Intervention de Michel Foucher

Réunion du 3 octobre 2012 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Michel Foucher :

Le concept de « surprise stratégique » était déjà utilisé dans le précédent Livre blanc, néanmoins il existe des tendances lourdes. En ce qui concerne la protection du territoire national, il faut noter qu'il nous est déjà arrivé d'utiliser à l'extérieur des moyens normalement dévolus à la force de dissuasion, en l'occurrence sa deuxième composante. Ce qui signifie que l'on considère la sécurité du territoire national comme suffisamment garantie pour pouvoir employer sur des théâtres extérieurs des moyens normalement dédiés à sa protection permanente. La dissuasion nucléaire est pour le moment sanctuarisée. Mais je ne pense pas que l'on échappera à un débat sur ce sujet dans l'avenir. C'est un débat qui a d'ailleurs déjà cours chez les militaires. Les militaires ne formulent qu'une seule demande : ils souhaitent des orientations politiques claires. Le général Bentégeat lors d'une conférence à l'IHEDN, le 18 juin dernier, a exprimé la difficulté d'être militaire au XXIe siècle, en raison du flou qui entoure trop souvent les missions qu'on leur assigne. L'objectif du Livre blanc est justement de clarifier nos ambitions. Lors de l'élaboration de la loi de programmation militaire, la représentation nationale aura un rôle éminent à jouer dans ce domaine.

Pour moi la hiérarchie des risques et des menaces est géographique, c'est le voisinage qui importe. Une crise en Birmanie peut affecter nos valeurs mais elle n'affectera pas nos intérêts. Alors qu'une crise au Mali s'avérera préjudiciable pour nos intérêts. Et une crise au Niger sera très grave pour la France, ne serait-ce que pour nos approvisionnements miniers. Une coopération avec ce pays est donc indispensable pour la France. Mais il faut garder à l'esprit que le Niger a des frontières communes avec la Libye et l'Algérie, ce qui implique d'agir de manière subtile. Il est impératif de faire des progrès dans notre dialogue avec l'Algérie. Car on ne peut rien faire dans cette zone sans ce pays. Longtemps les Balkans furent notre priorité, d'ailleurs plus au nom des valeurs que de nos intérêts, et il est important d'afficher cette communauté de valeurs. Néanmoins à l'heure actuelle nos intérêts se trouvent très clairement au sud et à l'est de la Méditerranée.

La hiérarchie des risques et menaces, en dehors des flux et des défis de cybersécurité, est inscrite dans cette géographie que j'ai évoquée précédemment. Il y a les effets de proximité, les questions migratoires, les questions de développement et le bilan de cinquante ans de coopération. Le Mali est le pays que l'on a le plus aidé dans tous les domaines or l'État malien s'effondre aujourd'hui au profit d'autres gestions collectives. Comment en est-on arrivé là ? On ne peut en aucune manière se désintéresser de cette problématique.

Autre point de tension, l'évolution de la situation en Syrie et ses conséquences régionales. Il y a des craquements importants, notamment l'autonomisation de la zone kurde. Néanmoins cette lutte interne pour le pouvoir n'a pas d'impact majeur avéré dans la région, sauf au Liban naturellement, et en Irak où le régime en place soutient à bout de bras Bachar el-Assad, ce qui constitue un véritable fiasco pour la politique étrangère américaine. Concernant les conséquences des révolutions arabes, il est très difficile de se prononcer car c'est une histoire en train de se faire. Du côté égyptien la situation semble évoluer correctement, les relations semblent assez étroites entre le Président Morsi et les États-Unis, la coopération sécuritaire dans le Sinaï avec les Israéliens est effective. Il faudra également rester attentifs à l'évolution de l'Arabie Saoudite, les États-Unis ont acquis une certaine indépendance vis-à-vis du pétrole du Moyen-Orient grâce au gaz de schiste et au pétrole non-conventionnel, c'est là un grand succès de la politique internationale du Président Obama. Notre problème est que nous avons des alliances de circonstances avec des pays qui financent par ailleurs ceux-là mêmes qui nous posent des problèmes, que ce soit en Syrie ou dans la zone saharo-sahélienne. Les politiques dites « de main tendue » à l'égard des régimes syriens et iraniens, que ce soient celles menées par M. Sarkozy ou par M. Obama ont toutes échoué.

Au final la vraie surprise stratégique, comme l'a déclaré le chef d'état-major des armées, l'amiral Édouard Guillaud, fut la crise financière qui n'avait pas été prévue par le Livre blanc de 2008. Je pense qu'il nous faut nous ménager une gamme d'options. Nous avons aujourd'hui les moyens techniques d'agir, comme l'a prouvée notre intervention en Libye. Néanmoins c'était là une opération conçue, sans intervention terrestre très lourde. Maintenant il nous faut nous atteler à la reconstruction d'institutions qui fonctionnent dans toute une série d'État de notre voisinage africain et cela se fera nécessairement sur le long terme.

À l'époque du général de Gaulle, il n'y a pas eu de Livre blanc : deux discours à l'IHEDN et au Centre des hautes études militaires (CHEM) en ont tenu lieu en 1959 et 1961. Il y a eu un premier Livre blanc sous la présidence Pompidou, en 1972, et il a fallu attendre 1994 pour la rédaction du deuxième. On constate ensuite une accélération du processus avec la rédaction du suivant en 2008 et d'un nouveau, aujourd'hui, à peine quatre ans plus tard. Je pense que nous sommes entrés dans une logique que l'on trouve en Asie sous le nom de Strategic review…

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