La politique énergétique européenne n'existe pas : aucune concertation n'ayant jamais eu lieu dans ce domaine, chaque pays a sa propre politique – souvenez-vous de la remise en cause brutale des énergies renouvelables dans les pays d'Europe du Sud – et les évolutions se font de façon très différenciée.
Luc Oursel a bien cerné le problème de la gouvernance : la civilisation de demain sera, comme celle d'aujourd'hui, essentiellement urbaine, et il est donc peu vraisemblable que la production se fasse sur les lieux de consommation. Il faut évidemment favoriser les développements régionaux et locaux, mais – on le voit sur l'exemple allemand – sans système intégré associant de façon cohérente gouvernance globale et satisfaction des besoins locaux, on s'acheminera vers un échec.
Comment peut-on parler de mix énergétique sans évoquer la quantité d'énergie dont nous devons disposer ? On avance des pourcentages comme si les besoins étaient figés ; or la France de 2025 ne sera pas celle de 2012. D'abord, en 2025, il y aura en France six millions d'habitants – soit 9 % de la population actuelle – de plus qu'aujourd'hui. S'ils ne tiennent pas compte de cet aspect démographique, les calculs n'ont aucun sens. La consommation des énergies évoluera également : celle d'électricité augmentera du fait de l'évolution du mix énergétique de chaque particulier vers une consommation différenciée où l'électricité aura une part plus importante, gommant ainsi les économies d'énergie qu'on aura réalisées. Si ces dernières atteignent 20 % en 2025, la consommation unitaire d'électricité par habitant restera la même.
Si l'on ajoute l'hypothèse – envisageable – d'une croissance économique non nulle, les répercussions sur la consommation industrielle rendront les besoins en électricité de l'année 2025 significativement différents de ceux de 2012. À titre d'exemple, avec une croissance annuelle de 2 % et compte tenu des évolutions de la démographie et des habitudes de consommation déjà évoquées, le parc français actuel de production, toutes électricités confondues, ne suffirait à satisfaire que 60 % de la demande en 2025. Dès lors, ne vaut-il pas mieux se demander d'où viendrait l'électricité manquante, que de réfléchir à supprimer des moyens de production existants ?
Il est naturel que la contribution de nos groupes à la recherche soit importante, et EDF dispose du plus grand centre de recherche mondial en matière d'électricité, notamment sur les technologies de stockage, mais également de production et de smart grid.
Le coût de l'énergie est un élément déterminant de la compétitivité économique, de la croissance et de l'emploi. Le récent rebond du taux d'emploi aux États-Unis est ainsi quasi exclusivement imputable à l'abaissement de ce coût grâce à l'utilisation des ressources gazières non conventionnelles. L'origine de l'électricité n'est pas sans effets – l'éolien offshore, tout comme le photovoltaïque, coûtent ainsi environ cinq fois plus que la production du parc nucléaire existant – et il faudrait en tenir compte avant de discourir sur telle ou telle décision à prendre. Pour bâtir le parc de production électrique français, nos prédécesseurs avaient consenti des investissements gigantesques, de quelque 450 milliards d'euros, dont 100 milliards pour l'hydraulique, 250 milliards pour le nucléaire et 50 milliards pour les réseaux. Peut-on passer par pertes et profits 450 milliards et l'atout économique et industriel que représentent ces investissements en termes de compétitivité, d'expertise et de création d'emplois ?
L'énergie exige des investissements massifs et à durée de vie très longue. La responsabilité est donc grande pour ceux qui décident de leur destination, et aucune politique énergétique ne peut être conçue sans définition d'une trajectoire lisible et cohérente. La réflexion sur la transition énergétique m'intéresse d'autant plus qu'EDF est à ce jour le plus gros investisseur européen dans le domaine : nous investissons 12 milliards d'euros cette année, 13 milliards l'année prochaine. Ces montants considérables impliquent un sens de la responsabilité, mais également une capacité à se projeter dans l'avenir.