J'interviens en tant que président de l'IFPEN, mais aussi en tant que président du Conseil français de l'énergie, qui regroupe aussi bien les producteurs du secteur de l'énergie que les consommateurs. Selon moi, les défis en matière d'énergie et d'environnement sont par nature internationaux, et je me placerai à ce niveau-là.
Ces défis sont de trois natures. D'abord, la demande énergétique au niveau mondial va continuer à croître inéluctablement, stimulée par les pays émergents. Ensuite, l'énergie est responsable de deux tiers des émissions de CO2 – on ne peut donc plus parler d'énergie sans parler d'environnement. Enfin, les énergies fossiles, non renouvelables, continueront à représenter une part importante de l'approvisionnement énergétique.
Quelles sont les perspectives qui font consensus parmi les organisations internationales ? Si l'on se réfère aux projections de l'Agence internationale de l'énergie, la demande énergétique croîtra de plus d'un tiers entre 2009 et 2035. Dans un tel scénario, les énergies fossiles couvriront les trois quarts des besoins nouveaux. Par voie de conséquence, en 2035, la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures sera encore de 75 % – contre 80 % aujourd'hui. En d'autres termes, malgré des investissements considérables et de nombreuses incitations financières, la contribution de la biomasse et des énergies renouvelables, hors hydroélectricité, n'augmenterait que de 11 à 12 % d'ici à 2035.
Cette projection illustre une caractéristique majeure du secteur énergétique : sa grande inertie. En premier lieu, la durée de vie moyenne du parc immobilier approchant cent ans, les investissements dans les nouveaux bâtiments, s'ils se systématisaient aujourd'hui, n'auraient un impact significatif que dans un avenir lointain. En second lieu, la durée de vie d'une centrale électrique – nucléaire, thermique ou hydraulique – étant également de cent ans, la composition du bouquet énergétique n'évoluera que très lentement.
De tels scénarii, qui tendent à démontrer notre large dépendance envers les énergies fossiles perdurera en 2035, nous amènent à nous demander si les ressources seront suffisantes pour satisfaire la demande. C'est une question récurrente. Mais grâce au progrès technique et du fait de la hausse des prix de l'énergie, les réserves d'hydrocarbures n'ont pas cessé d'augmenter : elles représentent aujourd'hui environ quarante à soixante années de consommation, même si celle-ci devait se maintenir au niveau actuel.
À plus court terme, nous avons davantage à nous inquiéter, selon moi, de l'inégale répartition des ressources pétrolières. Elles sont notamment concentrées au Moyen-Orient et au Venezuela. Les enjeux géopolitiques seront élevés. Le plafonnement des ressources d'hydrocarbures, pétrole et gaz, résultera davantage de problèmes situés au-dessus du sol qu'en dessous.
Un autre défi important, dont on ne parle pas assez, tient à l'évolution de la facture énergétique française : en 2011, elle a dépassé, en euros constants, le montant du pic de 1980. Et elle a encore augmenté de 15 milliards d'euros entre 2011 et 2012, pour atteindre 61 milliards d'euros. Comment réduire notre dépendance aux importations ? Après le premier choc pétrolier, elles avaient pu se réduire grâce au développement du programme nucléaire. Mais aujourd'hui, les possibilités de rééditer cette opération sont limitées. Nous ne pouvons plus escompter de réduction de notre facture que d'une efficacité énergétique accrue dans les secteurs des transports et du résidentiel, responsables de 75 % de notre consommation. Cependant, nous disposons aussi d'un certain potentiel nous permettant de développer des productions nationales.
La technologie peut également nous aider, comme le démontre une autre étude de l'Agence internationale de l'énergie recensant l'ensemble des approches pour diviser par deux les émissions mondiales de gaz à effet de serre à l'horizon de 2050. Pour autant, c'est l'efficacité énergétique qui, à elle seule, permettra de couvrir entre 35 et 45 % de la différence entre ce niveau vertueux et celui auquel on arriverait en suivant les tendances naturelles.
La substitution d'énergie a aussi un rôle à jouer. Dans ce scénario, le nucléaire contribue à couvrir 6 % de la différence, les énergies renouvelables 17 %. Enfin, le captage et le stockage du CO2 permettent de boucler cette équation, en couvrant environ 19 % de l'écart.
L'Union européenne a dessiné sa vision de la transition énergétique dans sa feuille de route pour 2050, imaginant toute une série de scénarii dans lesquels seraient mobilisés l'ensemble des moyens politiques, techniques et économiques. Ces scénarios soulèvent un certain nombre de questions ; certaines ont été évoquées par Luc Oursel.
La première est relative à l'efficacité énergétique. Cette dernière est essentielle, mais quel est exactement son potentiel et quel sera son coût ? Les énergies renouvelables vont se développer, mais à quel prix et avec quelle rentabilité ? N'oublions pas que des problèmes d'acceptabilité commencent à se poser, par exemple pour les biocarburants et pour l'éolien.
Le stockage de l'énergie constitue un autre enjeu majeur, trop peu discuté. Quelles technologies utiliser ? Quel en sera le coût ?
Ensuite, quel sera le rôle du nucléaire dans le bouquet énergétique européen à échéance de 2050 ? Quel rôle joueront les hydrocarbures non conventionnels ?
Enfin, se pose la question du prix du CO2. Son cours européen actuel est totalement dissuasif pour des investissements en faveur de la transition énergétique : alors qu'on anticipait des prix de l'ordre de 30 ou 40 euros par tonne, nous en sommes à 5 ou 10 euros. A contrario, si ce prix augmentait, quel impact aurait-il sur l'activité économique ?
En conclusion, pour assurer la transition, il faudra faire flèche de tout bois. Cela impose des changements de comportement chez les consommateurs ainsi que le déploiement de nouvelles technologies. C'est à cette dernière tâche que s'emploie IFP Énergies nouvelles.