Je suis très honoré d'avoir été invité à participer à cette table ronde. Je ne suis que depuis peu secrétaire permanent de la plateforme RSE, organe permanent du Commissariat général à la prospective et à la stratégie, aussi vous en parlerai-je peu. Un de ses éminents représentants siège sur vos bancs, qui a plus de légitimité que moi pour en parler puisque la plateforme vit par ses membres, le secrétaire permanent n'agissant qu'en facilitateur. Ayant exercé cinq années la mission d'ambassadeur chargé de la responsabilité sociale des entreprises auprès du ministre des affaires étrangères, je me permettrai de réagir à l'une des questions posées en introduction par M. le président de la commission sur l'articulation entre les plans national et international, et sur la place de la France dans ce contexte. Ce sujet était, d'ailleurs, déjà en bonne place dans mon portefeuille lorsque j'étais, bien auparavant, ambassadeur chargé des droits de l'homme.
Depuis maintenant deux ans, la communauté internationale s'est mise d'accord sur une définition admise par l'ensemble des continents. C'est une grande nouveauté après un cheminement qui est passé d'abord par la norme ISO 26000, adoptée par quatre-vingt-dix pays et appliquée beaucoup plus largement depuis, ensuite par les principes de l'OCDE qui dépassent le cadre des pays membres, enfin, en juin 2011, par l'adoption à l'unanimité du Conseil des droits de l'homme des principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, très soutenus par la communauté des affaires, d'une part, et la communauté des ONG et des organisations syndicales, d'autre part. La définition de la Commission européenne du mois d'octobre 2011 se calque strictement sur ces documents.
Il faut retenir de cette définition que le mot « volontaire » en a été gommé, sur la considération que l'appréhension des objectifs de développement durable par les entreprises n'était que la mise en oeuvre des engagements internationaux pris depuis plus de vingt ans au sommet de Rio, et qu'il y avait une ardente obligation pour chacun de les respecter. Chaque État se devait d'imprimer une dynamique pour pousser les entreprises, qu'elle soit réglementaire ou qu'elle s'appuie sur d'autres moyens de stimulation.
La définition nouvelle souligne bien que les multinationales, en particulier dans certains secteurs, sont objectivement porteuses de risques au regard de ces objectifs de développement durable. C'est pourquoi elle se caractérise par une approche préventive très forte, avec le renvoi aux dispositifs législatifs de protection des consommateurs et des populations existant dans tous les pays. Le principe de précaution étant également entré dans le paysage, cette nouvelle définition considère que plus l'entreprise est puissante, plus elle doit mettre sa puissance au service de la vigilance sur l'ensemble de sa sphère d'influence. C'est là toute la question de la chaîne de production : le récent drame du Rana Plaza, au Bangladesh, a illustré que cette vigilance ne s'exerçait pas toujours.
La RSE pouvant être un élément favorisant la compétitivité des entreprises – y compris les PME –, l'approche proactive est intégrée dans la définition. La Commission européenne, considérant que la RSE relève d'un registre à la fois préventif et proactif, a jugé que les États devaient s'impliquer dans la stimulation du développement de ces pratiques par tous les moyens, y compris en combinant des prescriptions à d'autres formes d'encouragement.
La définition met également en avant le fait qu'une entreprise fait partie d'un écosystème : elle a besoin des ressources naturelles et des autorités locales qui lui délivrent des permis d'opérer ; elle a une relation forte avec les consommateurs, sa chaîne de production, tout ce qu'on appelle les parties prenantes. Les entreprises se soucient de plus en plus d'avoir un dialogue avec leurs parties prenantes ; beaucoup d'entre elles mettent en place des systèmes de communication dynamiques. Dans la communauté internationale, la façon dont les pays traitent cette question est significative de conceptions assez différentes. En Inde, immense pays sous-gouverné à l'administration faible et généralement considérée comme tout aussi corrompue que la justice, le Gouvernement a adopté une loi exigeant des entreprises dépassant un certain chiffre d'affaires de dédier 2 % de leurs profits à des dépenses de RSE. En regardant de près, on s'aperçoit que ces dépenses ne sont pas d'ordre philanthropique : elles ont vocation à pallier les carences de l'État en matière d'aménagement du territoire. Plus l'État est faible et moins il a développé ce que l'on considère en Europe comme ses missions de service public, plus son attente est forte d'une compensation de ses lacunes. En Chine, au Brésil, les politiques en matière de RSE sont assez différentes de celles que nous imaginons en raison de l'interprétation des parties prenantes prioritaires pour les entreprises. En Chine, Tata a fait l'expérience du coût de mauvaises relations avec les populations rurales, puisque l'entreprise a perdu énormément d'argent en se voyant contrainte de déplacer l'usine de la Micra devant la révolte des habitants. C'est dire si la relation avec la partie prenante avait été mal engagée.