Après le refus du complexe unique, il a fallu gérer la situation d'Amiens-Nord. Nous sommes en 2008 : c'est le début de la crise financière, à laquelle s'ajoute la crise économique de 2009. Un projet de PSE est introduit en mai 2009, qui prévoit l'arrêt de l'activité tourisme, devenu économiquement non viable à la suite du rejet du projet de complexe unique. Nous annonçons également notre décision de céder l'activité agraire, le groupe la jugeant non prioritaire puisque non rentable. Je tiens à insister sur le fait que, contrairement à ce qui a été dit, en mai 2009, Goodyear n'a jamais eu l'intention de fermer l'usine d'Amiens-Nord. Au contraire, nous souhaitions rechercher le meilleur repreneur possible pour l'activité agricole, en vue de sauver un maximum d'emplois et de maintenir une activité de production de pneumatiques agraires dans l'usine.
L'effort que nous avons engagé à partir de 2009 était comparable à celui que certains de nos grands concurrents comme Pirelli ou Continental avaient consenti précédemment. Il était également lié à la nécessité de se recentrer sur les coeurs de métiers de Goodyear que sont les pneumatiques tourisme et poids lourds. Nous avions déjà cédé à Titan ces activités en Amérique du Nord, puis en Amérique du Sud. Pour l'Europe, nous avons confié le dossier, en mai 2009, à une banque d'affaires très connue, qui a recherché à travers la planète entière un éventuel repreneur. Seul Titan fut en mesure de se porter acquéreur. Je tiens à préciser qu'en 2013, nous avons travaillé durant plusieurs mois avec l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII), mandatée par le ministère du redressement productif : or l'AFII parviendra à des conclusions similaires à celles de l'étude que nous avions réalisée en 2009. Titan s'est porté acquéreur en 2010 : il était dès lors critique que nous arrivions à une solution car la réussite ou l'échec du plan d'acceptation de la poursuite de l'activité agricole à Amiens-Nord dépendait de l'acceptation de ce plan par les instances représentatives du personnel. Ce n'est qu'après trois tentatives que le syndicat représentatif majoritaire d'Amiens-Nord a accepté de ne pas s'opposer physiquement à ce que des représentants de l'acquéreur potentiel visitent l'usine. Toutefois, son intention de faire une offre à peine annoncée, Titan s'est vue poursuivre devant la justice en demande de dommages et intérêts pour 4 millions d'euros. Enfin, les exigences formulées par l'organisation syndicale majoritaire dans les négociations auront été déraisonnables et changeantes jusqu'au bout, en passant notamment, alors que l'accord était prêt, à une condition de garantie d'emploi de sept ans pour l'ensemble des 537 salariés – une exigence irréaliste et vouant à l'échec n'importe quelle négociation. Titan renoncera en 2012. On peut critiquer Titan, notamment sa culture, marquée par un esprit d'entreprenariat américain, mais c'est un partenaire crédible, auquel nous avons déjà cédé des activités en Amérique du Nord et en Amérique du Sud et qui a procédé aux investissements qu'il s'était engagé à réaliser. La production a également augmenté sur ses sites. Cet acquéreur potentiel, très patient – il aurait pu en effet se décourager plus vite –, aurait installé à Amiens-Nord sa direction européenne.
L'offre de Titan portant sur l'activité agricole, il nous fallait trouver une solution relative à l'activité tourisme. Au début de l'année 2012, afin de parvenir à un accord satisfaisant pour l'ensemble des intervenants, c'est-à-dire gagnant-gagnant pour les salariés, les organisations syndicales, les autorités publiques, Goodyear et Titan, a germé l'idée d'un plan de départs volontaires (PDV), pour donner la possibilité à ceux qui le voudraient d'être transférés chez Titan et à ceux qui souhaiteraient quitter l'entreprise – et ils étaient nombreux entre les seniors et ceux qui avaient un projet spécifique – de pouvoir le faire dans de bonnes conditions. Au vu de son importance, je me suis personnellement impliqué dans cette négociation, sentant à l'époque qu'une solution était toute proche si chacun y mettait du sien.
Après six mois de négociations et plus de vingt réunions de travail, la CGT d'Amiens-Nord crie victoire sur le parking de l'usine le 6 juin, à savoir cinq jours avant le premier tour des élections législatives auxquelles son leader était candidat. Curieusement, quelques semaines plus tard, après les élections législatives, alors qu'on négociait en septembre les virgules de l'accord – j'ai la preuve de ce que j'avance : les documents de juin et de septembre sont identiques à quelques virgules près –, nous nous heurtons tout à coup à une volte-face incompréhensible de la part de l'organisation syndicale majoritaire à Amiens-Nord pour deux raisons que vous connaissez : le passage de deux à sept ans des garanties données par Titan en matière de maintien de l'emploi et l'accusation selon laquelle le PDV serait devenu un PSE déguisé. Le PDV était dès lors condamné. Était-ce une stratégie délibérée ? Avons-nous été manipulés par des négociateurs qui savaient dès le départ qu'ils ne signeraient sans doute jamais ? Nous ne le saurons pas. Je ressens encore aujourd'hui cet échec avec amertume. D'un côté Goodyear voulait et pouvait sauver des centaines d'emplois ; de l'autre, une organisation syndicale a refusé un accord pourtant exemplaire et qu'elle avait elle-même salué comme une victoire peu de temps auparavant. C'est un vrai gâchis. Tout le monde pouvait sortir par le haut et gagner : c'est finalement un échec absurde pour des centaines de salariés.
Nous avons dû annoncer la fermeture d'Amiens-Nord le 31 janvier 2013 après plus de six ans de tentatives pour sauver le site, tentatives qui se sont traduites par un projet d'investissements, la recherche de repreneurs identifiés, un PDV ambitieux, des médiations judiciaires ou avec des représentants de l'État. Durant toutes ces années, le groupe a accepté de continuer d'accumuler des pertes colossales – le site perd 60 millions d'euros par an –, parce qu'il croyait une solution possible. Malheureusement, il n'y avait plus d'autre choix, le 31 janvier, que d'annoncer le projet de fermeture de l'usine. Le projet de PSE vous a été présenté la semaine dernière par M. Laurent Dussuchale.
L'organisation syndicale majoritaire à Amiens-Nord a judiciarisé à l'extrême le projet de fermeture. Goodyear a été assigné à dix reprises depuis le mois de juin. Sur septembre et octobre, nous irons ainsi dix fois au tribunal. Voici les décisions récentes : le tribunal de grande instance de Nanterre a refusé le 20 juin dernier la demande de suspension de la procédure d'information-consultation, le TGI de Lyon a sommé l'expert des CHSCT de remettre ses rapports en l'état et hier, 24 septembre, le TGI de Nanterre n'a retenu ni les accusations de transfert d'activités, ni les accusations de rupture frauduleuse de contrat de travail, ni celles d'insuffisance des mesures du plan, ni celles d'absence de recherche de reclassement.
Il convient désormais de nous intéresser à l'avenir. Il est essentiel de trouver, tous ensemble, une solution. Les objectifs doivent être communs puisqu'il s'agit du reclassement des salariés et de la revitalisation du site. Nous n'y parviendrons, je le répète, qu'en y travaillant ensemble. Vous pardonnerez ma franchise : nous avons tous beaucoup de progrès à accomplir. Autant je tiens à saluer l'engagement du Gouvernement et des services déconcentrés de l'État, qui s'est traduit par une coopération étroite avec le ministère du travail et de l'emploi et celui du redressement productif ainsi qu'avec les préfets qui se sont succédé à Amiens et la DIRECCTE, autant il me faut constater que nous n'avons pas pu convaincre pour l'instant la plupart des élus locaux de s'intéresser de suffisamment près à la situation réelle d'Amiens-Nord, alors que nous avons publiquement indiqué depuis janvier 2013 que nous sommes à la disposition de tous les acteurs locaux pour présenter le détail des plans.
Nous voulions créer à Amiens un complexe industriel durable, dont la ville aurait été fière et dont l'économie du grand Amiénois aurait largement bénéficié. Nous n'avons jamais eu pour objectif de fermer l'usine d'Amiens-Nord. Ce sont les choix successifs du syndicat majoritaire à Amiens-Nord qui nous ont irrémédiablement contraints à présenter un projet de fermeture du site.
Mesdames et messieurs les députés, en toute transparence et en toute sincérité, le souhait ardent que nous formulons aujourd'hui est que les travaux de votre commission permettent d'éviter la répétition, à l'avenir, d'un tel gâchis en France.