Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, notre débat sur le projet de loi de programmation et sur le projet de loi de finances pour 2013 s'inscrit pleinement dans le round budgétaire qui a commencé avec l'autorisation de ratification du traité budgétaire d'austérité, s'est poursuivi avec le projet de loi organique et se conclura par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013. La cohérence est parfaite entre ces différents textes, et donc, hélas ! avec la vision économique qui prévaut depuis des décennies, c'est-à-dire la vision libérale.
Comme nous y a invités M. le ministre de l'économie et des finances hier, nous devons faire du débat budgétaire un débat sur la stratégie économique.
Commençons par les faits. Les conséquences des politiques conduites depuis des décennies sous l'égide du principe de concurrence libre et non faussée sont édifiantes : explosion du chômage et de la précarité, accroissement de la pauvreté et des inégalités, désindustrialisation dramatique de notre pays – dont la dernière victime est Petroplus – et casse des régimes de solidarité. À cette revanche prise sur le modèle socio-économique issu du Conseil national de la Résistance, la droite a pris une part active, en faisant payer par l'endettement public la faillite du système financier, en faisant payer par les plus modestes le gavage des plus fortunés et en attisant les haines et les peurs. Ce triptyque est celui qui sous-tend le fameux message « TINA » : « There is no alternative ».
Voilà trop d'années que les misères, les inégalités, la compétition mortifère entre les hommes et entre les territoires sont justifiées au nom de ce principe. Chers collègues de la majorité, nous avons rendez-vous avec le peuple pour écrire l'alternative, pour ne pas nous laisser enfermer dans ce cadre néolibéral qui étouffe nos entreprises et qui étrangle nombre de nos concitoyens. Les députés du front de gauche ont la volonté de porter cette exigence de transformation qui a participé à la victoire de toute la gauche.
En effet, que s'est-il passé depuis 2008 ? Les marchés financiers, appliquant, avec la complicité des institutions financières et des gouvernements, la règle de la privatisation des profits et de la socialisation des pertes, ont transféré les pertes financières des établissements bancaires privés, notamment les fameuses subprimes, vers les États. Or, on nous présente aujourd'hui la dette publique comme la source de tous nos maux sans jamais souligner l'inconséquence du système financier et l'insuffisance des procédures de contrôle.
Cette crise systémique, aujourd'hui profonde, s'appuie en fait sur deux grandes évolutions intervenues au cours des trente dernières années : tout d'abord, le déplacement, au sein de la valeur ajoutée, du curseur entre salaires et profits au détriment des salaires – en trente ans, neuf points de PIB, soit 180 milliards d'euros, sont passés du travail au capital : quel gâchis ! – ; ensuite, l'épuisement des ressources naturelles dans le cadre d'un système productif qui néglige, et c'est un euphémisme, la nécessaire transition écologique. Une véritable alternative implique donc d'instaurer une autre logique de partage des richesses.
La réorientation de l'épargne vers le système productif, l'augmentation du pouvoir d'achat des salariés, des pensions et des minima sociaux, le combat contre les gâchis financiers et le pillage des ressources : voilà ce qui doit sous-tendre toute notre action.
Même si des avancées intéressantes sont à noter, telles que la création de la Banque publique d'investissement, l'abandon du pouvoir monétaire aux hérauts des marchés financiers – la BCE est dirigée par un ancien haut responsable de Goldman Sachs : cela veut tout dire –, le recul qui se profile sur l'exigence de séparer banque d'affaires et banque de dépôt montre que les marchés financiers n'ont pas désarmé.
Rien ne peut justifier, sauf à vouloir marcher dans les pas des néo-libéraux, le glissement du principe selon lequel « l'ennemi, c'est la finance », affirmé par le Président de la République, à l'affirmation selon laquelle « l'ennemi, c'est la dette », maintes fois entonnée par les ministres. La dette est d'abord le résultat du désarmement fiscal organisé par la droite durant ces dix dernières années. Il n'est jamais inutile de rappeler que le rapport Carrez de 2010 expliquait qu'en l'absence des cadeaux fiscaux consentis aux plus fortunés et aux grandes entreprises, le déficit budgétaire aurait été en 2009 de 3,3 %, et non de 7,5 %, et, en 2007 et 2008, le budget aurait été en équilibre.
La dette est également pour les marchés financiers un formidable moyen de faire pression sur les États, afin qu'ils orientent les politiques publiques vers moins de dépenses et moins de solidarité, en agitant le spectre des taux d'intérêt. Il faut sortir de ce jeu de dupes en soumettant la BCE à un réel contrôle démocratique et en l'autorisant à prêter directement aux États, comme cela se fait dans toutes les zones du monde sauf en Europe. Cela permettrait de diminuer la charge de cette dette, dont les intérêts représentent, avec 46 milliards d'euros, le deuxième poste budgétaire, et de soutenir la demande intérieure et extérieure. Par ailleurs, il ne faut pas que les établissements bancaires continuent à spéculer sur les dettes avec des produits financiers pourris en sachant pouvoir compter in fine sur le soutien de la BCE.
Monsieur le ministre, plutôt que d'avoir l'oeil rivé sur la ligne bleue des 3 %, au nom desquels on sabre dans les dépenses sociales et publiques utiles, organisons le réarmement fiscal. À cet égard, nous faisons nôtres les idées de bon sens contenues dans le programme économique et fiscal du Président de la République
La première consiste à diminuer les niches fiscales et sociales de 30 milliards d'euros. C'est urgent et c'est possible, compte tenu du maquis existant. Est-ce le chemin emprunté par le budget pour 2013 ? Je ne le crois pas, car celui-ci renforce la part des dégrèvements et des remboursements. Certes, parmi ces dégrèvements, certains sont utiles et socialement justes. Mais comment justifier auprès des acteurs de la culture et du sport, des collectivités territoriales et des personnels des fonctions publiques, qu'ils doivent se serrer la ceinture quand la niche Copé, la plus injuste, la plus symbolique des « années fric » de la droite, n'est pas purement et simplement supprimée ? Sa suppression apporterait pourtant 4 milliards d'euros supplémentaires qui rendraient de grands services à nos populations et à nos territoires.
Deuxième idée : lancer la révolution fiscale pour assurer une meilleure progressivité et une plus grande justice fiscale de l'impôt. À ce propos, nous saluons la création d'une nouvelle tranche d'imposition à 45 % au-dessus de 150 000 euros. Toutefois, cette mesure ne nous permet même pas de revenir à la progressivité qui existait avant 2001, et nous sommes encore loin des taux marginaux en vigueur pendant les Trente glorieuses, qui atteignaient 60 % dans tous les pays d'Europe.
Au cours du débat, nous proposerons donc une refonte totale du barème de l'impôt sur le revenu des personnes physiques intégrant le dégel du barème. En effet, son gel avait été très critiqué par la gauche, à juste titre ; il avait même été supprimé par le Sénat lors du débat sur le PLF 2012. Créons donc deux ou trois tranches supplémentaires, pour les très hauts revenus, afin de compenser le dégel ; l'impôt n'en sera que plus juste et plus progressif.
Troisièmement, l'alignement de l'imposition des revenus du capital sur celle des revenus du travail est un engagement fort du Gouvernement. Nous saluons avec grande satisfaction la fin du scandale des prélèvements libératoires forfaitaires. Mais il ne faut pas que la main du Gouvernement tremble quand, derrière les ailes de frêles pigeons, vrombissent les exigences des vrais rapaces que sont notamment les LBO. Si la modification proposée par le Gouvernement conduisait à vider la mesure de son contenu, le signe envoyé à celles et ceux qui sont dans la difficulté serait dévastateur. Faut-il protéger le PDG de Meetic ou l'ouvrier de Florange ? Je rappelle que les fameux « pigeons », qui seraient imposés à 60 %, le seraient parce qu'ils se trouveraient dans la tranche à 45 %. Ils seraient donc loin d'être défavorisés – excusez-moi, mais j'ai du mal à pleurer. Nous nous opposerons à ce recul !
Quatrièmement, en matière de fiscalité du patrimoine, il est nécessaire de retrouver des dispositifs qui pénalisent la rente et réduisent les fortunes d'héritage, contraires au principe d'égalité républicaine. Monsieur le rapporteur général, vous aurez notre soutien pour élargir l'assiette de l'ISF.
Cinquièmement, s'agissant de l'impôt sur les sociétés, nous accueillons avec satisfaction la diminution de la déductibilité des charges d'emprunt, qui permettra d'améliorer le taux réel de l'impôt sur les sociétés pour les grands groupes. Tout le monde a en tête ce rapport de 2011 démontrant que les entreprises du CAC 40 n'acquittent que 8 % d'impôt sur les sociétés alors que les PME sont assujetties à un taux réel de 28 %. Nous ferons une proposition symbolique de création d'une cotisation minimale de 25 %, pour susciter le débat. En effet, il n'est plus acceptable que les niches fiscales et, surtout, la fraude fiscale organisée mitent le rendement de cet impôt au bénéfice des dirigeants et des gros actionnaires.
Dans le même esprit, il convient d'engager résolument la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, qui représentent 40 à 50 milliards d'euros. C'est un combat que nous devons mener vigoureusement avec nos partenaires européens. La Commission et l'Union européenne s'immiscent dans notre budget, donnons-leur plutôt pour mission de faire cesser ce véritable vol organisé.
Monsieur le ministre, nous attendons beaucoup du paquet antifraude que vous présenterez à la fin de l'année ; je puis vous assurer que l'ensemble des députés du groupe de la gauche démocrate et républicaine seront mobilisés pour mettre fin à ces pratiques.