Intervention de Pierre Moscovici

Séance en hémicycle du 18 septembre 2013 à 15h00
Redonner des perspectives à l'économie réelle et à l'emploi industriel — Présentation

Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, la majorité présidentielle mène avec détermination un combat de longue haleine pour relancer la croissance et soutenir l’emploi, et en particulier l’emploi industriel. La proposition de loi que vous examinez aujourd’hui y contribue fortement.

Le diagnostic est connu, grâce notamment au rapport objectif, même s’il est parfois sévère, de Louis Gallois à l’automne dernier, dont nous nous sommes inspirés pour conforter la compétitivité du tissu industriel français. Je rappelle que la part de l’industrie dans la valeur ajoutée totale en France est passée de 18 % en 2000 à un peu plus de 12,5 % en 2011. Plus grave encore, mais c’est la traduction du même phénomène, l’emploi industriel s’est dégradé de façon continue, passant de plus de 26 % de l’emploi salarié total en 1980 à 12,6 %, en 2011.

Ce que disent mal les chiffres, si spectaculaires soient-ils, et ceux-ci le sont, ce sont les drames humains engendrés par plus de trente ans de délitement de notre tissu productif. Élu d’une circonscription industrielle qui abrite l’une des plus grosses usines de France – longtemps la plus grosse, maintenant la deuxième, le centre de production de PSA à Sochaux – je suis sensible, comme vous, à cet enjeu humain que l’abstraction du constat chiffré reflète pauvrement.

Aujourd’hui ministre de l’économie et des finances, je sais aussi que cette perte de substance industrielle affecte notre économie bien au-delà de ce secteur dit secondaire. L’emploi dans l’industrie a un effet multiplicateur plus fort sur les autres emplois, et l’industrie porte une très large part de la recherche et de l’innovation, ainsi que des gains de productivité. J’ajoute qu’il y a de plus en plus de services associés à l’industrie. C’est dire à quel point le déclin industriel, le déclin du tissu productif est porteur de difficultés pour la société et l’économie tout entières. Par ailleurs, les pays les plus industrialisés sont ceux qui résistent le mieux à la crise. C’est donc la colonne vertébrale de notre économie qui fléchit avec le recul de l’industrie sur notre territoire, et c’est un enjeu fondamental que de réussir la réindustrialisation de notre pays.

En même temps, ce recul est le produit de facteurs complexes, que nous ne pouvons réduire, ce serait une erreur, au seul processus de mondialisation. N’oublions pas que l’ouverture à l’international est aussi une chance pour nos grands groupes, qui en bénéficient. N’oublions pas non plus, chiffre rarement cité mais néanmoins juste et fort, que 30 % des emplois industriels en France sont le fait de groupes étrangers, ce qui signifie que nous devons aussi rester pleinement une économie ouverte. Dans un monde où la mobilité des capitaux est une réalité tangible, l’objectif doit être moins défensif qu’offensif : à nous de mettre en place les conditions pour attirer les investissements sur notre territoire, d’abord au bénéfice de notre tissu productif et des salariés, en trouvant le juste équilibre, celui que vous cherchez, entre protection et attractivité.

Gardons-nous d’une vision simpliste sur ces investissements étrangers : ils sont aussi créateurs d’emplois sur notre territoire. Pas plus tard que lundi dernier, à Bourges, j’ai rencontré des salariés de Recticel Insulation, qui fait partie d’un grand groupe belge et qui a programmé pour l’année prochaine tellement d’embauches sur le site nouvellement créé que son personnel va doubler en un an.

Ce constat, partagé, a amené la majorité à déposer une proposition de loi visant à reconquérir l’économie réelle. J’aime bien ce titre et j’aime bien la proposition, monsieur le président de la commission des affaires économiques. Je me félicite de la qualité du travail parlementaire qui a eu lieu dans votre commission. J’ai eu l’occasion d’échanger avec vous une première fois en juillet dernier, je sais que les membres de la commission ont mis à profit la période estivale pour affiner encore certaines dispositions du texte, tout en restant fidèles à l’objectif initial, la préservation, la défense et la restauration de l’emploi industriel. Je salue le travail de la rapporteure, Clotilde Valter, pour ses échanges constructifs et fructueux avec le Gouvernement, votre investissement personnel et le travail du rapporteur pour avis, Jean-Marc Germain. Vous avez tous trois fait preuve d’une grande implication personnelle et ce texte vous doit évidemment beaucoup.

Quelques mots de commentaires sur les deux grands axes qui structurent cette proposition de loi, la recherche d’un repreneur et les mesures en faveur de l’actionnariat de long terme.

Concernant la recherche d’un repreneur pour un site, le texte propose une procédure permettant une implication accrue du comité d’entreprise et détaillant les obligations des dirigeants. Le Gouvernement se retrouve pleinement dans l’esprit du texte, qui va dans le sens d’une plus grande responsabilisation des acteurs et, surtout, vers l’introduction d’un degré d’expertise plus élevé, ce dont nous avons besoin. Nous soutenons tout ce qui peut permettre à l’entreprise et à ses salariés de prendre une décision éclairée, sur la base d’une information complète fournie dans des délais appropriés. C’était d’ailleurs l’une des propositions phares du pacte de compétitivité, reprise dans l’accord national interprofessionnel du 11 janvier dernier et transcrite dans la loi par les assemblées, à commencer par la vôtre, que la présence de salariés dans les conseils d’administration pour garantir la transparence et la fluidité de l’information au sein de ce projet collectif qu’est l’entreprise.

Nous devons néanmoins veiller à ne pas rigidifier à l’excès les procédures, pour préserver l’attractivité de notre territoire mais, surtout, l’accent doit être mis sur un dispositif qui soit d’abord et avant tout opérationnel pour les entreprises et leurs salariés. C’est dans l’esprit de trouver un compromis responsable que le Gouvernement engage la discussion de ce texte.

Je souhaite m’attarder à présent sur le second pilier de cette proposition de loi, qui concerne l’actionnariat de long terme. Nous avons eu à ce sujet des échanges nourris qui ont permis de rapprocher les points de vue. À ce stade, je veux rappeler la vision que je défends à cette tribune au nom du Gouvernement.

Nous partageons un objectif : que la puissance publique favorise l’actionnariat et les investissements de long terme, parce que ce sont les seuls qui créent vraiment de la valeur pour nos industries et nos territoires. Notre modèle à tous, sur tous les bancs de cette assemblée je crois, c’est le bâtisseur d’industrie plutôt que le financier volatile. Moi aussi, madame la rapporteure, je préfère le modèle suédois au modèle britannique.

Nous avons progressé sur de nombreux aspects en travaillant en commission et en préparant cette séance. La généralisation des droits de vote double, les mesures sur le rythme de progression dans le capital d’une entreprise, ce qu’on appelle aussi le seuil de caducité, qui est une forme de soupape de sécurité pour prévenir les opérations hostiles, au-delà de toute prise de contrôle rampante, vont contribuer à protéger nos entreprises et à encourager l’investissement de long terme, dans le respect, et vous comprendrez que j’y tienne, du droit communautaire.

Les salariés, qui sont au coeur même de la création de valeur dans l’entreprise, seront désormais consultés en cas d’OPA et pourront s’exprimer, selon une procédure que nous voulons finement encadrer. Nous sommes également en accord avec la proposition de la rapporteure de maintenir le seuil de déclenchement obligatoire d’une OPA à 30 % plutôt qu’à 25 %. Nous en avons longuement discuté et, si nous sommes parvenus à cet accord, dont je remercie Mme Valter, c’est parce que cette disposition, qui, c’est vrai, pouvait séduire à certains égards, aurait risqué de faire de la France une quasi-exception mondiale, entamant notre attractivité auprès des investisseurs sans bénéfice tangible pour la protection de notre tissu industriel et la nécessité de disposer d’actionnaires stables et impliqués.

Nous devons toutefois prendre garde, au moment de légiférer, aux effets que certaines dispositions pourraient produire. Nous vivons dans un monde de capitaux ouverts et nous devons donc rester attentifs aux messages envoyés aux investisseurs internationaux. Complexifier à l’excès la procédure d’OPA risquerait d’avoir la conséquence inverse à l’effet recherché, en réduisant la valeur boursière des entreprises françaises, du fait de leur moindre attractivité, et pourrait donc au final les rendre plus vulnérables.

Veillons également à ne pas fragiliser certains groupes familiaux stables en modifiant trop brusquement les règles du jeu. Nous savons qu’il existe des enjeux décisifs quant à la transmission d’entreprise. Nous les rencontrons partout sur le terrain, dans nos circonscriptions.

Un mot de conclusion rapide, même si je reprendrai ponctuellement la parole pour trouver avec vous le bon équilibre sur certaines dispositions, sachant que nous sommes tout près du point d’aboutissement.

Je voudrais tout d’abord me féliciter à nouveau des échanges qui ont eu lieu sur ce texte avec les différentes parties prenantes. Ils doivent se poursuivre : c’est la bonne méthode pour définir au mieux les équilibres du texte tout en atteignant l’objectif recherché.

Je voudrais également souligner, au-delà de tel ou tel point particulier, la grande proximité d’esprit entre le Gouvernement et la majorité. Nombre des textes que nous avons proposés, et qui ont été substantiellement enrichis par votre assemblée ces derniers mois, soutiennent l’ambition de préserver l’emploi industriel sur notre territoire. Je pense au premier chef à la création de la Banque publique d’investissement, qui doit beaucoup à la coproduction avec le Parlement ; je salue le rapporteur, ici présent, de ce texte fondamental.

La présente proposition de loi constitue un des leviers en faveur de notre ambition commune pour favoriser et protéger l’actionnariat de long terme et l’industrie dans notre pays. Mais elle ne saurait résumer une politique à elle seule. En renforçant nos entreprises, nous renforçons notre tissu productif et nous préparons les emplois de demain. En agissant sur le financement de l’économie, nous donnons à nos entreprises les moyens de se développer.

Je pense, bien entendu, au pacte de compétitivité pour la croissance et l’emploi, et à sa mesure la plus connue, le crédit d’impôt compétitivité emploi, qui vise justement à permettre aux entreprises de dégager des marges pour investir et embaucher.

Je pense à l’accord national interprofessionnel, que j’ai déjà cité, qui est devenu loi et a permis d’allier souplesse et sécurité.

Je pense au programme de structuration de filières industrielles mené par Arnaud Montebourg. Comme l’a bien montré le rapport Gallois, un de nos principaux handicaps est la faiblesse de la structuration et de la solidarité industrielle en France.

Je pense aux mesures très complètes que je porte depuis seize mois sur le financement de l’économie, et qui ont toutes la même finalité : remettre la finance au service de l’économie réelle, pour que les entreprises qui cherchent des financements pour leurs investissements et leur développement trouvent toutes des solutions adaptées à leurs besoins.

Je pense à la réforme des plus-values mobilières, présentée en mai dernier à l’occasion des assises de l’entrepreneuriat, sous la houlette de Fleur Pellerin, réforme qui favorisera l’investissement de long terme dans les entreprises.

Je pense à notre volonté d’orienter davantage l’assurance-vie vers le financement des entreprises en fonds propres.

Je pense à l’effort de rassemblement des filières à l’export mené par Nicole Bricq, pour que nos entreprises, les grands groupes comme les PME, « chassent » ensemble à l’international.

Je pense, enfin, aux 12 milliards du plan des investissements d’avenir présenté par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault en juillet dernier. Et nous présenterons d’autres mesures importantes de soutien à l’investissement dans le prochain projet de loi de finances.

Il y a là une cohérence dans laquelle s’inscrit cette proposition de loi. La réussite de cette politique que nous menons implique que les pouvoirs publics soient pleinement engagés, non seulement pour créer les conditions de succès de nos entreprises, mais également sur le terrain, au niveau des entreprises elles-mêmes.

C’est bien l’ambition du Gouvernement que de se donner les moyens d’agir à travers une palette renouvelée d’outils. J’en citerai deux. Avec la BPI, nous disposons d’un levier pour que les prises de participation publiques puissent aussi contribuer à stabiliser l’actionnariat et protéger nos intérêts stratégiques, avec un horizon de détention à moyen et long termes, car ce n’est pas une banque comme les autres. Et grâce à la procédure de contrôle des investissements étrangers, nous disposons en outre d’un outil utile pour préserver les intérêts stratégiques de la nation, et nous ferons à l’automne des propositions pour en assurer l’efficacité, dans le respect du droit communautaire.

C’est bien cette combinaison d’approches macroéconomique et microéconomique qui peut relever le défi de l’emploi industriel dans toutes ses dimensions, avec des principes – votre texte est inspiré par des principes, par une volonté, et il a un vrai sens politique – mais aussi avec pragmatisme, parce que vous savez parfaitement ce qu’est l’économie réelle. Cela nous met en position d’initiative, cela nous place à l’offensive. Nous continuerons d’approfondir tout cela dans les prochains mois. C’est avec cet esprit tout à fait constructif que j’entre, au nom du Gouvernement, dans cette discussion.

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