Vous ne serez pas déçu, car c’était effectivement pour attirer, fort amicalement, votre attention.
Nous avons analysé notamment la valeur ajoutée des entreprises françaises et allemandes. Qu’avons-nous pu voir ? Sincèrement, il faut arrêter de dire que les salaires sont trop élevés en France ; ils ne le sont pas. Ce sont les charges sociales et fiscales qui écrasent les entreprises françaises. Les capacités à investir des entreprises françaises sont très faibles, en comparaison de celles des entreprises allemandes. Nos entreprises n’ont souvent d’autre possibilité, pour investir, que de s’endetter. C’est en quelque sorte la double peine : on paie beaucoup plus d’impôts et de charges et, pour pouvoir investir, il faut payer des frais financiers, alors que les entreprises allemandes arrivent à autofinancer leurs investissements.
En outre, je tiens à le dire, car, à lire un certain nombre de documents, on a tellement l’impression inverse, les entreprises françaises rémunèrent moins leurs actionnaires que les entreprises allemandes et, par ailleurs, le taux français de l’impôt sur les sociétés est supérieur au taux allemand. Cela veut dire que, si l’on doit choisir aujourd’hui d’établir une entreprise en France ou en Allemagne, c’est en Allemagne que l’on va. C’est cela, la véritable question.
Le véritable problème de la France, le véritable problème de notre économie, son cancer, c’est la faiblesse du taux de marge des entreprises. Parler d’économie réelle et d’emploi industriel sans parler de taux de marge, c’est simplement ubuesque, chers collègues. Le taux de marge de nos entreprises est historiquement faible. C’est aujourd’hui le plus faible des taux de marge des grandes économies européennes, et il a encore baissé depuis un an. Comment pouvez-vous parler de relance quand le taux de marge des entreprises baisse ? C’est simplement… Je ne le qualifierai pas, mes mots pourraient être excessifs.
Vous pouvez ériger toutes les lignes Maginot, et cette loi est une ligne Maginot imaginaire, M. Montebourg peut faire tous les plans de communication, sans moyens derrière : l’industrie française ne sera pas sauvée, des millions d’emplois ne seront pas créés si les taux de marge, sur lesquels vous restez silencieux, ne sont pas restaurés. Vous pensez peut-être que je suis un peu excessif, mais sachez qu’en 2012 le taux de marge des entreprises françaises était de 27,7 %, alors qu’il est de 41,2 % en Allemagne. Si rien ne change, la messe sera dite, un point c’est tout.
Votre erreur, depuis votre élection, c’est de ne pas regarder attentivement cet indicateur, c’est d’avoir cassé la politique de restauration du taux de marge des entreprises. C’est parce que ce taux est faible que l’investissement privé est faible, que l’emploi non-public et non-subventionné se contracte trimestre après trimestre, que des usines ferment, et votre loi n’y changera rien. Au contraire, elle prive la France de nouvelles usines. Lisez l’édition d’aujourd’hui des Échos. Le commerce extérieur européen est à l’équilibre, tandis que celui de la France est lourdement déficitaire. C’est la France qui a un problème de compétitivité, aujourd’hui, ce n’est pas l’Allemagne, ni l’Autriche, ni la Suisse. Eux ne font pas de loi contre les licenciements boursiers, ils accueillent de nouvelles entreprises et font grandir leurs PME.
Et puis, monsieur Brottes, votre proposition de loi a un côté particulièrement désuet. Qu’est-ce que cela représente, aujourd’hui, un site de production, s’il n’a pas accès à des brevets, au soutien d’une marque et à un réseau de vente ? Qu’est-ce que cela représente si les machines ne sont pas la propriété du site – elles peuvent être louées à une maison-mère ou à une filiale étrangère ? Qu’est-ce que cela représente, si les bâtiments sont la propriété d’une société foncière ?
Je crains que l’adoption de cette proposition de loi pousse nos entreprises, par anticipation, à adopter de nouveaux comportements de protection. En cela, cette loi est dangereuse : elle est même toxique. Sur le fond, votre proposition de loi ne protège pas les salariés. Elle ne facilitera pas la reprise des sites. Elle ne conduira que peu à la reprise de sites par des salariés. Elle n’est qu’une illusion, destinée à donner le change, et ce sans aucune évaluation.