Intervention de Françoise Quairel

Réunion du 9 octobre 2013 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Françoise Quairel, maître de conférences en sciences de gestion à l'Université Paris-Dauphine :

Je me propose de traiter quatre points, après avoir corrigé quelques confusions qui peuvent exister dans le discours des différents acteurs, entreprises ou acteurs publics. Selon qu'on a de la RSE une vision managériale ou orientée vers la société civile, on considère soit que la RSE est la contribution des entreprises au développement durable soit que le développement durable est la contribution à la compétitivité de l'entreprise. Même si des convergences peuvent exister, il faut tout de même savoir de quoi l'on parle. Clairement, dans les définitions internationales, il s'agit de la contribution des entreprises au développement durable – contribution qui signifie prise en compte dans les décisions et non pas prise en charge. On ne demande pas aux entreprises de réguler la planète, même si certaines le laissent entendre. On entend même, dans certains discours managériaux, parler de développement durable de l'entreprise, ce qui est quelque peu choquant.

La performance globale suppose une convergence entre les différents aspects de cette performance. Une telle convergence existe, on tend à la démontrer. Des centaines d'études cherchent à montrer la relation entre les performances économiques et financières, d'une part, et les performances sociales, d'autre part. Aucune n'arrive à trancher ni dans un sens ni dans l'autre, la seule conclusion réconfortante étant que ça ne détruit pas de valeur. Ce que l'on n'arrive pas à prouver s'apparente à la quête du Graal, ce qui peut peut-être contribuer à pousser l'idée de responsabilité sociale – mais ce n'est pas flagrant. Tous les arguments avancés – en termes de diminution de risques, d'anticipation de la loi, d'économie de matière et d'énergie, de réputation ou d'innovation – sont réels, mais ils ont des limites à la fois internes et externes. Sur le plan interne, l'entreprise n'est pas homogène, elle comprend différents acteurs auprès desquels les directeurs de développement durable doivent faire avancer des idées, parfois en bataillant contre les résistances au changement. Eux vont user de l'argument du développement durable comme facteur de compétitivité quand d'autres verront un changement de culture difficile à opérer et pas toujours valorisé dans le système d'évaluation interne de l'entreprise. En externe, la concurrence, qui peut être forte, joue en sens contraire. En 1992, par exemple, alors qu'elle perdait 8 000 euros par voiture vendue, Toyota a tout de même maintenu la Prius parce qu'elle pensait que ce produit changerait les habitudes des consommateurs automobilistes. C'est là l'illustration des tensions entre la concurrence, les décisions prises en interne et la pression qui s'exerce sur les dirigeants d'entreprises pour avoir des rentabilités et des retours sur investissement rapides. Beaucoup de directeurs d'usine subissent des injonctions incroyablement paradoxales, puisqu'on leur demande à la fois des rentabilités extraordinaires sur les capitaux investis tout en assurant des performances environnementales et sociales. C'est un vrai problème, et l'on ne peut pas parler de RSE sans envisager cette réalité.

Pour que la RSE constitue un avantage compétitif, il faut une demande. Or s'il y en a un peu pour la vertu, il y en a beaucoup plus pour les produits. Quant à l'exigence de comportement global responsable de la part des entreprises, beaucoup de progrès restent à faire : en matière d'incitations et de clarification des marchés, de création de labels permettant au consommateur de s'y retrouver, et de définition de critères indicatifs d'un comportement responsable dans les appels d'offres publics. En 1953, Bowen écrivait que les entreprises devaient être responsables pour qu'il n'y ait pas de régulation. L'intervention de Michel Doucin a bien montré qu'il y a toujours un mouvement de balancier entre ce qu'on demande aux entreprises et la force de l'État. C'est ainsi que le paternalisme a existé : parce qu'il n'y avait pas d'État-providence.

Les différentes demandes des parties prenantes peuvent être sources de tensions. Ainsi, on a sans arrêt des oppositions entre les performances économiques, en matière d'emploi par exemple, et les risques que feraient peser sur l'emploi certaines mesures environnementales. Tous ces éléments doivent être précisés pour rendre leur crédibilité aux entreprises qui, prises dans des injonctions paradoxales et des contradictions, vont rechercher des conformités apparentes sans pouvoir faire face sur tous les aspects, dont certains sont complexes, de la responsabilité sociale. Sans cela, on ne pourra pas avancer.

Dans ces conditions et dans le contexte international, plutôt que des mesures coercitives, mieux vaudrait privilégier des mesures incitatrices en direction des consommateurs comme des entreprises à travers l'aide à l'investissement, le dialogue et le compte rendu. À propos de dialogue, je signale qu'en 2011, un cavalier législatif de M. Marini a supprimé la consultation des institutions représentatives du personnel et des parties prenantes, qui existait dans la première version de la loi de 2010 sur le compte rendu. Si la transparence et la mesure de performance sont des éléments importants pour faire avancer la responsabilité sociale des entreprises, ce point devrait sans doute être corrigé.

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