la plus forte à la moitié de l'exposition professionnelle lors de l'épandage.
Nous avons testé l'OGM traité ou non au Roundup, et le Roundup seul, afin de pouvoir déterminer, si jamais nous constations des effets, à quoi ils étaient dus. Les animaux ont été « monitorés » deux fois par semaine, observés tous les jours. La quantité d'eau et de nourriture consommée a bien sûr été mesurée. Nous nous apprêtons à publier toutes ces données, dont la divulgation ne nous paraissait pas pertinente d'entrée de jeu.
Trente-quatre organes ont été disséqués, examinés par microscopie optique et par microscopie électronique, ce qui n'avait jamais été fait, et onze dosages ont été réalisés au cours des deux années.
Une telle étude, qui coûte 3,2 millions d'euros, n'est pas à la portée d'un laboratoire de biologie courant. Il n'y a généralement pas d'appel d'offres de cette ampleur pour un seul laboratoire ou une seule expérience. Seuls des réseaux de laboratoires peuvent en mener. L'INRA nous ayant refusé des crédits, en se fondant sur l'opinion de M. Pascal, nous avons demandé des fonds à toutes sortes d'associations, d'organismes ou de fondations, parmi lesquels figurent des représentants de l'industrie alimentaire, comme Auchan. Une loi de 1998 les ayant rendus en quelque sorte responsables des produits qu'ils vendent, ils ont été échaudés par l'affaire de la « vache folle » – où des farines animales avaient été commercialisées sans qu'aient été pratiqués de tests à long terme – et ils sont à la recherche d'une plus grande transparence dans les évaluations.
Nous avons également mesuré les hormones sexuelles, car, d'après nos études in vitro sur les cellules humaines, cela nous paraissait important.
Nous avons remarqué que les rats nourris aux OGM mouraient plus rapidement que les autres. Ainsi, le premier mâle meurt un an avant le premier témoin, la première femelle huit mois avant. À la dose de 11 %, on note deux à trois fois plus de mortalité chez les femelles et cinq fois plus chez les mâles au dix-septième mois.
On nous a reproché de ne pas avoir effectué de statistiques. Pour couper court à ces critiques, nous avons voulu fournir les données brutes de mortalité. On ne fait pas de statistiques entre deux valeurs discrètes comparées chronologiquement. Pour cela, il aurait fallu avoir des modèles mathématiques et nous nous sommes refusés à échafauder des hypothèses sur des groupes de dix rats.
Les courbes que nous avons publiées sont issues des données brutes, mais nous n'avons pas tenu compte des effets de dépassement dans l'espérance de vie des rats de contrôle. Les phénomènes de vieillissement peuvent être prépondérants par rapport aux effets du traitement. Il n'y a donc pas de mortalité supérieure chez les mâles traités au Roundup et les effets ne sont pas linéaires à la dose. Pour des effets hormono-dépendants, on ne constate pas cette proportionnalité. Par exemple, un peu d'estradiol provoque l'ovulation ; beaucoup d'estradiol a l'effet pilule, c'est-à-dire l'effet contraire. Quarante mille chercheurs américains ont signé une pétition pour protester contre le fait que ces effets non linéaires ne soient pas pris en compte dans la réglementation et qu'on se borne à étudier des principes de toxicologie à court terme, qui ont un peu l'effet poison.
Les rats consommant des OGM etou traités au Roundup ont eu des tumeurs plus rapidement que les rats témoins – elles sont apparues jusqu'à 600 jours avant chez les mâles et en moyenne 94 jours avant chez les femelles – et de manière plus importante, avec deux à trois fois plus de tumeurs chez les rats traités des deux sexes.
Comme tous les chercheurs, nous savons bien que les statistiques ne disent pas toute la vérité. Elles fournissent toutefois des indications utiles et nous y avons eu recours là où elles étaient possibles, c'est-à-dire avec les données multivariables complexes – onze prélèvements sur cinquante paramètres multipliés par 200. Nous avons corroboré l'ensemble des résultats en anatomopathologie, par l'observation des animaux et de la mortalité, par la microscopie optique, la microscopie électronique et les dosages biochimiques hormonaux.
Nous avons été surpris par le nombre croissant de tumeurs. Pour les doses minimales de Roundup, par exemple, nous avons constaté que les tumeurs étaient trois fois plus importantes que chez les femelles de contrôle. Il s'agit d'un phénomène non proportionnel à la dose, avec un seuil saturant aux plus faibles doses, et qui nous apparaît pour le moins, et même si l'on ne peut pas faire de statistiques sur des groupes de dix rats, très préoccupant. Il est surprenant qu'une personnalité comme M. Gérard Pascal ait conclu avec une violence incroyable, vingt-quatre heures après sa publication, que « cette enquête ne vaut pas un clou ». Nous répondons en expliquant les liens qu'entretiennent ces personnes avec l'industrie et en rappelant qu'elles se sont battues pour empêcher ce type de tests. En médecine légale, on fait confiance au médecin légiste pour établir la cause d'un décès : là non plus, il ne saurait être question de statistiques, puisque, par définition, l'étude ne porte que sur un seul cas. Nous, nous en avons étudié 200. Selon les anatomopathologistes, les femelles sont mortes principalement de tumeurs mammaires et d'anomalies hypophysaires, ce qui corrobore l'hypothèse selon laquelle il s'agit d'un problème hormonal.
Nous avons voulu aller plus loin en collationnant l'ensemble des données biochimiques au cours de l'étude. L'anatomopathologie décelait des problèmes rénaux et hépatiques de nécrose, de congestion, et des néphropathies sévères, qui se développent effectivement chez les rats âgés, mais qui, en l'occurrence, le faisaient de manière précoce chez les rats traités.
Parmi les sujets traités au Roundup, nous avons recensé jusqu'à vingt-six problèmes mammaires sur dix rats. À la toute fin de l'expérience, nous avions cinq contrôles et dix problèmes mammaires. Les pathologies spécifiques dépendaient aussi du sexe, les mâles ayant davantage de problèmes hépato-rénaux, les femelles davantage de tumeurs mammaires, de problèmes hypophysaires et de problèmes hormonaux non linéaires – ce qui est la marque d'une pathologie hormonale –, et donc hormono-dépendants.
Au niveau statistique et biochimique, les hormones sexuelles étaient déréglées chez les femelles, ce qui, on le sait, provoque des tumeurs mammaires. On relevait, chez les femelles, 97 % de testostérone en plus et 26 % d'estradiol en moins. Pour obtenir ces résultats, nous avons utilisé la nouvelle méthode OPLS-DA, encore peu connue et peu utilisée, sauf en génomique et en transcriptomique.
Nous savions que le Roundup empêchait le fonctionnement des récepteurs aux oestrogènes et aux androgènes, à la fois alpha et bêta, et que cet effet était produit sur les cellules testiculaires humaines et de rats. Nous pouvons donc expliquer les problèmes de tumeur et les dérèglements hormonaux, puisque nous vérifions in vivo ce que nous avions observé in vitro sur des cellules de placenta et de cordon ombilical humains ou sur des lignées cellulaires. L'effet perturbateur hormonal était donc confirmé sur plusieurs modèles.
En ce qui concerne l'OGM traité au Roundup, les résidus qui sont moins disponibles par extraction peuvent également avoir cet effet. Manuela Malatesta avait en effet montré que des souris nourries au soja au Roundup présentaient les mêmes anomalies hépatiques au niveau de la microscopie, mais elle n'avait pas réalisé une étude aussi longue et aussi détaillée sur tous les paramètres, parce qu'elle avait été capable de reproduire ces effets sur les cellules hépatiques avec des résidus de Roundup ajoutés in vitro.
L'image est donc cohérente pour expliquer les effets de l'OGM avec du Roundup, mais cela n'exclut pas d'autres effets métaboliques de l'OGM lui-même. Nous avons été surpris des effets sur le traitement OGM seul. La méthode pour rendre la plante insensible au Roundup – insensible, et non résistante, en l'absence de mécanisme actif pour exclure le Roundup –, est une surexpression d'une enzyme servant à fabriquer des acides aminés essentiels chez les plantes. En l'absence de Roundup, la surexpression de cette enzyme dérègle le métabolisme et fait diminuer des acides aromatiques, tels que l'acide férulique et l'acide caféique. C'est en tout cas ce que nous avons constaté dans les croquettes équivalentes en substance et confectionnées selon les normes des bonnes pratiques de laboratoire (BPL). Cela n'exclut pas la présence d'autres composés toxiques formés par la plante et que nous allons rechercher par des expériences en génomique et en transcriptomique. Pour l'instant, nous avons un début d'explication : nous avons noté que des acides mammoprotecteurs et hépatoprotecteurs connus, l'acide férulique et l'acide caféique, figurent en moins grande quantité dans les croquettes issues d'OGM non traités au Roundup.
Nous avons donc constaté une augmentation des tumeurs mammaires et des toxicités hépato-rénales. Cela ne découle pas d'une seule statistique ou d'un seul tableau, mais de la corrélation de l'ensemble de nos résultats. Certes, nous n'ignorons pas que, comme toute étude, la nôtre a ses limites. Il n'en est pas moins vrai qu'elle est la plus approfondie jamais réalisée sur un pesticide en formulation et sur un OGM agricole. Le Roundup a de graves effets sur la santé à de très faibles doses, ce qui n'était pas connu puisque la société Monsanto n'avait testé à long terme que le glyphosate. L'OGM seul a aussi des effets métaboliques toxiques.
Nous recommandons que les autorisations de ces produits soient reconsidérées et que soient publiées toutes les données qui les ont motivées. Nous voulons, quant à nous, jouer jusqu'au bout le jeu de la transparence en divulguant nos données brutes. Aux termes de l'article 25 de la directive 200118CE, qui stipule que, en aucun cas, ne peuvent rester confidentielles les informations sur les effets des OGM sur la santé, il incombe au ministère de l'agriculture de rendre publiques celles qui ont permis de conclure que l'OGM NK603 était inoffensif. Cela permettra d'en finir avec ces critiques pinailleuses sur les souches de rats ou sur le nombre de rats par groupe. L'étude de la composition chimique globale ne démontre pas l'absence de toxicité, puisqu'on peut la déceler à long terme alors que les régimes sont équivalents en substance, comme dans notre étude. Les tests réglementaires doivent être publics, indépendants des compagnies et soumis à l'expertise contradictoire. Les expériences doivent être recommencées par d'autres, prolongées pour beaucoup d'autres OGM, conduites sur des études transgénérationnelles. Nous demandons que tout soit mis sur le tapis afin que nous puissions enfin en finir avec un débat stérile qui dure depuis quinze ans et qui se focalise sur les biotechnologies, alors qu'il s'agit en fait de questions de santé publique. (Applaudissements des commissaires du groupe SRC et du groupe écologiste)