L’embryon au final sert de liant dans la majorité ; il est devenu le gage de l’intérêt que le parti socialiste porte aux radicaux. C’est une forme de câlinothérapie au sein de la majorité.
Pour achever le tout, le délai de dépôt des nouveaux amendements ne sera pas rouvert. Nous reprenons ce mercredi à 23 heures, comme si quelques heures ou quelques jours seulement nous séparaient du 28 mars. Une pure fiction, quand on voit le changement de portage gouvernemental, sans oublier non plus le fait qu’hier, la Conférence des présidents a décidé d’avancer les travaux prévus demain à cet après-midi, ce qui nous amène à nous retrouver cette nuit. Ces conditions de forme sont tout à fait inacceptables ! On balade les parlementaires et la représentation nationale comme une feuille au vent ! C’est ainsi que le Gouvernement traite la représentation nationale : par le mépris !
Au-delà de cette forme tout à fait méprisable, il existe évidemment des conditions de fond qui nous amènent à rejeter le texte et à demander son renvoi en commission, en raison de son impréparation notoire et notable. Ces conditions sont juridiques, éthiques et scientifiques, et nous les aborderons successivement.
Les enjeux juridiques ont été totalement négligés. Oui, la commission des affaires sociales n’a pas étudié les enjeux juridiques du passage à un régime d’autorisation de la recherche sur l’embryon.
Tout d’abord, on ne peut soutenir raisonnablement qu’il n’y a pas de distinction entre le régime d’interdiction avec dérogations, et le régime d’autorisation avec encadrement. C’est ce qu’affirmait hier matin le président du groupe radical, le professeur Schwartzenberg. S’il n’y a pas de différence, cher collègue, alors restons-en là ! Il n’est pas nécessaire de toucher à la loi de 2011 !
Sous un régime d’interdiction, tout protocole de recherche est présumé irrecevable, et demande une analyse sérieuse, quand le régime d’autorisation rend tout protocole de recherche présumé recevable : c’est en quelque sorte une inversion de la charge de la preuve !
Ériger l’autorisation de recherche sur l’embryon comme règle méconnaît notre principe fondateur de l’ordre public : le « respect de l’être humain dès le commencement de sa vie », tel qu’il découle de l’article 16 de notre code civil.
C’est méconnaître surtout la position du Conseil constitutionnel, qui dispose pourtant d’une jurisprudence qu’on pourrait qualifier sur ce point de prudente, et qui a jugé, dans sa décision du 27 juillet 1994, que les embryons surnuméraires devaient quand même bénéficier d’une certaine protection ; ce n’est pas un hasard !
C’est méconnaître encore le droit conventionnel, et notamment l’article premier de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine du Conseil de l’Europe de 1997, dite Convention d’Oviedo – belle ville d’Espagne – que la France a ratifiée il y a un peu plus d’un an, en décembre 2011.
Cette Convention établit une intéressante distinction entre « être humain » et « personne ». Ainsi l’être humain est protégé dans sa dignité et dans son identité, alors que la personne voit le respect de son intégrité et de ses droits et libertés fondamentaux garanti sans discrimination. Le principe de dignité protège l’être humain, et par conséquent l’embryon. En effet, si l’embryon n’est pas juridiquement appréhendé comme une personne, il n’en demeure pas moins qu’il est, au sens littéral du terme, un être humain : nul ne peut le contester.
Par ailleurs, l’article 18 de ce même texte admet que certaines législations nationales autorisent des recherches sur l’embryon in vitro, à condition qu’elles assurent une protection adéquate de l’embryon. Il précise aussi que la constitution d’embryons humains à des fins de recherche est interdite. Tout est dit !
La Convention d’Oviedo va même plus loin dans son article 2, qui affirme la primauté de l’être humain sur le seul intérêt de la société ou de la science. Priorité est donnée au premier qui, en principe, doit l’emporter sur l’autre lorsqu’ils se trouvent en compétition. En libéralisant la recherche sur l’embryon, vous niez cette protection adéquate de l’embryon qui incombe au législateur.
Enfin, sur ce point juridique, comment ne pas rappeler que la recherche sur l’embryon est de fait limitée par le droit économique ? Si elle offre un jour une perspective concrète, les chercheurs ne pourront en tirer profit. En effet la Grande chambre des recours de l’Office européen des brevets a écarté, pour des raisons tenant à l’ordre public – je le souligne – la possibilité d’obtenir un brevet portant sur des cellules-souches humaines, dès lors que leur obtention entraîne la destruction d’un embryon humain, dans sa décision WARFThomson, du 25 novembre 2008. Cette solution a été confirmée – j’en suis désolé pour le Gouvernement et pour la majorité qui s’acharne – par la Grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne dans sa décision du 18 octobre 2011, en considération du fait que l’embryon humain est protégé au nom du principe de la dignité humaine.
Tout notre ordre juridique nous impose donc de protéger l’embryon, du fait même de son appartenance à l’espèce humaine, et les chercheurs ne peuvent que s’y soumettre.
D’ailleurs, puisque vous avancez que l’autorisation encadrée et l’interdiction avec dérogations n’offrent pas de réelles distinctions, par un souci de cohérence avec notre droit français et européen, nous ne pouvons que préserver ce principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon, et garder ainsi cette force, symbolique peut-être, mais importante, de l’interdit.
Soulignons-le encore une fois : c’est une cohérence de notre droit – ce qui nous différencie assez fondamentalement, d’ailleurs, des Anglo-Saxons. Mesdames et messieurs les membres de la majorité, vous qui pourfendez l’idéologie libérale, vous qui pourfendez l’individualisme, vous ne voudriez tout de même pas être les porteurs de valises de cette idéologie qui vous révulse par ailleurs ? À moins que vos convictions ne soient à géométrie variable – ce que je ne peux pas croire !
Puisque vous placez les besoins des chercheurs au centre de la justification du principe d’autorisation, niant notre ordre juridique, permettez-moi de vous rappeler que les chercheurs ne sont pas gênés par le principe d’interdiction.
Depuis 2004, l’Agence de la biomédecine a délivré 173 autorisations relatives à la recherche sur l’embryon sur 192 demandées : vous voyez bien ! De plus, il n’y a eu que 11 recours sur l’ensemble de ces autorisations : ils sont donc ultra-minoritaires !
Par ailleurs, interrogé le 14 janvier 2009 dans le cadre de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, dont j’ai eu l’honneur d’être le secrétaire, le professeur Peschanski lui-même, directeur de recherches à l’INSERM, avait ainsi déclaré : « Vous m’avez demandé si les dispositions de la loi de 2004 nous avaient gênés. Peut-être vous surprendrai-je en vous disant que non ».
Lors de la table ronde sur les cellules souches organisée par la commission des affaires sociales du Sénat le mercredi 23 mars 2011, le professeur Peschanski a encore confirmé : « Il est vrai que nous avons pu travailler : l’INSERM a obtenu nombre d’autorisations. »
C’est la démonstration que les chercheurs ne sont pas gênés. Philippe Menasché, qui a été cité par Jean Leonetti tout à l’heure, professeur de médecine, lui aussi directeur de recherche à l’INSERM sur les thérapies cellulaires en pathologie cardio-vasculaire, a confirmé lors de son audition devant la commission spéciale en date du 1er décembre 2010 : « La loi de bioéthique de 2004 ne nous a pas empêchés de travailler. Elle ne nous a pas pénalisés. »
Quant à l’insécurité juridique que vous évoquez dans votre rapport, madame le rapporteur, qui guetterait les chercheurs à cause de recours contre les protocoles de recherche, elle me laisse assez dubitatif. Je l’évoquais tout à l’heure : onze recours seulement contre certains décisions d’autorisation. Ce n’est pas l’argument de l’argent que pourraient coûter ces recours qui va me convaincre. Mme Prada-Bordenave a évoqué un coût de vingt-cinq mille euros : je crois que l’embryon vaut bien vingt-cinq mille euros, en tout cas il me semble.
Au contraire, tout cela me semble inciter à respecter une loi d’équilibre qui n’entrave en rien la recherche tout en préservant la dignité de l’embryon.
La loi ne saurait être modifiée par convenance, au gré de la volonté des chercheurs. Il ne s’agit pas ici de modifier le calendrier des parlementaires au gré du vent, comme vous l’avez fait en conférence des présidents hier matin, non. La loi ne saurait varier au gré de la volonté des chercheurs ou des laboratoires pharmaceutiques, non. Ou bien pour éviter d’être attaqué en justice. Le droit doit demeurer au service de la justice, il ne peut être instrumentalisé en fonction d’intérêts particuliers ou d’une idéologie – et c’est ce dont j’ai le sentiment ce soir. Le législateur ne peut se laisser instrumentaliser pour des intérêts particuliers, d’autant plus lorsqu’ils sont contraires à notre droit.
À côté de ces enjeux juridiques particulièrement forts, il y a bien sûr des enjeux éthiques qui ne vous ont pas échappé. Il me semble que la commission des affaires sociales n’a pas suffisamment étudié les enjeux éthiques du passage à un régime d’autorisation de la recherche sur l’embryon.
Autoriser la recherche sur l’embryon avec un tel encadrement libéral porte gravement atteinte à l’éthique. L’encadrement strict dont vous parlez relègue en réalité l’embryon humain au même rang, voire à un rang inférieur à celui de l’embryon animal ! Vous vous félicitez que la condition de finalité médicale permette tout type de recherche, fondamentale, diagnostique ou préventive, et préserve l’embryon humain du seul usage cosmétologique. C’est encore heureux ! Les animaux aussi, depuis le 11 mars 2013, sont préservés des expérimentations à visée cosmétologiques. C’est une dépêche de l’AFP qui nous l’avait appris quelques jours avant notre fameuse soirée du 28 mars.
Les embryons animaux et humains seront, si ce texte passe, traités de la même façon à ceci près : c’est que les embryons d’animaux coûteront toujours plus cher que les embryons humains dits « surnuméraires » qui sont donnés par les parents. Ce n’est pas de la provocation, c’est la réalité.
En fin de compte, si l’autorisation de la recherche sur l’embryon est autant souhaitée, c’est bien parce que l’embryon humain est gratuit et qu’on en trouve en nombre dans les centres médicaux d’assistance à la procréation. Est-ce une raison pour les transformer en outils de laboratoire et de les substituer à d’autres « matériaux » ?
Madame le rapporteur, vous citez dans votre rapport Jean-Claude Ameisen : nous avons eu la chance, le plaisir, l’honneur, l’avantage, dans la nuit du 28 mars, de l’entendre citer à plusieurs reprises, à travers plusieurs lectures de la même lettre. Il n’empêche que Jean-Claude Ameisen souligne « qu’on ne protège pas l’embryon humain de la destruction en interdisant la recherche ». La question éthique première est donc celle de la destruction de l’embryon humain. Mais la question éthique de la destruction de l’embryon humain est différente de celle de l’utilisation qui serait faite de l’embryon humain, si la recherche était autorisée. C’est bien de l’utilisation de l’embryon que je souhaite parler.
L’embryon humain va devenir ce réactif de laboratoire, en quelque sorte, sur lequel on va tester des centaines, pourquoi pas des milliers de molécules, modéliser des pathologies… Des tests à grande échelle, des centaines, des milliers de tests sur l’embryon humain seront pratiqués. Voilà la réalité de la recherche pharmaceutique que ce texte rend possible.
L’embryon, parce qu’il fait partie de l’espèce humaine, mérite mieux. selon la convention d’Oviedo, l’embryon mérite le respect dans sa dignité d’être humain, ce qui est ici totalement bafoué.