Intervention de Bernard Cazeneuve

Séance en hémicycle du 15 octobre 2013 à 15h00
Loi de finances pour 2014 — Présentation

Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les députés, je veux tout d’abord remercier le président de la commission des finances, le rapporteur général et l’ensemble des parlementaires pour leur implication depuis plusieurs semaines dans la préparation de ce débat. Il s’agit d’un moment particulier dans l’agenda parlementaire, qui est l’occasion de débattre ensemble des grandes orientations budgétaires. Il sera l’occasion pour la majorité d’exprimer ses interrogations légitimes et ses attentes, en présentant des amendements qui seront autant d’occasions de débats, et – espérons-le – de soutenir le texte présenté par le Gouvernement. Cette discussion parlementaire sera aussi l’occasion pour l’opposition de faire part de ses doutes, voire de ses inquiétudes : nous y répondrons avec toute la rigueur qu’appelle un débat sur les questions budgétaires.

Le 28 décembre 1958, alors qu’il était depuis quelques mois à peine en situation de responsabilité, le général de Gaulle prononçait un discours sur l’état du pays et de nos institutions, et évoquait plus particulièrement la question de nos comptes et la nécessité de les redresser.

Je veux citer très précisément ce qu’il disait ce jour-là : « Sans l’effort de remise en ordre, avec les sacrifices qu’il requiert et les espoirs qu’il comporte, nous resterons un pays à la traîne, oscillant perpétuellement entre le drame et la médiocrité. Au contraire, si nous réussissons la grande entreprise nationale de redressement financier et économique, quelle étape sur la route qui nous mène vers les sommets ! ».

C’était en 1958, à une période différente de celle que nous connaissons aujourd’hui mais, malgré tout, en quelques points semblable à celle-ci. Semblable, parce que le général de Gaulle était en effet chargé de redresser des institutions qui s’étaient abaissées dans le système funeste des partis. Semblable, parce que l’incapacité des gouvernants de la IVe République à prendre les bonnes décisions au bon moment avait entraîné la dégradation de nos comptes publics et conduisait le général de Gaulle, à travers le propos que je viens d’évoquer, à souhaiter les redresser rapidement. Semblable, parce qu’il y avait des troubles, un tumulte, des formations politiques et des forces – je le dis bien volontiers, dans un contexte différent – qui prétendaient s’attaquer aux valeurs de la République et à ses fondements. Il fallait à ce moment-là articuler la démarche de redressement des institutions, la volonté de donner des perspectives à la République et la nécessité de rétablir les comptes du pays.

Nous avons aujourd’hui la même volonté de faire en sorte que le redressement de notre pays soit total. Pour qu’il en soit ainsi, le débat que nous aurons à l’occasion de la discussion du projet de loi de finances doit nous conduire à convoquer trois exigences ; je commencerai mon propos par cela.

La première est l’exigence de vérité. Lors des semaines qui ont précédé ce débat, les approximations, les polémiques et les antagonismes, parfois destinés à dissimuler des réalités ou des bilans, ont envahi la totalité de l’espace public. Parce que la question budgétaire est sérieuse, qu’elle touche à celle du redressement et que nous souhaitons l’aborder avec la plus grande rigueur en essayant d’éviter les polémiques inutiles, il est souhaitable dans cette enceinte de reléguer celles-ci et les postures qui les accompagnent au second plan pour nous en tenir ensemble à une seule et unique chose : la rigueur des chiffres et des faits, la froideur, parfois, des statistiques, qui permettent en effet de regarder les situations telles qu’elles nous ont été laissées et les efforts que nous avons accomplis à l’aune des premiers résultats que nous engrangeons, et de construire ensemble la suite que nous souhaitons donner à notre action. Car tel est bien l’objectif d’une loi de finances.

La vérité doit nous conduire aussi à répondre à toutes les questions, qu’elles aient été énoncées sur les bancs de la majorité ou sur ceux de l’opposition, car aucune ne doit être évacuée, chacune doit être abordée de front. De la réponse que nous apportons à ces questions dépend en effet la crédibilité de la parole publique et du chemin sur lequel nous sommes engagés. Nous devons regarder en face la question de la réforme fiscale, qui doit se poursuivre ; regarder en face celle du pouvoir d’achat des ménages, que nous devons défendre au travers de ce projet de loi de finances ; regarder en face, enfin, celle du niveau des prélèvements obligatoires, pour savoir si nous devons les convoquer à la hauteur du passé afin de rééquilibrer nos comptes publics et d’ajuster nos budgets. Il n’y a pas de sujet qui puisse être occulté à l’occasion d’un débat comme celui auquel nous participons ensemble et toutes les questions que nous devons traiter doivent l’être avec une exigence et une seule : celle de la vérité et de la rigueur.

La deuxième exigence sur laquelle je souhaitais insister en introduction est celle de la cohérence, qui est une nécessité absolue. Il ne suffit pas de convoquer la vérité pour s’assurer de la qualité du débat budgétaire. Il faut aussi donner à ce débat une cohérence, ainsi que l’a dit le ministre des finances dans son propos, l’inscrire dans le temps.

Cette cohérence se résume en trois objectifs : tout d’abord, poursuivre le redressement de nos comptes publics, sans lequel il n’y a pas de croissance ; ensuite, faire en sorte que la croissance rende possible le redressement de nos comptes publics, car s’il n’y a pas de croissance, le redressement des comptes sera plus long et plus douloureux ; enfin, faire en sorte que le redressement de nos comptes et le retour de la croissance permettent d’inverser durablement la courbe du chômage. Le pays nous envoie en effet des signaux : la désespérance a duré trop longtemps, le chômage a ruiné des existences, il a privé des Françaises et des Français d’une perspective et d’un espoir ; il nous faut trouver par les décisions que nous prenons le moyen de mettre un terme à cette impatience, à ces attentes, à ces souffrances accumulées.

Enfin, il est indispensable, par-delà les exigences de vérité et de cohérence qui président à l’élaboration de ce budget et à sa présentation devant vous, que nous soyons aussi en mesure de témoigner d’une vision. Un budget n’est pas seulement, année après année, conformément au principe de l’annualité budgétaire, le moyen d’équilibrer des comptes. Il convient d’expliquer, au travers de l’exercice budgétaire, le choix des priorités qui sont affichées et qui dessinent la France que nous voulons. Il faut une vision, une vision qui donne envie, qui soit capable, sur ces bancs, de rassembler le plus grand nombre et qui donne un sens à notre action.

Puisque nous évoquons les questions budgétaires, je voudrais évoquer certains des éléments autour desquels s’articule la vision dont procède ce projet de loi de finances – c’est d’ailleurs celle qui a inspiré le précédent et qui présidera aux suivants tout au long du quinquennat – et qui donne un sens à l’action que nous menons tous ensemble.

Premièrement, nous sommes dans un pays qui connaît depuis longtemps une crise, laquelle conduit les Français à s’interroger et à redouter, parce que la crise attaque parfois l’essentiel, que ce à quoi ils tiennent le plus se trouve remis en cause ; je pense au service public et à la protection sociale, qui constituent le patrimoine de ceux qui, dans notre pays, n’en ont pas.

Le ministre de l’économie et des finances et le ministre du budget ne sont pas uniquement les ministres qui se chargent, pour équilibrer les comptes du pays, de prélever sur le patrimoine de ceux qui en ont un ; il est normal que ceux qui détiennent un patrimoine significatif soient appelés à contribuer davantage que les autres. Le ministre de l’économie et des finances et le ministre du budget ne sont pas simplement des ministres qui se chargent de mettre en oeuvre une politique fiscale favorable à la croissance ou d’assurer le caractère redistributif de l’impôt, même si tout cela, j’y reviendrai, est essentiel et fondamental pour donner un sens à l’action. Ce sont aussi des ministres qui s’emploient à faire en sorte que ce qui fait l’identité de la France, c’est-à-dire notre système de protection sociale, qu’il faut chaque jour réinventer, et nos services publics, qui permettent de maintenir un lien de solidarité au coeur de la crise, soient pérennisés pour longtemps parce qu’ils sont consubstantiels à la République.

Assurer la pérennisation du modèle social français, le réinventer à chaque instant, faire en sorte qu’il soit plus fort parce que nous aurons créé les conditions de la durabilité de son financement, c’est une exigence pour tous ceux qui sont investis de la responsabilité publique dans un contexte où la crise frappe, rend vulnérable et expose ceux qui sont les plus fragiles au risque de se retrouver seul face à l’épreuve.

Il est par ailleurs nécessaire, si l’on tient aux services publics et à la protection sociale, de faire en sorte que jamais la mauvaise dépense ne chasse la bonne, c’est-à-dire que chaque euro alloué à ce qui constitue l’architecture, l’infrastructure, le creuset de notre modèle républicain soit un euro utile. Nous refusons que le système de protection sociale et les services publics se trouvent fragilisés par une conception simpliste qui consisterait à croire que pour défendre les services publics il suffit de reproduire chaque année les mêmes budgets avec une légère augmentation, comme si le niveau de la dépense publique suffisait à lui seul à garantir l’efficacité et la pérennité de notre système.

Si le ministre de l’économie et des finances et moi-même souhaitons à la fois faire des économies en dépenses et privilégier ce moyen pour assurer l’équilibre de nos budgets dans un contexte où il a beaucoup été fait appel aux prélèvements obligatoires, c’est précisément parce que nous ne voulons pas que la mauvaise dépense chasse la bonne et que nous considérons que cette exigence est la garantie de la pérennisation du modèle social français.

Notre objectif est de faire en sorte que le patrimoine de ceux qui n’en ont pas soit préservé, que la mauvaise dépense ne chasse pas la bonne, c’est-à-dire que les économies en dépenses soient privilégiées dans l’ajustement de nos budgets et qu’un euro dépensé soit un euro utile, et enfin que l’impôt et le consentement à l’impôt soient bien revendiqués comme une exigence républicaine.

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