Intervention de Henri Proglio

Réunion du 10 octobre 2012 à 9h30
Commission des affaires économiques

Henri Proglio, président d'EDF :

Les Chinois ont certes développé l'hydraulique et le barrage des Trois-Gorges est le plus grand du monde, mais, par rapport à d'autres, ils sont peut-être plus soucieux de compétitivité que préoccupés par les émissions de gaz à effet de serre. Quand la question énergétique se pose dans ces termes, la réponse ne peut être que : le nucléaire. Faut-il alors renoncer à une aventure de trente ans, à cette action que nous avons lancée, puis conduite en coopération et au mieux des intérêts de l'industrie française ? Je réponds à cette question de façon précise, technique et très décontractée, en évitant toute polémique.

Je vous remercie de votre témoignage, monsieur Sordi. Il est important pour nous de le relayer, les gens de Fessenheim méritent respect et reconnaissance : ils ont fait un excellent travail. Faut-il dans cette centrale des travaux de modernisation pour se conformer aux exigences de l'Autorité de sûreté ? Bien sûr que oui, et ils sont déjà faits ! Ce n'est donc pas un problème. L'autorisation d'étendre la durée de vie du réacteur n° 1 a bien été donnée parce que les travaux étaient faits, pas parce qu'ils étaient à faire.

S'agissant de la capacité de production nécessaire pour remplacer Fessenheim et des 500 millions d'euros qu'il faudrait dépenser pour l'achat de gaz, la réalité serait vraisemblablement supérieure aux chiffres avancés. Toutefois, je ne m'étendrai pas sur ces sujets, pas plus que sur la demande d'indemnisation éventuelle d'EDF. Je ne commente aucun chiffre, car une telle discussion doit être menée avec l'État, ce que nous ferons de façon parfaitement transparente.

Les nouvelles sources d'énergie auront-elles un impact sur le coût de revient de l'électricité ? La réponse est oui, bien entendu. EDF est avant tout un opérateur de service public responsable. Nous sommes conscients d'avoir à rendre compte à nos concitoyens, qui sont nos clients, et à nos actionnaires, dont l'État, de l'efficacité de l'outil EDF. Nous sommes responsables en grande partie du prix de l'électricité en France. Nous prenons position sur telle ou telle technologie ou telle ou telle attitude en toute conscience, pour nous conformer à notre responsabilité de conserver sa compétitivité à la France, de lui permettre de continuer à créer de l'emploi et à préserver le pouvoir d'achat. C'est le socle même de notre raison d'être en tant qu'opérateur de service public, et rien ne me détournera de cette mission.

On parle pour la France de centralisme énergétique mais, encore une fois, il n'y a pas d'opposition entre des schémas régionaux intelligents et des schémas interconnectés. Au fond, l'optimisation, qui est le socle d'un service public de l'électricité efficace, repose sur une bonne intégration régionale, sur une part de décentralisation intelligente et cohérente, sur une proximité vis-à-vis des territoires et, en même temps, sur un maillage national permettant le transfert de l'énergie. Le système français a prouvé son efficacité et sans doute une forme de centralisation des moyens de production était-elle nécessaire. Les barrages ne se déplacent pas facilement sur roues… L'efficacité de l'hydraulique est prouvée, et toute la nation doit pouvoir en profiter de même que des centrales nucléaires ou thermiques.

Cela n'est absolument pas exclusif du développement d'énergies décentralisées, à condition qu'une programmation régionale y soit associée. C'est ce que nous faisons, notamment en Alsace, en faisant en sorte que les deux schémas soient totalement complémentaires et cohérents.

On ne peut nier l'impact qu'aura le développement des énergies nouvelles sur le prix de l'électricité, du fait de leur coût de revient. Autrement dit, le coût moyen sera d'autant plus élevé que la part d'électricité chère dans le mix énergétique sera plus importante. Et, quels que soient les efforts pour améliorer l'efficacité économique des nouvelles sources d'énergie, il y aura donc un surcoût dont la charge sera à répartir entre nos concitoyens. Il faut donc observer une certaine rationalité, dans l'intérêt collectif.

Le charbon est une énergie extrêmement répandue dans le monde et entre encore pour environ 60 % dans la production mondiale d'électricité. Aujourd'hui, il se construit une centrale à charbon tous les jours dans le monde, deux par semaine en Chine. EDF dispose de la technologie nécessaire et j'ai d'ailleurs relancé l'ingénierie thermique afin que nous soyons, plus encore qu'hier, à même de satisfaire les besoins mondiaux. Nous allons réaliser en Pologne, à Rybnik, la première très grande centrale à charbon supercritique, c'est-à-dire à charbon propre.

L'hydroélectricité est un sujet crucial pour les Alpes, mais aussi pour la planète car c'est vraisemblablement la source d'énergie la plus efficace et la seule électricité qui se stocke aujourd'hui. J'ai donc également relancé l'ingénierie hydraulique d'EDF, car j'entends conserver à notre groupe son label d'expertise, et nous sommes actuellement en négociation pour deux très grands projets internationaux, sachant qu'il n'y en a pas de quelque ampleur en France.

Comme toujours, c'est à l'international qu'il faut aller chercher les moyens de garder notre expertise et de la promouvoir. Il en est ainsi dans le nucléaire, dans le thermique comme dans l'hydraulique. Les métiers de l'énergie ne peuvent avoir pour seule perspective le territoire national parce qu'il ne suffit pas à la taille critique nécessaire à la création des compétences et à leur maintien, et au financement de la recherche.

En matière de nucléaire et de stockage des déchets, on peut toujours faire mieux, bien évidemment. Nos centres de recherche sont là pour préparer des améliorations et nos centrales sont vivantes, et non pas figées. En 2012, nombre de modifications technologiques sont intervenues de manière à s'adapter et à anticiper les évolutions. Toujours faire mieux, c'est ce à quoi nous nous employons.

La mort de Rio Tinto est déjà annoncée : l'entreprise a décidé de cesser son activité. Nous sommes là devant rien autre chose qu'une prise d'otages – pardon d'être aussi brutal – et le prix de l'électricité n'est pas en cause dans cette affaire. Rio Tinto a bénéficié de prix exceptionnellement bas, mais cette exception ne peut être reconduite sans que l'Europe nous condamne pour aide d'État. La réglementation de l'Union nous interdit en effet de continuer à fournir l'électricité à un prix aussi bas et aussi inférieur au coût de revient, et de faire des cas particuliers. Dès lors, nous sommes contraints de réajuster les prix consentis, pour laisser jouer la libre concurrence. Point.

Bien évidemment, les industries électro-intensives ont encore leur place en France, grâce à cet atout compétitif décisif qu'est le prix de notre électricité. Encore une fois, la responsabilité d'EDF est de faire en sorte que cet atout soit conservé et renforcé, pas de se laisser aller à oublier les intérêts nationaux au profit d'un microcosme, ni à négliger la compétitivité du territoire, l'efficacité économique et donc l'emploi, par je ne sais quel effet de mode. Oui, le territoire français est compétitif. Oui, une part importante de l'industrie électro-intensive qui y est installée est liée aux caractéristiques de notre production électrique. C'est la raison pour laquelle toute baisse de la compétitivité du territoire se traduira par des délocalisations massives dans ce secteur. Essayons de l'éviter.

J'ai dit ce que je pensais du renouvellement des concessions hydrauliques. Je ne maîtrise pas le calendrier, je le respecte. Nous gagnerons le renouvellement de nos contrats, faites confiance à EDF !

Dans le cadre de l'Europe de l'énergie, la spécialisation des pays ne me semble pas une réponse adaptée. L'idée serait à peu près aussi sérieuse que l'histoire imaginée par Jean Yanne dans Les Chinois à Paris : entendant dire que les Français sont des fumistes, les Chinois leur concèdent pour spécialité la fabrication de tuyaux de poêle !... Chaque pays a son originalité, son histoire, sa logique. Certains sont plus propices que d'autres à l'utilisation de certaines formes d'énergie : par exemple, faire de l'hydroélectricité en Belgique semblerait incongru alors que c'est chose facile en Autriche – et les Autrichiens peuvent ainsi donner des leçons mais s'ils disposent de montagnes, ils n'y sont pas pour grand-chose ! D'autres pays sont spécialisés dans la fabrication d'énergie verte à partir de l'électronucléaire : ainsi un pays qui occupe une position centrale en Europe, sans faire partie de l'Union européenne achète de l'énergie nucléaire à la France et vend de l'énergie verte à l'Italie. C'est du blanchiment efficace, en quelque sorte une tradition respectable puisque respectée…

Mais, s'il ne faut pas spécialiser les pays, il faut coordonner les politiques et développer les interconnexions, à condition qu'il existe une politique européenne garantissant à cet égard une grande vigilance, car l'interconnexion vulnérabilise les plaques nationales. Si un pays comme l'Allemagne connaissait des ruptures, ce qui n'est pas exclu en raison de sa mauvaise organisation, l'effet domino sur le réseau français serait terrible. Sans politique européenne, les interconnexions resteront nécessairement limitées pour éviter ce risque – que nous connaissons d'ailleurs déjà puisque la situation du Bade-Wurtemberg rend la région Alsace assez vulnérable.

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