Je dirais même que Thiers a inventé deux produits : le sommelier et les couverts.
Je dépose donc en 1993 la marque Laguiole, que je développe pour des stylos et d'autres produits. Je lance également des fabrications de couteaux à Thiers. Préalablement au dépôt de la marque, je procède à des recherches d'antériorité auprès de l'INPI. Je découvre alors qu'il existe plus de 110 marques de couteaux, dont bien peu de déposants sont situés dans le ressort de la commune de Laguiole ; il n'existe en revanche aucune marque déposée dans d'autres classes de produits que la classe 8.
Ma démarche n'a jamais été inspirée par la volonté de prendre le nom d'un village français, mais, plus prosaïquement, par celle d'évoquer le nom d'un couteau dépourvu de toute notoriété en 1993 et dont on verra plus tard qu'il est considéré comme générique.
En 1994, la commune de Laguiole engage une action à l'encontre de ma société. En 1999, la Cour d'appel de Paris juge que « le terme "laguiole" est devenu usuel et générique pour désigner un certain type de couteaux et qu'il ne fait pas nécessairement référence à la commune de Laguiole et aux communes avoisinantes ». Selon elle, il est démontré que d'autres régions, notamment celle de Thiers, fabriquent depuis de nombreuses décennies le même type de couteau.
Par la création et un sévère contrôle de qualité, la marque Laguiole prospère tant en France qu'à l'étranger. Nous avons créé plus de 130 emplois en France, en faisant fabriquer des lunettes à Morez, des pantoufles dans le Berry, des parfums à Grasse, des couteaux à Thiers et des pipes à Saint-Claude. Notre cabinet-conseil en propriété industrielle fait systématiquement opposition aux dépôts effectués dans les classes couvertes par notre marque. Nous avons fait plus de cinquante oppositions à ce jour, et j'ai engagé à mes frais plus d'une douzaine d'actions judiciaires. Nous n'avons jamais entendu empêcher la commercialisation de couteaux sous le nom de laguiole, qui est, je le rappelle, un terme générique.
En 2010, la commune assigne de nouveau notre société ainsi que nos licenciés. Dans son jugement, le tribunal rappelle à nouveau le caractère générique du mot « laguiole » pour désigner une forme de couteau, et confirme mes droits sur les marques déposées depuis 1993. Il considère à son tour que le dépôt de ces marques a été réalisé de bonne foi, et que compte tenu de son absence de notoriété en 1993, je n'avais à aucun moment cherché à profiter du nom du village de Laguiole.
Je rappelle par ailleurs que, aux termes de l'article L.711-1 du code de la propriété intellectuelle, la marque est un signe servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale, et que peuvent notamment constituer un tel signe les noms géographiques. Le dépôt de cette marque se situe donc dans la droite ligne d'une jurisprudence constante. Il existe bien d'autres marques constituées de noms géographiques forts connus évoquant des paradis terrestres, des villages typiques ou des contrées du bout du monde, et de grandes entreprises françaises ne se privent pas de déposer des noms de lieux géographiques français ou étrangers. J'ai ainsi identifié plus d'une centaine de marques constituées du nom du Mont-Saint-Michel.
Du reste, cette décision de justice ne prive ni les couteliers du droit de fabriquer des couteaux sous le nom de laguiole, ni la commune de Laguiole du droit d'utiliser son nom dans la vie publique. C'est par une désinformation constante, une méconnaissance du jugement et une mise en scène orchestrée par le maire qu'il a été laissé entendre que le village de Laguiole était privé de son nom, et les couteliers du droit d'exploiter leurs couteaux.
Enfin, j'ai pris connaissance de la déclaration de Mme la ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme annonçant qu'elle allait demander à Bruxelles de placer Laguiole en IGP. Le règlement communautaire sur les IGP exclut pourtant expressément, en son article 3, la possibilité pour les dénominations géographiques devenues génériques d'être enregistrées comme IGP. Or la Cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 3 novembre 1999, puis le tribunal de grande instance de Paris, dans son jugement du 13 septembre 2012, ont jugé que le mot « laguiole » est un terme générique, c'est-à-dire un nom commun désignant un couteau présentant des caractéristiques particulières. Les décisions de justice s'imposent à tous : aussi bien à la commune de Laguiole, partie aux procès, qu'au pouvoir politique, conformément au principe de la séparation des pouvoirs.