Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous commençons l’examen du projet de budget pour 2014, qui est marqué par une double contrainte : une première, externe, imposée par les traités européens, qui consiste en une réduction des déficits : une deuxième, interne – que vous avez choisie, seuls –, qui consiste à alléger massivement l’imposition des entreprises.
Cette double contrainte a des traductions très concrètes.
Il s’agit tout d’abord de 15 milliards d’économies budgétaires. Jamais un budget n’a porté un tel effort de réduction des dépenses publiques. Et pourtant, c’est un choix difficile à soutenir à l’heure où de plus en plus d’institutions remettent en cause les politiques d’austérité, à l’heure où même le FMI s’est prononcé pour que la France ralentisse le « rythme de l’ajustement ». S’y ajoutent 17 milliards de baisses de l’impôt sur les sociétés, au-delà même des 10 milliards du crédit d’impôt pour la compétitivité. Là encore, jamais, il me semble, un budget n’avait diminué dans de telles proportions l’impôt sur les sociétés.
Comment, dès lors, dans le cadre aussi contraint que vous avez dessiné, trouver une place pour la politique d’investissements dont notre pays a besoin ? Cette politique est nécessaire, d’abord, pour préparer notre pays aux défis environnementaux, car comme l’a dit le président de cette assemblée, à qui je rends hommage pour sa clairvoyance, « nous pouvons vivre avec 4 % de déficit, pas forcément avec 4 degrés de plus ». Notre pays en a également besoin pour créer des emplois. Tout est lié, comme chaque nouvelle étude le prouve : nous pouvons espérer de très importantes créations d’emplois si l’on réoriente notre économie vers la transition énergétique. La plus récente étude, celle de l’ADEME – vous la connaissez – démontre que la mise en oeuvre de la transition énergétique représenterait 330 000 emplois à l’horizon 2030. Pourquoi, dès lors, reporter encore des investissements aussi utiles que nécessaires ?
Nous ne sommes pas des adeptes du toujours plus de dépenses publiques, nous sommes conscients des contraintes, mais aussi des opportunités. Nous pensons qu’en cette période de crise globale, tant économique qu’écologique, il est indispensable d’investir dès maintenant pour redonner du pouvoir d’achat aux ménages et pour transformer nos modes de production et de consommation. Dès lors, il est nécessaire de dégager des marges de manoeuvre pour investir dans la transition énergétique. Et c’est ce que nous vous proposerons au travers de plusieurs amendements.
Ces amendements concernent essentiellement les entreprises, car elles ont été étonnamment épargnées dans l’effort collectif. Pour nous, le constat est sans appel : le partage de l’effort n’est pas équitable. Le financement du crédit d’impôt compétitivité-emploi par la TVA , la compensation pour les entreprises de l’augmentation des cotisations patronales pour le financement des retraites montrent que, dans ce budget, il y a deux poids, deux mesures.
Si, dans le contexte économique actuel, il peut sembler légitime de préserver les PME, cela ne peut justifier d’exonérer toutes les entreprises de l’effort collectif, y compris les plus grandes et celles qui réalisent des bénéfices importants. Ainsi, nous proposons plusieurs mesures dans le but de mieux faire contribuer les entreprises au budget de l’État.
En premier lieu, nous avons déposé des amendements permettant un recentrage du crédit d’impôt recherche sur les PME, avec, en particulier, une consolidation des sommes dédiées à la recherche, au niveau des groupes.
Aujourd’hui, l’effet d’aubaine du crédit d’impôt recherche, sa captation par les groupes du CAC40, qui touchent 1 milliard d’euros – 20 % des sommes distribuées –, son utilisation comme instrument d’optimisation fiscale, sont avérés.
Le rapport de la Cour des comptes de septembre 2013 est clair, et l’on peut dès lors s’étonner qu’aucune suite ne lui soit donnée et que l’on maintienne une sorte de sacralisation de ce crédit d’impôt recherche, au point que même la question du recouvrement du crédit d’impôt recherche et du crédit d’impôt compétitivité ne soit pas traitée : on décide ainsi de ne rien faire, alors que les dépenses de personnel de recherche ouvrent droit, de ce fait, à un double crédit d’impôt !
Deuxièmement, nous proposons une augmentation de la contribution sur les dividendes de 3 à 5 % pour l’affecter au financement des retraites. Cette contribution a le double avantage, d’une part, de préserver les PME puisqu’elle ne concerne que les entreprises de plus de 250 salariés et, d’autre part, d’avoir un rendement significatif, puisqu’il pourrait atteindre 1,6 milliard d’euros en 2013 au taux actuel.
Troisièmement, nous avons présenté un amendement pour mieux faire contribuer les sociétés concessionnaires d’autoroutes au budget national. Il nous semble en effet incompréhensible que celles-ci soient en quelque sorte protégées et qu’on leur maintienne des avantages dont ne bénéficient pas les autres entreprises, comme l’entière déductibilité de leurs charges financières du résultat imposable – une exception qui a malheureusement été votée l’année dernière.
Cela est d’autant plus incompréhensible que ces sociétés font des bénéfices très substantiels, comme le souligne le rapport de la Cour des comptes du 24 juillet 2013. Le bénéfice net cumulé de ces sociétés est en effet passé de 1,7 milliard en 2010 à 2,1 milliards en 2012, soit plus de 25 % d’augmentation en deux ans ! Il nous semble donc normal qu’elles participent à la solidarité nationale, ni plus et, surtout, ni moins que les autres sociétés.
Par ailleurs, nous proposons de faire participer les plus aisés à la solidarité nationale, en les faisant contribuer au niveau où ils le faisaient pendant la première moitié du quinquennat Sarkozy, avant la réforme de l’ISF de 2011. La gauche est revenue sur cette réforme en juillet 2012 avec la contribution exceptionnelle sur la fortune.
Cependant, deux points n’ont pas été corrigés : il s’agit tout d’abord du seuil de patrimoine à partir duquel un contribuable est redevable de l’ISF. Ce seuil est resté à 1 300 000 euros, alors qu’il était de 800 000 euros jusqu’en 2011. En outre, lors de la réforme de l’ISF menée lors du PLF pour 2013, vous avez reculé sur le barème : pour ne prendre qu’un exemple, le taux de la tranche marginale de l’ISF a été ramené à 1,5 %, alors que ce taux était de 1,8 % jusqu’en 2011, ainsi qu’en 2012 avec la contribution exceptionnelle sur la fortune. Nous proposons donc simplement de revenir au barème et au seuil d’entrée en vigueur jusqu’en 2011.
Enfin, si nous sommes satisfaits de constater la concrétisation dans ce budget de l’introduction d’une assiette carbone sur la consommation de produits énergétiques, qui permettra de favoriser les véhicules sobres en énergie, nous ne pouvons nous résoudre à voir cette revendication ancienne des écologistes se transformer en fiscalité en quelques sorte punitive. Pour nous, la contribution climat énergie ne se concevait pas sans compensation sociale pour les plus modestes, ni sans mesure d’accompagnement pour aider les ménages à acquérir des équipements moins énergivores. La fiscalité écologique n’est pas là pour punir de consommer de l’énergie, mais pour accompagner vers des comportements plus sobres.
Si nous cherchons des marges de manoeuvre, ce n’est pas par dogmatisme, mais bien parce que nous pensons qu’il est urgent d’investir, urgent de redonner un projet à la France ; parce que c’est là la seule solution pour redonner du pouvoir d’achat aux Français, et en particulier aux plus modestes d’entre eux ; parce que surtout c’est la seule solution pour créer de l’activité et de l’emploi.
Nous avons entendu, nous écologistes, beaucoup de discours sur la transition écologique, mais nous attendons des actes. La transition écologique n’est pas un concept. Si je devais la résumer, elle consiste en cinq priorités concrètes : le plan de rénovation thermique, les transports collectifs, les énergies renouvelables, la conversion agricole et la protection de la biodiversité.
Sur la rénovation thermique, nous considérons que, compte tenu du redéploiement des crédits d’investissements d’avenir sur deux ans, de la création du guichet unique et surtout de la baisse de la TVA sur la rénovation thermique à 5 %, des actes forts ont été réalisés.
Mais en matière de transports collectifs, alors même que le prix des carburants est de plus en plus élevé et qu’il est donc urgent de pouvoir proposer aux Français de réelles alternatives au « tout automobile », que propose ce budget 2014 ? Un manque à gagner de 260 millions d’euros sur l’écotaxe poids lourd, qui ne sera pas compensé sur le budget des transports, et surtout une augmentation de la TVA sur les transports en commun, qui va passer de 7 % à 10 % ! Vous le savez, monsieur le ministre, près d’un citoyen sur cinq sera directement pénalisé par cette mesure, lorsqu’il emprunte quotidiennement les transports collectifs.
Quant aux énergies renouvelables, à la transition agricole, à la biodiversité, elles devront visiblement attendre encore. Vous le savez, monsieur le ministre, le report de la loi sur la transition énergétique nous inquiète. Cette loi est urgente, comme l’adoption de mesures contre l’artificialisation des sols ou encore la mise en place de l’Agence nationale sur la biodiversité. Aucune mesure d’envergure n’est prévue sur ces sujets dans ce budget 2014.
Enfin, le budget étant la traduction des priorités du Gouvernement, nous ne pouvons nous satisfaire de l’évolution des crédits de la mission « Écologie », socle de l’action du ministère du même nom : 500 millions d’euros de baisse par rapport à 2013, soit 6,5 % de repli hors investissements d’avenir ! Ce recul montre que l’écologie n’est malheureusement pas encore entrée au coeur des orientations du Gouvernement, et n’épargne pas même l’ADEME.
Voilà seize mois que nous avons été élus, monsieur le ministre. Et je ne vous cache pas qu’il n’est pas facile d’entendre au quotidien nos électeurs nous demander pourquoi les écologistes font partie d’un gouvernement qui fait si peu d’écologie,…