Intervention de Lydia Brovelli

Réunion du 9 octobre 2013 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Lydia Brovelli, corédactrice du rapport public « Responsabilité et performance des organisations » :

En début d'année, Xavier Drago, Éric Molinié et moi-même avons été saisis par quatre ministres d'une demande d'étude sur le potentiel d'évolution et de diffusion de la responsabilité sociale et environnementale dans l'économie et la société. Je n'insiste pas sur la définition de la RSE, indiquant seulement que nous avons repris celle qu'en donne l'Union européenne : la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu'elles exercent sur la société. Pour nous, la RSE est un levier de performance durable qui concerne toutes les entreprises, des plus grandes aux plus petites, des privées comme des publiques – en la matière, l'État se doit d'être exemplaire – et toutes les organisations. Le « S » de RSE, nous l'avons entendu dans toutes ses dimensions sociales, sociétales, environnementales et de gouvernance. Partant du postulat du développement durable, c'est-à-dire de la volonté de produire sans détruire, et nous appuyant sur quelque deux cents auditions, nous avons formulé une vingtaine de propositions. Avant de citer les principales, permettez-moi de signaler que la RSE nous a semblé confrontée à plusieurs défis.

Il y a, d'abord, un défi de crédibilité. La prise en compte de la RSE a indéniablement progressé, mais dans un certain désordre. Surtout, elle est encore souvent objet de défiance, car perçue comme une mode managériale, un cosmétique organisationnel – avouons-le, elle n'est parfois que cela. Pour gagner en crédibilité, il faut rendre les informations et les démarches extra-financières lisibles, vérifiables, auditables et comparables.

Ensuite, il existe un défi au regard de l'échelle d'analyse. Raisonner à la dimension du village gaulois est impossible. Mondialisation et besoin de régulation, complexité des organisations, évolution du périmètre des entreprises, des donneurs d'ordres aux prestataires sous-traitants, il faut tenir compte de cette nouvelle donne du fonctionnement en réseau, ainsi sans doute que du niveau de développement différent des acteurs et de la taille des entreprises.

Le changement de rythme économique, avec l'accélération de l'information, des attentes, des réactions des consommateurs et des ONG, constitue un autre défi, à quoi s'ajoute la faculté de contournement des engagements pris vis-à-vis desquels il ne faut pas être naïf. Tout cela nécessite un cadre de régulation qui ne court pas derrière des pratiques standard mais qui anticipe, qui encourage la démarche de progrès.

Enfin, le dernier défi, le plus important, est celui de la mobilisation ambitieuse de toutes les parties prenantes. De ce point de vue, la gouvernance des entreprises doit évoluer. Le dialogue avec les parties prenantes externes reste très frileux, même si l'on observe des innovations pour associer ONG ou collectivités territoriales, et le dialogue avec les salariés, par le biais de leurs représentants, porte au mieux sur des problématiques gérées séparément – négociations annuelles obligatoires et discussions plus ponctuelles – alors que la RSE pourrait en faire un élément de mise en cohérence.

À partir de cette analyse, nous avons organisé une vingtaine de propositions autour de quatre axes.

Premier axe : développer une culture de performance globale. Nous avons la conviction forte que la politique extra-financière doit être totalement incorporée aux stratégies et aux modèles d'affaires. C'est le modèle économique qui doit évoluer. Les centres de décision – conseils d'administration ou de surveillance, assemblées générales – doivent s'en saisir et les stratégies être débattues avec les parties prenantes, en particulier à travers un dialogue social à tous les échelons. De ce point de vue, la branche professionnelle peut être un niveau intéressant pour structurer le dialogue, car elle permettrait d'embarquer les PME dans la démarche. Au niveau mondial, les accords-cadres doivent être systématisés, avec des moyens pour en garantir l'effectivité. Pour développer cette culture, il faut former au développement durable et en faire une dimension transversale de l'enseignement, y compris dans le cadre de la formation continue des salariés, des managers comme des syndicalistes. La fonction achat, qui représente aujourd'hui plus de 50 % du chiffre d'affaires des entreprises, doit être plus alignée sur les démarches de performances extra-financières. On ne compte plus les controverses du fait de sous-traitants qui contreviennent aux droits de l'homme, aux normes internationales du travail ou qui mettent gravement en cause l'environnement des populations. C'est la relation mère-filiale, donneur d'ordres à sous-traitant qu'il faut faire évoluer.

Deuxième axe : assurer une mesure fiable et pertinente de la performance. Il nous a semblé utile de faire converger les différents rapports d'information et de stimuler, à terme, la construction d'un compte rendu plus intégré. La prolifération d'informations, on le sait, n'est pas gage d'efficacité. Nous avons suggéré d'adapter le contenu et le nombre d'indicateurs de performance à l'initiative des branches. Les indicateurs pertinents ne sont évidemment pas les mêmes dans la chimie ou dans la banque, par exemple. Par le dialogue, on pourrait identifier les problématiques prioritaires à travailler, et le faire à partir de questionnements dynamiques. Concernant la notation, dont nous avons dit clairement qu'elle sert le développement de la démarche, nous avons proposé d'expérimenter sa diffusion au-delà des investisseurs, qui sont aujourd'hui les commanditaires. Nous avons aussi souligné la nécessité d'un cadre européen. Un référentiel méthodologique servirait la crédibilité des organismes de notation, même s'il y a déjà l'expérience d'ARISTA.

Le troisième axe consiste à encourager l'investissement socialement responsable (ISR), dont la semaine dédiée approche. On sait que l'en-cours est réduit et que ce type d'investissement reste une démarche militante alors qu'il peut être un levier formidable. La multiplicité des approches et des référentiels n'aide pas les épargnants à s'y retrouver ; elle n'incite pas, non plus, les gestionnaires de fonds à des pratiques lisibles. La diffusion de l'investissement responsable nous semble passer d'abord par la promotion d'un label unique, ensuite par l'incitation des investisseurs à privilégier les produits de placement responsables en tenant compte des dimensions environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) dans l'octroi des crédits bancaires, enfin par l'orientation d'une part croissante de l'assurance-vie vers l'ISR qui conditionnerait le maintien des avantages fiscaux attachés – aujourd'hui très critiqués.

Le dernier axe est international. Les entreprises doivent appliquer systématiquement les principes directeurs de l'OCDE, qui créent de la norme sociale dans des pays qui en sont bien démunis, et renforcer les moyens des points de contact nationaux (PCN), notamment du nôtre. Parallèlement au soutien très actif de l'initiative de directive européenne sur le compte rendu, il convient de faire des initiatives françaises un plus pour la « Marque France » et de promouvoir énergiquement nos conceptions dans les instances de négociation internationales, au plan bilatéral comme multilatéral, notamment à l'OMC.

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