Intervention de Jean-Paul Chanteguet

Séance en hémicycle du 16 octobre 2013 à 15h00
Loi de finances pour 2014 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Chanteguet :

La mise en place dans le projet de loi de finances d’une assiette carbone permettant de taxer toutes les énergies fossiles constitue au premier regard un progrès vers une fiscalité plus adaptée à la raréfaction et à la pollution des ressources ; c’est aussi une véritable avancée dans la voie d’un modèle de développement qui prenne en compte le changement climatique. C’est enfin le début de la prise de conscience politique nous conduisant à changer d’état d’esprit pour appréhender notre futur.

En décidant la montée en puissance de la taxe de manière claire, prévisible et progressive, la puissance publique adresse le bon signal à la fois aux consommateurs et aux producteurs. Celui de la nécessité absolue de diminuer nos émissions de gaz à effet de serre. La France y est obligée par ses engagements européens – moins 20 % d’ici à 2020 – mais aussi par sa propre ambition, répétée par le Président de la République lors de la conférence environnementale.

François Hollande souhaite en effet parvenir, lors du sommet mondial sur le climat que la France organisera à Paris en 2015, à un pacte international qui permette de limiter le scénario catastrophe confirmé par les experts du GIEC en cette fin septembre. Nous le savons, si des mesures fondamentales ne sont pas prises, la terre pourrait se réchauffer de plus de quatre degrés d’ici la fin du siècle, le niveau des mers s’élèverait et les événements météorologiques extrêmes se multiplieraient. Autant de phénomènes qui rendraient inhabitables de nombreuses terres, changeraient en profondeur les écosystèmes et provoqueraient des mouvements de population incontrôlables.

Cette évocation ne relève pas de la science-fiction, mais bien d’une réalité qui a commencé à produire ses effets et dont nous devons limiter les conséquences, faute de quoi nos enfants nous accuseront d’avoir su et de n’avoir rien fait.

Pour y parvenir, il est essentiel de réaliser à quel point notre modèle économique est fondé, depuis les débuts de l’ère industrielle, sur une consommation et une dégradation des ressources naturelles, auxquelles nous n’avons donné aucun prix, car elles nous semblaient inépuisables. Mais notre usage sans limites, couplé à l’émergence sur la scène économique d’une moitié de l’humanité désireuse d’accéder au même confort que le nôtre, est sans appel. Si le prix des matières premières a été divisé par deux au XXe siècle, il a, au contraire, été multiplié par plus de deux entre 2000 et 2010. Nous dépensons toujours davantage pour accéder à des ressources de plus en plus difficiles ou dangereuses à extraire, qu’il s’agisse du pétrole, du gaz, des minerais ou des richesses halieutiques. Dévoreur de matières premières et de ressources naturelles, notre mode de production et de consommation détériore également l’eau, l’air, les sols, les mers par de nombreuses pollutions, tout en générant un gaspillage insensé, qui pollue à son tour, via les déchets, l’environnement, provoque l’érosion de la biodiversité et l’explosion des maladies environnementales. C’est cet enchaînement pervers qu’il faut remplacer par un cercle vertueux.

Ce nouveau modèle de développement existe. À nous de le porter. À nous de mettre les moyens de recherche dans les énergies renouvelables, le stockage de l’énergie, les bâtiments à basse consommation, les transports doux, l’agro-écologie, au lieu d’exploiter les gaz de schiste, de subventionner les énergies fossiles et l’artificialisation des sols.

L’économie sociale et solidaire, l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité ont déjà fait leurs preuves partout où elles se sont développées.

Ce nouveau modèle n’est pas une menace, il ne réduit pas notre confort, il ne nous renvoie pas vers le passé, il ne nous punit pas de nos erreurs. Il nous projette au contraire vers un avenir durable, nous promet des métiers nouveaux, nous assure un environnement préservé pour nous-mêmes et les générations futures.

Plusieurs États, l’Allemagne, la Suède, le Danemark notamment, l’ont expérimenté. La fiscalité constitue l’un des moyens de réorienter notre modèle en tarifant à leur juste prix les usages des ressources naturelles et les atteintes qu’elles subissent.

Le changement climatique est la menace la plus identifiée. C’est pourquoi la contribution « climat énergie » devra, comme annoncé, monter en puissance à partir de 2015. Son produit devra aider les ménages précaires et les entreprises soumises à la concurrence internationale à accepter et à effectuer la transition. Les redistributions pourront prendre plusieurs formes : allocations forfaitaires, crédits ou baisses d’impôt, voire aides à l’investissement. Nous devrons notamment renoncer plus rapidement à favoriser le diesel et retirer du parc automobile les véhicules les plus polluants. Classé cancérigène par l’OMS, ce carburant contribue largement à la pollution de l’air qui provoque quarante-deux mille décès prématurés par an, et coûte à notre collectivité entre 20 et 30 milliards d’euros par an. Rien ne justifie l’actuel écart de taxation entre l’essence et le diesel, et la norme européenne « Euro 6 » va encore renchérir, à partir de septembre 2014, cette motorisation, en lui imposant d’éliminer les oxydes d’azote. Les Français ont d’ailleurs d’ores et déjà anticipé cette évolution : au cours des neuf premiers mois de 2013, la part des véhicules diesel achetés en France a diminué de 20 %. Il serait donc paradoxal que la puissance publique ne suive pas ce choix citoyen.

Je l’ai dit, le changement climatique, via les émissions de gaz à effet de serre, constitue la menace la plus médiatisée et est donc connue du grand public. Mais l’érosion de la biodiversité, conséquence elle aussi de notre modèle, devra être combattue par l’outil de la fiscalité. Des mesures pourraient porter sur la ressource en eau, sur les pollutions de l’air et de la terre via les produits phytosanitaires, sur les déchets et sur l’artificialisation des sols.

Mesdames et messieurs, la fiscalité écologique n’est pas une fin en soi ; elle est un moyen de mettre en oeuvre la transition et d’assurer ainsi pleinement notre responsabilité politique, qui est de ne pas sacrifier l’exigence du long terme à l’urgence du court terme.

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