Monsieur Sermier, c'est le directeur de l'INRA qui a considéré que ces expertises devaient être conduites par l'ANSES.
Professeur Gilles-Éric Séralini. La première mission d'un professeur des universités est de s'adresser au public. Telle est la raison pour laquelle j'écris des livres – je n'en suis pas au premier – sur l'histoire des sciences ou sur le génie génétique, livres que je publie notamment chez mon éditeur Flammarion.
Par ailleurs, il n'y avait pas de « plan com » en Russie, en Chine, aux États-Unis, en Inde, en Afrique, et les résultats de notre étude ont pourtant très rapidement fait le tour du monde parce qu'ils remettent en cause le système d'évaluation, le laxisme et l'incompétence des agences qui n'ont pas exigé des tests de plus de trois mois. Pour moi, c'est une incompétence scientifique quand il s'agit de plantes contenant des pesticides. On ne peut en effet imaginer, a priori, que de tels produits n'auront pas d'effets sur le long terme si on ne les a pas testés. Il était donc essentiel pour nous de procéder à ces tests et de publier nos travaux.
Les agences dont vous parlez ont surtout été chargées d'évaluer ces produits au niveau réglementaire, pas de discréditer des publications scientifiques, surtout lorsque figurent parmi leurs membres ceux-là mêmes qui ont autorisé les produits en question. Nous avons fait le compte : 80 % des détracteurs qui se sont très rapidement exprimés ont un rapport soit avec l'autorisation des produits, soit avec les industriels. Il y a donc aujourd'hui un vrai problème s'agissant de l'indépendance des agences que j'appelle pourtant de tous mes voeux pour avoir fait partie de commissions ministérielles. Il faut sortir du mythe de l'expertise indépendante pour instituer l'expertise contradictoire devant des comités de journalistes scientifiques où chacun pourra poser des questions. Aujourd'hui, j'ai l'impression d'un débat digne du Moyen-âge de la science. En tant que chercheur, je ne comprends pas que les analyses de sang des rats ayant permis l'utilisation du NK 603 et du Roundup soient considérées comme relevant du secret d'État ou du secret industriel alors même que l'on me demande de mettre toutes mes données sur le tapis en l'absence de celles permettant de comprendre l'évaluation scientifique d'un produit ! En fait le rôle des agences est d'évaluer ces produits, plus que les études scientifiques. À euro constant, tout doit passer par la transparence. Il suffirait d'un clic ou deux sur internet pour enlever les codes de confidentialité sur les analyses de sang relatives à ces produits.
Comment pouvons-nous penser, monsieur Accoyer, que tous ces produits qui ne sont pas testés à long terme sur les animaux ne présentent aucun risque ? Je pense aux nanoparticules, à l'amiante, au problème du sang contaminé. Ce serait faire preuve d'obscurantisme que de ne pas voir que l'externalisation des risques à long terme sur les nouvelles technologies est un phénomène commun de notre société. C'est ce sur quoi nous travaillons au sein du Pôle Risques. Pour des raisons économiques souvent, on s'interdit de commanditer, via nos agences, des tests à long terme sur toutes ces nouvelles technologies qui font l'objet d'un débat dans notre société. Et long terme ne signifie pas trente ou quarante ans, car cela retarderait les industriels. Entre la fabrication et la culture du maïs transgénique, il a bien dû s'écouler dix ans et, pendant cette période, on aurait bien pu exiger un test de deux ans sur des rats ! En tant que scientifique je ne comprends pas l'argument selon lequel cela retarderait l'industrie. Au contraire, en triant bien nous aurons de bons produits pour la santé et l'environnement et l'État fera des économies. C'est d'autant plus important que les normes OCDE pour les OGM sont encore en construction et que les tests sur les animaux ne sont même pas obligatoires.
Il y a donc des difficultés du côté du secteur public et s'il y a débat, c'est d'abord parce que la controverse scientifique est une façon de faire avancer la science. Mais c'est aussi parce qu'il y a des conflits économiques incroyables. En effet, l'évaluation à long terme – à deux ans – rendrait sans doute peu rentable le turn over des produits à court terme. Les personnes qui ont autorisé ces produits ont ainsi fait peser sur nous, dans Marianne, des suspicions de fraude que nous ne laisserons pas passer sans procès. Nous demanderons en outre une analyse indépendante de l'ensemble des données ayant servi à l'autorisation de tels produits, y compris les nôtres, et dans laquelle n'interviendraient pas les experts impliqués dans l'autorisation de ces produits. Sinon, on ne peut parler d'indépendance !
S'agissant de la pertinence de l'étiquetage OGM, je pense qu'il faudrait étiqueter les produits animaux, car que le résidu de pesticide passe la chaîne alimentaire ou non – et nous pensons qu'il la passe, car nous en avons trouvé dans les organes des rats de notre étude –, il est de toute façon malsain de manger un animal malade.
Alors que la mémoire de l'eau ou la vitesse de la lumière sont des concepts récents de la science ne présentant aucun enjeu économique immédiat, nous parlons là de concepts très simples et il est nécessaire de tester ces produits sur la vie entière au moins sur l'animal de laboratoire puisqu'il n'y a pas de tests précliniques. Cette comparaison n'a pas de sens.
Comme je l'ai dit, il n'y avait pas de « plan com » en Chine ou en Russie, et pourtant ce dernier pays a interdit les OGM, ce qui a suscité un débat très chaud. Quant au financement, il a été réalisé essentiellement par les fondations Ceres pour l'étude des effets de l'alimentation sur la santé, dont les membres comprennent des représentants d'une cinquantaine de PME-PMI – nous ne connaissons pas tous les adhérents, mais ils ont une charte de non-appartenance au monde des biotechnologies et des pesticides –, et par la Fondation pour le progrès de l'homme, qui ont apporté respectivement deux et un million d'euros. De plus, 100 000 euros ont été fournis par le ministère de la recherche, via la réserve parlementaire de François Grosdidier, et il y a eu 150 000 euros restés à la charge du CRIIGEN à cause de l'explosion du nombre des tumeurs que nous avons dû étudier. Nous cherchons donc des bourses d'étudiants pour continuer ces thèses.
Nous pensons qu'il existe des solutions saines et apaisées. Nous ne parviendrons pas à apaiser le débat sans mettre sur la table l'ensemble des analyses de sang ayant permis l'autorisation de ces produits ou de produits comparables. Sinon, nous sommes au Moyen-âge de la connaissance scientifique ! J'attends de vous, mesdames, messieurs les députés, que vous agissiez pour que soit levé ce secret illégal !
Ensuite, il faut instituer l'expertise contradictoire, chacun étant démasqué. À une époque où mon équipe faisait partie de l'INRA, celui-ci et M. Gérard Pascal, qui ne voulaient pas aller plus loin dans les études sur les rats, ont rejeté d'emblée nos propositions d'études à long terme sans justification précise. Et ce sont ces gens-là qui se sont battus pour ne pas prolonger les tests à la Commission du génie biomoléculaire ! Évidemment quand le Gouvernement a besoin d'experts dans le domaine des OGM, il utilise les personnes ayant travaillé sur ce sujet dans les grands laboratoires ou les instituts de recherche. Et il en va de même pour les grandes entreprises parce que, depuis quinze ans, l'État externalise certains crédits publics sur les collaborations avec les industriels. Par exemple, pour répondre à un appel d'offre européen, il faut très souvent un réseau de laboratoires plus un industriel. Et il faut aussi des industriels pour organiser un colloque ou trouver des emplois pour les étudiants. Je ne pense pas qu'une telle collaboration soit malsaine, mais elle a eu pour effet d'émousser le processus d'expertise contradictoire et il est aujourd'hui très difficile de trouver une réelle expertise indépendante. Le président de l'INRA suggérait lui-même récemment que Mme Christine Cherbut, qui a été directrice chez Nestlé, évalue notre étude au cours des prochaines semaines. Or, Nestlé fait partie de l'ILSI – International Life Sciences Institute. Tout le monde n'est pas compromis, mais il faut bien admettre l'intérêt pour les industriels de réduire l'ampleur et la durée des tests. Il est donc très difficile de partir, a priori, avec les mêmes, c'est-à-dire ceux qui ont travaillé avec l'ancienne Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et avec le Haut conseil des biotechnologies qui a manifesté son accord avec les tests statistiques pourtant très contestés de Monsanto. On ne peut prétendre que l'expertise est indépendante si l'on ne cesse de demander aux chercheurs du public de collaborer avec les industriels. Seule l'expertise contradictoire nous permettra de sortir par le haut.
Quant aux Américains, ils ont une espérance de vie plus réduite que la nôtre, mais je ne fais pas pour autant automatiquement le lien avec les OGM qui sont cultivés chez eux. Ils ont beaucoup plus de maladies alimentaires ; sont plus touchés par l'obésité. Et les tests sont encore moins obligatoires aux États-Unis qu'ici. De simples déclarations suffisent et beaucoup de nouveaux OGM ne font pas l'objet des tests sur animaux préconisés par l'EFSA selon la suggestion de M. Harry Kuiper qui a lui-même travaillé avec les industriels et qui est encore au comité OGM de l'EFSA. Voilà pourquoi, en tant que scientifiques, nous ne pouvons pas accepter l'idée selon laquelle, a priori, ces agences sont indépendantes. Certains de leurs membres n'ont en outre pas le curriculum-vitae permettant de contester une étude d'anatomopathologie ou de physiologie. Une fois que l'on aura vérifié les parcours et les liens de ces personnes avec l'industrie, comme le fait Le Canard enchaîné cette semaine, alors on pourra parler d'indépendance réelle.
Il faut évaluer à long terme tous les produits auxquels la population est actuellement soumise à long terme. C'est une question de santé publique. Nous pouvons nous être trompés sur tel ou tel point, mais nous croyons aux résultats de notre recherche. Nous demandons qu'une telle étude soit reproduite par la recherche publique s'il est possible d'y consacrer cinq millions d'euros. Il faut une transparence des données et une expertise contradictoire, car il n'est pas normal que ce soit à une petite équipe universitaire du Calvados d'effectuer ces tests. Nous sommes allés chercher des partenaires pour réaliser ceux-ci car nous croyons fondamentalement que la santé publique pâtit de l'absence de tests à long terme.
Docteur Joël Spiroux de Vendômois. Un numéro de la revue Toxicologic Pathology de 2010 indique que la souche de rats utilisée pour notre étude est celle qui servira, au cours des années à venir, à plus de 90 % des études de toxicologie au long cours.
Avec cette étude, nous soulevons la chape de plomb qui pèse sur la toxicologie et l'épidémiologie. Lorsque je siégeais au comité provisoire du génie biomoléculaire à l'époque du maïs Mon810 j'avais en face de moi des toxicologues me répétant que les résultats devaient être proportionnels à la dose, qu'il fallait que ce soit la même chose chez les mâles et les femelles, que toute anomalie biologique au bout de trois mois devait être corroborée par des anomalies anatomiques, morphologiques ou histologiques. Tout cela, c'est de la toxicologie de grand-papa ! C'est intéressant pour des produits toxiques forts et puissants, mais nous sommes dans un domaine complètement différent avec les perturbateurs endocriniens, l'effet des doses faibles de l'ordre de 0,1 ppb.
Notre étude met en cause non seulement les OGM et les pesticides uniquement évalués sur la molécule dite active, mais aussi la façon dont tous les xénobiotiques ont été étudiés. Je ne vois vraiment pas à quoi cela servirait qu'ils soient étudiés sur des lignées de rats résistant aux tumeurs. Pour que nous puissions protéger les personnes les plus fragiles – les femmes enceintes et les malades, notamment –, il faut utiliser des lignées de rats elles aussi plus fragiles à partir du moment où l'on peut faire des comparaisons avec des groupes témoins. Un grand changement s'impose dans la conception de la toxicologie au quotidien. Vous en conviendrez tous avec moi, le nombre de cancers augmente, celui des spermatozoïdes diminue ; les maladies neurodégénératives et immunitaires, les allergies se multiplient, alors même que le confort de vie est plutôt bon en Occident. Malheureusement, ces pathologies sont provoquées par des produits chimiques qui n'ont pas été suffisamment testés au long cours.
Quant à l'épidémiologie, elle a été inventée pour mettre en relation directe un élément pathogène – en général une bactérie – avec une pathologie bien déterminée. Or, nous n'en sommes plus du tout là puisque c'est un ensemble de produits qui entraîne des pathologies diverses et variées – c'est l'effet des mélanges. Nous assistons, en France, à une explosion des maladies orphelines dont on connaît les résultats, souvent génétiques ou métaboliques, mais que l'on ne sait malheureusement pas traiter. Actuellement, l'épidémiologie n'est pas du tout faite pour suivre les produits en question. Aux Etats-Unis, par exemple, où il n'y a pas d'étiquetage des OGM, comment voulez-vous savoir si tel produit donne telle ou telle pathologie ? Ces produits se mélangent au flot des produits chimiques toxiques que nous avons tous dans notre sang et voilà comment arrivent les pathologies. Voilà pourquoi nous avons du mal à nous en sortir, nous médecins !
En tant que président du CRIIGEN et co-auteur de l'étude, je souhaite que celle-ci soit à nouveau réalisée par différentes équipes et que l'on ait le courage de refaire les mêmes études au long cours sur la trentaine d'OGM utilisés sur la planète car certains d'entre eux ne sont peut-être pas toxiques. La porte est donc ouverte à la bonne volonté, et non pas aux détracteurs qui ne cherchent qu'à démolir une étude dont ils ne connaissent même pas les tenants et les aboutissants. Il faut de la sérénité en sciences, en médecine, mais in fine ce sont toujours les mêmes qui paient, à savoir les malades.
Professeur Gilles-Éric Séralini. Je veux remercier chacun d'entre vous. Dans les jours qui viennent, nous allons publier non seulement les réponses aux critiques, mais aussi les dizaines de témoignages de scientifiques, dont certains très haut placés dans le monde, qui soutiennent notre étude. Je pense en particulier à l'un des plus grands statisticiens de l'Académie des sciences, qui critique ce qu'a écrit M. Lavielle.