Intervention de Vincent Peillon

Réunion du 11 juillet 2012 à 11h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale :

Je vous remercie pour vos interventions. Je vous prie de m'excuser si mon propos liminaire n'était pas exhaustif, mais il m'a semblé préférable de vous laisser vous exprimer, d'autant que l'une des difficultés que nous allons rencontrer sera de déterminer des lignes de force parmi tant de sujets qui méritent tous notre attention.

La question de l'école, si elle peut nous diviser, peut aussi nous réunir. Les blocages de l'école française sont liés à des incompréhensions et à des erreurs d'analyse, mais aussi à des divisions qui sont apparues à l'intérieur même de notre système scolaire. Aujourd'hui, beaucoup de ceux qui nous observent et qui partagent notre diagnostic se gaussent en pensant à l'éternelle répétition du même qui mine cette société en panne d'avenir et s'attendent à ce que le primaire s'oppose au secondaire, et les républicains aux pédagogues...

Je crois, monsieur Boutih, que nous pouvons collectivement faire mieux et que nous avons intérêt à montrer aux jeunes que les adultes sont capables, en réponse à la crise de l'identité nationale, de se montrer exemplaires. On peut demander aux autres de faire ce que l'on ne fait pas soi-même, mais ce n'était pas le principe des « hussards noirs ». Agis toujours de telle sorte que ce que tu fais puisse servir d'exemple : tel est le principe de l'école.

C'est également l'esprit de la concertation, et je remercie tous ceux qui se sont engagés dans cette démarche. Dans un temps de difficultés économiques profondes, si nous n'engageons pas rapidement les réformes, elles ne se feront pas. Si un certain nombre d'entre elles n'ont pas vu le jour, bien que les concertations aient eu lieu, c'est par manque de volonté politique. Cette réforme de l'éducation nationale, le Président de la République l'a annoncée dans sa campagne. Nous sommes mandatés pour la mener à bien, avec vous tous. Veillons à ce que ce soit fait le plus intelligemment possible.

En même temps, nous devons, pour des raisons de fond et non de forme, distinguer ce qui relève de l'essentiel et ce qui relève de l'accessoire. Le temps du débat parlementaire sera un moment essentiel.

Ce qui a compromis la loi Fillon de 2005, c'est qu'y ont été ajoutés un certain nombre de points qui, même s'ils sont importants du point de vue de ceux qui les défendent et méritent à ce titre le respect, ne structurent pas l'organisation d'une Nation et auraient pu être traités dans un autre cadre. Alors qu'il existe des dispositions très contraignantes s'agissant de ce qui relève du législatif et ce qui n'en relève pas, ce sont les ajouts, ministériels ou parlementaires, qui ont mis la loi Fillon en grande difficulté. Un projet de loi n'est pas un catalogue auquel on peut indéfiniment ajouter. Nous ne mettrons pas tout dans le nôtre. Au pays de Descartes, nous savons qu'une démarche pour réussir exige un peu de clarté, de distinctions et la définition de priorités. Nous avons renouvelé ces dernières. J'y ajouterai toutefois, car ce point avait été oublié, le service public territorialisé de l'orientation. Nous avons entamé des discussions avec l'ensemble des associations d'élus sur ces questions qui, si elles ne sont pas simples, sont essentielles pour les élèves.

Je n'ai aucun préjugé sur l'apprentissage, à condition que le statut scolaire et les stages respectent les conditions permettant aux élèves de se former et de progresser. Nous avons remis hier les prix du Concours général. Ce fut pour moi une expérience très intéressante sur le plan de la continuité de l'État et eu égard aux questions soulevées par Malek Boutih. Nous avons rencontré de nombreux élèves issus de lycées professionnels, en ayant à l'esprit certaines préoccupations : les sorties précoces, plus nombreuses que dans les lycées classiques, et le taux de réussite au baccalauréat. De leur côté, ces jeunes nous ont alertés sur les difficultés auxquelles ils se heurtent pour trouver un stage. Les professeurs eux-mêmes nous ont indiqué qu'il serait vain de fixer des objectifs qui ne pourraient être atteints. Je serai moi-même très vigilant quant à la rédaction de la loi. Il ne sert à rien de prévoir 800 000 stages s'ils n'existent pas – nous en avons souvent discuté avec Xavier Bertrand. Nous avons devant nous un travail extrêmement long, mais les analyses dont nous disposons montrent que les systèmes éducatifs qui réussissent sont des systèmes dans lesquels le tronc commun dure plus longtemps, ce qui n'empêche pas la diversification.

Nous reviendrons sur les problèmes du collège, qui sont considérables, nous le savons depuis longtemps. Il nous faudra pour cela abandonner un certain nombre de stéréotypes comme celui du collège unique, car il y a longtemps qu'il ne l'est plus.

Nous avons là un travail fondamental à accomplir et celui qui s'apprête à opérer un changement doit le faire d'une main tremblante. Cependant, si notre système produit trop d'échecs, il produit également des réussites.

Beaucoup de ceux qui ont voulu engager des réformes étaient animés de bonnes intentions, et un ministre doit s'occuper – comme on dit en maternelle, faire de l'occupationnel. Mon ambition n'est pas d'accoler mon nom à une loi. Il est des domaines qui nécessitent que nous prenions le temps. La réforme du lycée, classique et professionnel, est pour nous un point essentiel.

Sur ce point aussi, il faut définir des priorités, sur lesquelles nous pouvons nous mettre d'accord et qui changeront réellement le système : la formation des maîtres et la primarisation, cette révolution copernicienne qui signe l'inversion des mentalités qui ont cours depuis un siècle et demi.

Ensuite, nous aurons beaucoup à faire. Mais prenons le temps de la concertation qui, à mes yeux, est beaucoup plus qu'une consultation. Je la prends très au sérieux et j'attends beaucoup des apports des uns et des autres. Il faut savoir se décentrer : nous l'enseignons aux élèves, mais cela vaut pour tous : nul ne saurait agir seul.

Le temps parlementaire est fondamental, tout comme celui de la démocratie sociale. Il n'y aura pas de négociations parallèles, qui n'auraient aucun sens. Nous jouerons le jeu de la concertation, qui inclut les syndicats. Et de ce temps, j'en suis absolument certain, naîtra un agenda de négociations internes, portant notamment sur les effets statutaires de la loi.

Il importe que nous respections cet ordre : le temps de la concertation, entre forces vives, le temps parlementaire, de la responsabilité du Gouvernement, et celui de la négociation.

La réforme de l'enseignement prioritaire nous amène en effet à nous poser certaines questions : faut-il augmenter les décharges horaires, devons-nous renforcer le travail en équipe ? Si la Nation décide que les décharges ne doivent pas être réservées aux professeurs des classes supérieures des grands lycées mais être étendues à ceux qui se trouvent au front des difficultés sociales, cette décision fera l'objet d'une négociation sociale. C'est ainsi que je l'entends. Il faut distinguer la déclaration de la loi, qui part de tous et s'applique à tous, et la négociation, qui relève d'instances prévues pour cela.

Le temps est court, j'en suis conscient. Je pense néanmoins que s'il était plus long, nous risquerions de reproduire ce qui s'est déjà fait un certain nombre de fois et de ne pas débloquer la situation.

Nous n'avons pas aujourd'hui la possibilité d'accorder un statut à tous les directeurs d'école en France. Mais nous allons déjà renouveler les contrats de ceux qui les assistent, ces contrats aidés concernant quelque 4 000 directeurs d'école. Vous pouvez donc rassurer les personnels dans vos départements, mesdames et messieurs les députés : les 12 000 contrats aidés qui venaient à échéance fin juin, mettant les personnes en grande difficulté, seront renouvelés dans leur intégralité.

Si nous voulons évoluer, il nous faut engager une réflexion en vue d'une coordination entre le collège et l'école primaire. Un certain nombre d'expérimentations sont en cours, je n'y mettrai pas fin. Je souhaite d'ailleurs, et nous y travaillerons ensemble, que la loi reconnaisse le statut de l'expérimentation. Ma collègue a la responsabilité d'un certain nombre d'innovations. J'ai moi-même tenu à rencontrer les enseignants innovants dès ma nomination au ministère, considérant qu'ils doivent être accompagnés.

En ce qui concerne l'école maternelle, la proportion des enfants de moins de trois ans scolarisés est tombée de 35 % à 10 %. Je ne souhaite pas polémiquer, mais je considère que c'est très grave. Cela prendra du temps, mais il nous faudra revenir à la situation précédente et bien cibler les établissements auxquels seront destinés les crédits permettant d'accueillir ces enfants de moins de trois ans.

Certaines initiatives devront être développées – je pense aux classes passerelles. Nous en discuterons avec les collectivités locales. Un certain nombre d'expériences en cours fonctionnent très bien. C'est le cas du programme « PARLER bambin » qui aide les familles en difficulté. Le Président de la République avait pris un engagement dont plus personne ne parle mais qui me tient à coeur : celui d'aider les parents, en particulier les femmes qui élèvent seules leur enfant, à progresser dans l'acquisition de la langue française. Nous réfléchissons à un dispositif à cet effet.

J'en viens à la question des programmes scolaires. Elle sera posée, mais je vous le dis d'emblée et je le dirai aux professeurs : par respect pour les comptes de la Nation, mais aussi compte tenu de la durée des journées d'école en France, nous ne permettrons aucun ajout d'une heure ici ou là. Le moment est venu d'une école de la responsabilité.

Je crois à la nécessité des humanités, de la pensée critique, et je pense que nous devons développer celle-ci, y compris dans le cadre des programmes. Mais le premier effort que nous aurons à faire sera de mieux articuler la notion de socle, à laquelle nous tenons, le livret, le brevet et les programmes. Nous avons là un espace de travail.

Je souhaite que ce travail soit entrepris indépendamment du ministre, comme cela a été fait en 2002. Il faut rétablir un Conseil national des programmes – ce qui sera fait par voie législative – et mettre en place des instances d'évaluation réellement indépendantes, sur lesquelles nous puissions réellement nous appuyer. Aujourd'hui, lorsque je demande qui a élaboré les programmes de 2008, personne ne peut me répondre. C'est totalement extravagant ! Nous ferons collaborer les praticiens de terrain, les professeurs compétents par discipline, les didacticiens, et la souveraineté nationale sera saisie comme elle l'avait été en 2002.

En ce qui concerne les RASED, j'ai demandé que soit créée une mission d'inspection afin d'évaluer leur bien-fondé, étant entendu que sur les 1 000 postes créés, un certain nombre seront destinés à ces réseaux d'aide spécialisées. Nous devons engager une réflexion, si nous avons plus de maîtres que de classes, pour déterminer les établissements où les moyens seront les plus efficaces et à quel type d'élèves ces aides doivent s'adresser. Je connais les difficultés qu'ont pu provoquer les réseaux, tout en étant convaincu de leur extrême utilité. Je connais bien la question : j'ai été très surpris par les critiques qui se sont exprimées au cours des dernières années car, dans le même temps, j'ai vu venir vers moi, dans les cas de suppressions de postes, des professeurs des écoles reconnaissant les problèmes posés par l'absence de RASED dans leur établissement. Il est vrai que le réseau représentait 5 000 postes, ce qui est considérable. La formation étant très consommatrice de postes, nous devrons affecter les postes de maîtres spécialisés, sur les 60 000 postes prévus, là où ils seront les plus utiles. C'est un vrai sujet de préoccupation. Nous devrions disposer d'un rapport précis sur cette question dans le temps du débat législatif.

Monsieur Vlody, vos considérations sur la situation de l'école outre-mer sont tout à fait justes. Je ne puis à ce stade vous détailler les mesures que nous avons déjà prises, mais je vais vous indiquer quel est notre état d'esprit. Ce qui me préoccupe, c'est le fait que nous mettions toujours en avant la question des moyens. Ceux-ci seront toujours insuffisants. Dans les DOM-TOM, lorsque survient un problème, on demande souvent au ministre de l'éducation nationale de créer cinq ou six postes supplémentaires. Pour ma part, je ne crois pas que ce soit la solution. Je souhaite que nous adoptions une approche qualitative des problèmes spécifiques aux DOM-TOM. C'est ce que je vous proposerai dès la fin de l'été. Nous avons affecté à la Réunion une part des moyens supplémentaires. Cela me paraît juste, mais nous pouvons difficilement aller au-delà. Cela dit, il nous faut mettre à plat tous les éléments, y compris les carrières des personnels. Ce sera mon approche pour que ces problèmes, très anciens, trouvent enfin une solution.

Nous partageons la préoccupation de Malek Boutih. J'ai eu l'occasion, hier, à la remise des prix du Concours général, d'assurer la continuité de l'État : mon prédécesseur Luc Chatel avait pris un engagement à l'égard d'un élève qui avait obtenu le prix du Concours général avant d'être déporté. Et tous les jeunes présents ont réagi très positivement quand on leur a rappelé qu'ils appartenaient à une certaine Histoire et à une certaine France…

Monsieur Boutih, le problème que vous soulevez doit trouver une solution, et pas uniquement par le biais de dispositifs singuliers. Je demanderai dès la rentrée que soit constituée une mission sur la morale laïque et sur la conception que nous devons diffuser d'une laïcité qui ne peut être la simple tolérance, l'indifférence ou la neutralité. Je crois profondément que ce qui est déterminant, c'est notre capacité collective à tenir des discours, à entraîner, à respecter et à montrer que l'on parvient à surmonter les problèmes.

Vous avez parfaitement raison, monsieur le député, l'école ne peut résoudre tous les problèmes de la société, et ce ne sera jamais notre approche. L'école doit être sanctuarisée, tenue à l'écart des manifestations de violence. C'est pourquoi, dès la rentrée, il y aura davantage d'adultes dans les établissements. Mais nous devons nous préoccuper d'autres mesures, en matière d'urbanisme et de logement, qui sont tout aussi nécessaires – les sociologues nous ont montré à quel point le logement a un impact sur le destin scolaire des enfants.

Les décisions politiques destinées à lutter contre les discriminations, à favoriser l'emploi, doivent avoir toute leur place dans notre action, mais il ne faudrait pas – j'y veillerai, et vous le ferez aussi – que donner la priorité à l'école soit compris comme l'obligation pour elle de résoudre tous les problèmes de la société. Au contraire, l'école doit être accompagnée par des politiques publiques en cohérence avec les objectifs que nous lui fixons.

J'évoquerai pour terminer la question des temps scolaires, dont je comprends qu'elle préoccupe les collectivités locales et les familles. J'en connais le coût, je vous ai indiqué la méthode. Nous avons engagé une étroite concertation avec l'ensemble des associations d'élus. Des expériences ont eu lieu. Je crois que nous allons pouvoir avancer. Ma seule réserve et ma seule responsabilité tiennent au fait que certains progrès, comme l'expérimentation, la décentralisation ou la réforme des lycées, ont accru les inégalités. L'enfer est souvent pavé de bonnes intentions ! Je suis prêt à aller très loin dans cette réforme des rythmes scolaires, y compris au niveau de la journée, car je pense que là est le levier de la réussite pour tous, y compris pour l'acquisition du « lire, écrire, compter ». L'éducation de Jules Ferry était libérale et les enfants de tous les milieux ont toujours eu accès à la plus haute culture. Telle est l'ambition de l'école de la République.

Mais nous devrons être vigilants, car nous savons qu'un regroupement pédagogique intercommunal de Haute-Saône ou une école de Gennevilliers n'ont pas les mêmes moyens pour organiser l'accueil périscolaire qu'un établissement situé au coeur de Lyon, Toulouse ou Paris. C'est de la responsabilité de l'État de créer le cadre nécessaire. Celui-ci n'existe pas encore. Il peut être d'ordre législatif, mais il doit tenir compte de la revendication des collectivités locales de s'administrer librement.

L'État doit jouer son rôle afin que tous les enfants de France, quel que soit leur territoire d'origine, aient les mêmes droits et la même possibilité de rendre ces droits effectifs. C'est pour moi le seul verrou qu'il convient d'accepter pour élaborer la réforme des temps scolaires. Nous y veillerons : vous, législateurs, prendrez vos responsabilités et je prendrai les miennes.

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