Sur une proposition du président de la commission des Lois, son bureau a décidé, le 3 juillet dernier, de renforcer le suivi des Affaires européennes entendu au sens large, c'est-à-dire du droit de l'Union européenne et de celui issu de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans les matières relevant de ses compétences. Le 11 juillet dernier, notre Commission a nommé deux co-rapporteurs, Guy Geoffroy et moi-même, pour assurer ce suivi.
Cette première communication a pour objet de présenter le cadre général de cette « veille européenne » et la manière dont nous la concevons, ainsi que de faire le point sur l'état des négociations concernant deux sujets : la refonte du règlement dit « Eurodac », relatif au droit d'asile, et la réforme du régime de protection des données personnelles.
La suppression de la division en « piliers » de l'Union européenne et le renforcement des compétences européennes relatives à la construction d'un espace de liberté, de sécurité et de justice résultant de l'entrée en vigueur, le 1er décembre 2009, du traité de Lisbonne exigent une implication plus importante et un suivi plus régulier de la part de la commission des Lois. Sous les législatures précédentes, les commissions permanentes ont éprouvé des difficultés à aborder la dimension européenne des politiques qu'elles traitent. Les connexions entre la commission des Affaires européennes et les commissions permanentes – en tout état de cause avec la commission des Lois – auraient mérité d'être plus intenses. Par ailleurs, les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) ont un impact croissant sur les matières relevant de la compétence de la commission des Lois, en particulier sur la procédure pénale. On se souvient de la décision relative à la garde à vue.
Ce suivi des Affaires européennes peut s'opérer de diverses manières. En accord avec le président Urvoas, nous avons choisi la méthode suivante :
– des rendez-vous réguliers – tous les trimestres – avec une communication de notre part devant la Commission, faisant le point de l'état des négociations sur les principaux textes en cours d'examen au sein des institutions de l'Union européenne ;
– des auditions de responsables des Affaires européennes : commissaires européens à la justice, aux droits fondamentaux et à la citoyenneté et aux affaires intérieures, ministre délégué aux Affaires européennes, secrétaire général des Affaires européennes (SGAE), représentant permanent de la France à Bruxelles, etc. La commission des Lois auditionnera ainsi Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté, conjointement avec la commission des Affaires européennes, le 21 novembre prochain ;
– des déplacements réguliers à Bruxelles, afin de rencontrer les négociateurs de la représentation permanente, les rapporteurs des textes et les coordinateurs des groupes au Parlement européen, les responsables des directions générales « Justice » et « Affaires intérieures » de la Commission européenne, etc. ;
– la participation aux réunions des présidents des commissions homologues de la commission des Lois, organisées par la présidence de l'Union européenne, ainsi qu'aux réunions thématiques organisées par le Parlement européen. Le président Jean-Jacques Urvoas a ainsi participé à une réunion organisée par la présidence chypriote à Nicosie, les 23 et 24 septembre 2012, qui était consacrée au régime d'asile européen commun, à la protection des données personnelles et à l'intégration des ressortissants de pays tiers, et je me suis rendue à une réunion organisée par la commission des Libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) sur la protection des données à caractère personnel, le 9 octobre dernier ;
– des contacts avec les parlementaires européens membres des commissions intervenant dans les domaines relevant de la commission des Lois (commissions LIBE et des Affaires juridiques).
Au-delà de ces questions de méthode, il serait utile de définir une stratégie sur les finalités de ce suivi. Quelques pistes peuvent être esquissées à cet égard, axées autour de quatre objectifs principaux : informer, contrôler, évaluer et influencer.
Informer d'abord : renforcer le suivi des Affaires européennes signifie informer et alerter les membres de la Commission, et, plus largement, la représentation nationale des enjeux soulevés par les textes « justice et affaires intérieures » en préparation par les instances européennes et de leur impact sur le droit français.
Contrôler ensuite : s'impliquer davantage dans le suivi des Affaires européennes, c'est mieux contrôler l'action du Gouvernement dans ce domaine, qui ne saurait plus être considéré comme relevant de la politique étrangère, alors que les matières concernées sont au coeur de la compétence du Parlement (droit pénal, droit civil, droit commercial, etc.). Cela requiert d'opérer un suivi des suites données aux prises de position de l'Assemblée nationale, notamment lorsqu'elles ont été exprimées dans une résolution adoptée au titre de l'article 88-4 de la Constitution ou par la voie d'un avis motivé sur le fondement de l'article 88-6.
Pour ce qui est de l'évaluation, nous essaierons d'évaluer, en amont, les propositions présentées, notamment au regard du principe de subsidiarité, afin de s'assurer qu'elles sont justifiées et qu'elles ont fait l'objet d'une étude d'impact et d'une concertation préalables. En aval, je souhaiterais aussi que nous suivions l'évaluation de leur transposition dans le droit national et de leur application, opérée, à titre principal, par la Commission européenne dans son rôle de « gardienne des traités ».
Influencer enfin : la commission des Lois doit trouver le moyen de porter ses positions au-delà de sa seule enceinte. Son influence s'exerce, en premier lieu, sur la position française qui sera défendue au Conseil par le Gouvernement français, que l'Assemblée nationale peut, sinon bouleverser, du moins infléchir. Elle s'exerce, en second lieu, sur les deux autres pôles du triangle institutionnel, la Commission et le Parlement européen, où l'Assemblée nationale peut faire entendre sa voix, à condition de développer une coopération avec les autres parlements nationaux et d'apparaître auprès de ces institutions européennes comme une force de proposition, et non de blocage.
J'en viens maintenant à l'état des négociations sur le premier des deux textes auxquels notre communication est consacrée : la refonte du règlement « Eurodac ».
Le système Eurodac est une base de données informatisée, utilisée depuis 2003, afin de permettre la comparaison des empreintes digitales des demandeurs d'asile. Son but est de permettre une application efficace du règlement dit « Dublin II », établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile, en vigueur dans trente États.
Outre les empreintes de toute personne de plus de 14 ans ayant déposé une demande d'asile (« catégorie 1 »), Eurodac comporte également les empreintes de deux autres catégories de personnes : celles qui ont été appréhendées lors du franchissement irrégulier de la frontière extérieure d'un État membre (« catégorie 2 ») et celles en séjour irrégulier sur le territoire d'un État membre, lorsque les autorités compétentes estiment nécessaire de vérifier l'existence d'une éventuelle demande d'asile antérieure (« catégorie 3 »). Au total, au 31 décembre 2011, la base comportait, en « stock », les empreintes digitales de près de 2 millions de personnes. En 2011, les empreintes de plus de 410 000 personnes lui ont été transmises, dont celles de 275 857 demandeurs d'asile. Près d'un quart d'entre elles (22,4 %) correspondaient à des demandes d'asile multiples, c'est-à-dire une deuxième demande ou plus.
La refonte du règlement Eurodac s'inscrit dans le cadre de la mise en place d'un « régime d'asile européen commun », prévue pour la fin 2012 qui fera l'objet d'une prochaine communication. Une première proposition de règlement a été présentée par la Commission européenne en 2008. Les négociations n'ont progressé que très lentement, et la Commission a dû modifier sa proposition à trois reprises ce qui est rare, en 2009, 2010 puis 2012.
La proposition de refonte comporte de nombreuses améliorations techniques. Les principales difficultés soulevées concernent les deux points suivants.
En ce qui concerne l'accès des services répressifs nationaux à Eurodac, il est proposé de permettre aux « services compétents pour la prévention, la détection et l'enquête en matière d'infractions terroristes et d'autres infractions pénales graves » d'avoir accès à cette base de données. Ces services pourraient ainsi comparer une empreinte digitale, retrouvée sur le lieu d'un crime ou d'un attentat par exemple, avec celles contenues dans la base. Cet accès est encadré par plusieurs conditions :
– la comparaison avec les bases nationales d'empreintes digitales (en France, le fichier automatisé des empreintes digitales – FAED) de l'État concerné et avec celles des autres États membres n'a pas permis d'identifier la personne recherchée ;
– la comparaison est nécessaire dans une affaire déterminée, les comparaisons systématiques étant proscrites ;
– il doit y avoir des motifs raisonnables de penser que la comparaison avec Eurodac contribuera à la prévention, à la détection et aux enquêtes en matière d'infractions terroristes ou d'infractions pénales graves ;
– une « autorité vérificatrice » nationale s'assurera, sauf en cas d'urgence exceptionnels, que la demande d'accès remplit les conditions posées. C'est par elle que ces demandes seront transmises par le point d'accès national au système central Eurodac.
Cet accès des services répressifs à Eurodac a fait l'objet de critiques, de la part d'associations de défense des droits des étrangers et des autorités de protection des données à caractère personnel, européenne (le contrôleur européen de la protection des données, CEPD) et nationales (Commission nationale de l'informatique et des libertés, CNIL). Ces critiques insistent sur le détournement de la finalité originelle d'Eurodac. Le Sénat a également émis de fortes réserves sur ce point, dans une résolution adoptée le 31 juillet 2012, à l'initiative de M. Jean-Yves Leconte.
Rappelons, enfin, que le Conseil constitutionnel, dans une décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997 sur la loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration avait censuré les possibilités d'accès d'agents expressément habilités des services du ministère de l'Intérieur et de la gendarmerie nationale au fichier informatisé des empreintes digitales des demandeurs d'asile géré par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) en vue de l'identification des étrangers en séjour irrégulier. Cette censure était fondée sur la confidentialité des éléments d'informations détenus par l'OFPRA sur les demandeurs d'asile, que le Conseil a considéré comme « une garantie essentielle du droit d'asile ».
Par ailleurs, il est envisagé d'autoriser l'Office européen de police (Europol) à accéder aussi aux données Eurodac. Cet accès suscite les mêmes critiques que celui des services répressifs des États membres, au regard du détournement de finalité d'Eurodac. S'y ajoutent d'autres réserves, liées à un encadrement plus faible des demandes formulées par Europol. Contrairement aux services des États membres, Europol pourrait en effet accéder aux données « pour une analyse de portée générale et de type stratégique ». Il conviendrait d'aligner les conditions d'accès d'Europol à Eurodac sur les conditions d'accès des services des États membres. C'est la position défendue par le Gouvernement français, qui semble avoir été entendue par la présidence chypriote et les autres délégations, ce dont je me félicite.
Je souligne, par ailleurs, que la transmission des données Eurodac à des pays tiers, qu'il a été, un temps, proposé de rendre possible, est interdite dans la version actuelle du projet, ce qui est un point essentiel pour les demandeurs d'asile.
Pour l'ensemble de ces raisons, je suis favorable à l'adoption de cette proposition, qui comporte de nombreuses avancées techniques, sous réserve que plusieurs améliorations lui soient apportées. La commission des Affaires européennes a adopté hier des conclusions en ce sens, sur ma proposition. Celles-ci recommandent notamment que les conditions d'accès d'Europol soient alignées sur celles prévues pour les services des États membres et que la protection des données personnelles soit renforcée, grâce à un audit régulier des activités de l'agence européenne des réseaux par le Contrôleur européen de la protection des données. Il est également essentiel de maintenir l'interdiction de transmettre des données à des pays tiers.