Permettez-moi de vous renouveler les excuses de Mme Nicole Notat, qui aurait souhaité être parmi vous ce matin. Vigeo est une agence de notation sociale, qui évalue 1 800 entreprises du monde entier sur la base de critères extra-financiers au sens de la RSE qui a été posée par Mme Lydia Brovelli – à la fois sociaux, environnementaux, de gouvernance, de relation avec les clients et les sous-traitants, et autres.
Deux mouvements très forts expliquent que la RSE soit aujourd'hui une réalité économique incontournable dans le monde des entreprises. Le premier est une pression accrue des parties prenantes, dans un contexte de défi climatique partagé par l'ensemble de la planète. La société civile, les ONG, les gouvernements se mobilisent sur ces sujets, et les entreprises ne peuvent plus continuer à développer leurs activités sans s'en préoccuper. L'importance de la RSE est d'autant plus croissante que la mondialisation se développe et que, de ce fait, une entreprise est amenée à rendre des comptes sur ce qu'elle fait non seulement en France – pour une entreprise française – mais aussi sur l'ensemble de son territoire. La notion d'employeur responsable implique qu'un chef d'entreprise se préoccupe autant des effets de son activité sur ses collaborateurs en France que de son impact sur son territoire et sur l'ensemble de sa chaîne de sous-traitance. Cette responsabilité, globale et accrue, est renforcée dans le contexte de mondialisation où les parties prenantes sont nombreuses et peuvent interpeller les entreprises partout, sur de nombreux sujets et avec des moyens de plus en plus développés. Les réseaux sociaux viennent en premier à l'esprit, mais les organisations internationales comme l'OIT, l'OCDE et l'ONU, relayées par l'Europe et les États, contribuent à accroître la pression.
Le second mouvement qui empêche aujourd'hui les entreprises de se dédouaner, c'est la nécessité de faire évoluer les modèles économiques. Les entreprises exercent dans des écosystèmes avec des contextes réglementaires, des parties prenantes, des marchés mouvants, et il leur faut s'adapter en permanence. Pour savoir à quelles évolutions procéder, elles ont besoin de discuter avec leurs parties prenantes. Au regard des défis climatiques, le secteur de l'énergie est le premier concerné. Pour les producteurs d'eau, d'électricité ou de gaz, le modèle économique ne peut plus reposer sur la vente d'un maximum d'unités à un prix maximal ; il va devoir intégrer la raréfaction. Ce modèle va donc changer. Quand elles construiront des installations, on demandera aux entreprises non seulement d'amener de l'énergie, mais aussi de protéger la biodiversité des territoires, d'assurer l'accès à l'énergie pour tous et même pour ceux qui ne sont pas solvables. Elles vont être obligées de développer des activités qui ne figuraient pas dans leur coeur de métier originel, autour de la protection de l'environnement ou de l'accompagnement social.
Que ce soit dans une dimension de maîtrise des risques ou dans une démarche proactive consistant à faire évoluer les modèles économiques, les entreprises sont, de toute façon, engagées dans la RSE. Ce mouvement les oblige à prendre en compte les attentes de leurs parties prenantes, ce qui suppose de les identifier et de définir ce qu'est une attente légitime, car il ne s'agit pas de répondre à tout ce qui est demandé. Elles vont donc devoir dialoguer. C'est aussi un levier de démocratie que de rendre les dirigeants des organisations responsables de ce dialogue avec leurs parties prenantes. Elles vont également être beaucoup plus amenées à rendre compte de façon crédible, avec des éléments tangibles. La loi NRE de 2001, qui a créé une obligation de compte rendu pour toutes les entreprises cotées en France, a eu pour effet la publication de nombreux rapports. Dans un premier temps, il ne s'agissait que d'un agrégat de bonnes pratiques rassemblées dans un rapport de développement durable ou de sommes d'indicateurs délivrés en vrac, charge aux parties prenantes d'en tirer ce qu'elles pouvaient. Aujourd'hui, les informations doivent être crédibles et compréhensibles par les parties prenantes et les acteurs de la société. C'est d'ailleurs le métier des agences de notation sociale, notamment de Vigeo, non pas de produire des indicateurs, mais de récupérer toutes les informations émanant des entreprises et de leurs parties prenantes, de les croiser et de livrer une opinion. La somme des indicateurs ne fait pas une performance de responsabilité sociale, c'est l'interprétation de tous les éléments d'information.
Faut-il aller vers encore plus de réglementation ? Aujourd'hui, la RSE est une démarche volontaire, mais on voit bien que les contraintes économiques en ce sens sont très fortes. De grandes entreprises sont déjà bien avancées sur le sujet, la France même n'est pas en retard. L'incitation forte de 2001 a entraîné un mouvement qui donne aux entreprises françaises un temps d'avance sur leurs concurrentes, puisque l'Europe est en train de préparer cette obligation de compte rendu selon la logique complain or explain – soit vous rendez compte soit vous expliquez pourquoi vous ne le faites pas. Le mouvement est engagé : les sous-traitants sont amenés à rendre des comptes à leurs donneurs d'ordres ; la commande publique intègre ces sujets de responsabilité sociale parce qu'elle ne peut pas demander aux entreprises de faire ce qu'elle-même ne fait pas. Les incitations à rendre compte sont des leviers extrêmement importants qui permettent de mettre sur la table tous les éléments pour nourrir le dialogue entre les organisations et leurs parties prenantes.